Control
7.3
Control

Jeu de Remedy Entertainment et 505 Games (2019PlayStation 4)

Nous contrôlons les horizontales et les verticales.

Somme d'influences pop-ésotériques triées sur le volet, Control établit une connexion intelligente entre les plus mémorables d'entre elles, qu'elle prend dans sa toile d'araignée pour en intégrer le substrat et créer autant de mondes dans le monde, autant de lisières à la marge, comme s'il était l'enveloppe qui les contenait tous et leur donnait un sens commun : Alan Wake, bien sûr, mais également la Maison des Feuilles, The Lost Room, Dirk Gently (version US), la Forêt des Mythagos, autant de pièces d'un grand Tout que le Bureau Fédéral de Contrôle (comprendre : la Vieille Maison) s'efforce de contenir et d'assembler entre elles - non sans succès.


En résulte un patchwork de légendes urbaines fascinantes, aux frontières du réel, s'enracinant dans le terreau fertile d'un fantastique ordinaire (pun intended) et familier - l'Inquiétante Etrangeté chère aux lecteurs de l'ombre et qui vient ici malmener les limites tant de notre conscience que de notre réalité. Riche de plusieurs centaines de documents écrits, audio et vidéos (tous passionnants) éparpillés le long de son terrain de jeu, le background de Control vous happe d'emblée et pour de bon : une fois passé le seuil de son bâtiment invisible, le joueur n'a plus qu'une obsession : en savoir plus, en apprendre plus, en connaître plus et tant pis si c'est au prix de quelques gunfights frénétiques et aller-et-retours dans ce qui se présente comme un Metroidvania 3D particulièrement tortueux... le jeu en vaut malgré tout la chandelle, d'autant plus qu'on aura plaisir à passer des heures à fouiller chaque infime recoin de décor ou à improviser des manœuvres audacieuses pour accéder à telle ou telle plate-forme hors de portée (audaces souvent récompensées), mais moins pour amasser les power-up que pour être sûr de ne manquer aucun dossier, aucun courrier, aucun compte-rendu d'entretien tant ils construisent (non sans humour grinçant, parfois) une toile de fond mesmérisante, le genre un peu macabre mais dont on voudrait qu'elle soit vraie.


C'est la grande, très grande force de ce titre dont, paradoxalement (et tristement) la direction artistique apparaît d'une banalité paresseuse, trop fade, trop générique, sans une once d'inventivité ou de véritable originalité - à l'image de son gameplay standard, usé jusqu'à la corde (mais calibré aux petits oignons). En choisissant une approche grand public, Remedy tord visuellement le cou à ses effets textuels et ne cesse de désamorcer par l'image ce qu'il distille par la suggestion : les couloirs sont lumineux, les ennemis anthropomorphes ont déjà été combattus mille fois à l'identique dans d'autres titres, la folie promise par le pitch n'est reléguée qu'à l'arrière plan (le temps de trop courtes séquences, vite regrettées), la peur reste à la marge, si bien que la tension promise n'est pas au-rendez-vous et qu'on se promène dans la Vieille Maison comme on le ferait dans un Tom Clancy ou un Hideo Kojima - super pouvoirs en sus. Dans le même registre, on est loin, très loin, trop loin de l'exubérance créative un peu "sale gosse" du reboot de DMC sorti en 2013. Dans Control, tout est trop sage, trop clair, trop lisse, jusqu'à l'héroïne et ses pensées trop envahissantes, comme le veut la coutume des jeux post 2010. Et quel dommage ! Quelle occasion manquée ! Control aurait pu avoir l'étoffe d'un Silent Hill 2 si le studio avait osé jusqu'au bout.


Côté mécaniques de jeu, le terrain est connu (par coeur) : prenez le Nathan Drake d'Uncharted et donnez-lui les pouvoirs du Starkiller du Pouvoir de la Force et vous obtenez un grand défouloir exalté où - une fois n'est pas coutume - la vraie menace, c'est vous. Et si cérébral que l'on soit, il faut bien admettre qu'on éprouve un réel plaisir à voir les codes se renverser et à incarner un protagoniste aux antipodes des archétypes qu'on dirige habituellement. Dans Control, le joueur n'est pas en position de faiblesse, il fait la loi et seul le nombre, les one shot et une fâcheuse tendance à se surestimer peuvent venir à bout (temporairement) de sa progression. Est-il besoin de préciser que le parti-pris est grisant, autant que le lancer de chariots élévateurs en apesanteur à six mètres au-dessus du sol. Rien de bien nouveau sous les néons du secteur exécutif, donc, mais force est de constater que la mécanique est bien huilée et que tout fonctionne au micromètre près.


Quant au scénario qui sous-tend l'aventure, il reste étonnamment classique, mais suffisamment tordu pour maintenir l'attention et pour apporter dix nouvelles questions à chaque réponse qu'il donne. De quoi laisser le joueur sur sa faim en bout de parcours, lorsque celui-ci comprend que le jeu est bien décidé à garder pour lui les clés de sa compréhension et que la conclusion promise ne sera que celle d'un prologue, tandis que les vraies interrogations sont vouées à perdurer : de quelle nature est le Hiss et quel est son véritable but ? Qu'est-ce que le Comité et que recherche-t-il ? Quel est le lien réel qui unit Jesse et son frère ? Qu'est-il vraiment arrivé à ce dernier ? Qu'est-ce que Polaris ? Qui est Athi, le concierge ? Et d'ailleurs tiens, puisqu'on en parle... où est Alan Wake ?


Autant dire qu'à part la crise immédiate, rien n'est résolu et que tous les mystères restent encore à élucider (ou peu s'en faut), ce qui ne vient pas sans un délicieux frisson de frustration. Le premier DLC permettra au joueur de collecter quelques informations supplémentaires, d'affiner ses suppositions, de confirmer quelques soupçons, tout en le bombardant de nouvelles énigmes à mûrir telles quelles.


Qui sait quelles nouvelles portes le second s'apprête à ouvrir ?


Une chose est sûre : pour connaître le fin mot de cet OVNI vidéoludique, il vaudra mieux compter sur la sortie d'un deuxième épisode - qu'on attend d'ores et déjà avec impatience, et en croisant les doigts (sans quitter le frigo des yeux, parce qu'on ne sait jamais).

Liehd
8
Écrit par

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Créée

le 2 mai 2020

Critique lue 674 fois

6 j'aime

Liehd

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