Cocoon
7.7
Cocoon

Jeu de Jeppe Carlsen, Geometric Interactive et Annapurna Interactive (2023Nintendo Switch)

Il m’a suffi d’un nom. Jeppe Carlsen.

Jeppe Carlsen, vous ne le connaissez peut-être pas. Et pour être honnête, avant qu’on me parle de ce jeu, moi non plus.

Seulement voilà, il a fallu que, par le plus grand des hasards, j’apprenne brusquement l’existence de Cocoon en plein milieu d’une vidéo d’Iconoclaste (que je ne regarde pourtant jamais) ; vidéo dans laquelle il était question de critiquer les récompenses distribuées lors des tant décriés Game Awards.

Cocoon s’est ainsi retrouvé alpagué le temps d’une diatribe à l’encontre des jeux retenus dans les catégories meilleur jeu indépendant et meilleur premier jeu indépendant. Une diatribe au cours de laquelle il a donc été dit ceci : « Cocoon c’est un super jeu – y’a pas de problème – [et] je vais avoir du mal à vous expliquer pourquoi, parce là, comme ça, Cocoon c’est très conceptuel. […] Et Cocoon a été nommé dans la catégorie des meilleurs premiers jeux vidéo indépendants. Il a même gagné cette catégorie. Et OK, sur le papier, pourquoi pas hein ! Seulement à la réalisation du jeu qui c’est qu’on retrouve ? Jeppe Carlsen, un ancien de chez Playdead ; le concepteur même principal de Limbo et d’Inside ! Donc premier jeu du studio [Geometric Games] : oui c’est vrai, mais il y a quand même un bagage derrière ! »

Et voilà comment, à partir de ce moment-là, je n’écoutais déjà plus la démonstration de ce cher Ico. On venait d’évoquer Limbo. On venait d’évoquer Inside. Et on avait associé ces deux bijoux du média vidéoludique à ce Cocoon, par l’intermédiaire de ce seul nom : Jepp Carlsen.

Jepp Carlsen : le nom qui m’a donc tout de suite donné envie de jouer à Cocoon.

Jepp Carlsen : ce type qui, par Cocoon, a su me faire voyager au-delà de Limbo et d’Inside.

Rien que ça.


Alors oui, je me doute bien qu’en écrivant ces dernières lignes, je risque de soulever quelques sourcils dubitatifs de la part de ceux qui, comme moi, vénèrent les jeux Playdead, et ont entendu un temps soit peu parlé de ce Cocoon (voire qui y ont carrément joué).

Poser Cocoon comme un dépassement de Limbo et d’Inside, ce n’est quand même pas rien. Surtout que les deux jeux sus-cités se posent encore aujourd’hui comme des références en termes de narrative design. C’est d’ailleurs plus le cas d’Inside que de Limbo, tant le premier se pose comme un dépassement du second dans ce domaine-là.

Vous n’êtes pas convaincu ? …Ou tout simplement vous n’êtes pas connaisseur de ces jeux ? Eh bien dans ce cas, avant d’aller plus en avant avec Cocoon, je vous invite juste à jeter un petit coup d’œil aux seules premières minutes d’un walktrough d’Inside. (Ça aura son importance pour la suite. ;-).)


Voyez comment, dès le lancement même de la partie, toute la narration passe par l’entremise du game design.

On se retrouve aux commandes d’un petit bonhomme au sein d’une structure de plateformeur 2D à défilement horizontal. Instinctivement, on est incité à le faire avancer dans la direction induite par ce cadre décentré vers la droite. Et sitôt lui fait-on parcourir ses premières foulées qu’on comprend immédiatement les enjeux dans lesquels le titre entend nous plonger.

Un camion débarque. Des hommes se déploient. Notre avatar se fléchit de peur à leur approche. On comprend dès lors qu’on est en situation de fuite. A partir de là, tout va nous être raconté ainsi. Par les décors qu’on traverse. Par les mécaniques auxquelles on va devoir se plier. Par les actions qu’on va être contraint de mener…

Et même s’il y a quelques points que je trouve ponctuellement moins bien réussis que d’autres, je considère malgré tout que, globalement, Inside, ça reste un bijou de game design et notamment de narrative design.

Pas de cinématique à rallonge ni de phase de jeu globalement déconnectées du récit comme dans les jeux Naughty Dog. Non, là on a affaire à une vraie narration de jeu vidéo. Une écriture par le jeu. Et donc, oui, c’est vraiment sur ce point que je considère que Cocoon parachève pleinement ce que les jeux Playdead ont su initier.


Pourtant, à première vue, le rapprochement entre les jeux Playdead et ce Cocoon ne saute pas aux yeux.

Pas de plateformeur 2D à défilement horizontal cette fois-ci, mais plutôt de l’overworld en vue zénithale à la façon d’un vieux Zelda ou d’un Secret of Mana.

Idem, difficile de retrouver dans Cocoon les intentions narratives d’Inside à base de récit transmis par les lieux visités ou d’événements se superposant à notre avancée (tel que notre fameux camion évoqué à l’instant). Pour le coup, Cocoon est bien plus classique dans ce domaine-là, pour ne pas dire presque intégralement dépouillé de ce genre d’intention.

Enfin, difficile de ne pas sentir aussi une rupture dans le domaine de la direction artistique générale. Là non plus, la filiation n’a rien d’évidente. Car si Limbo et Inside attiraient immédiatement le regard grâce à leurs partis prix tranchants et remarquablement esthétisants, Cocoon, de son côté – bien que loin d’être hideux – n’en demeure pas moins un jeu très commun et sur lequel on ne se retourne clairement pas au premier regard.


A dire vrai, ce n’est qu’une fois qu’on a la manette en main qu’on saisit assez rapidement ce que ce Cocoon partage comme ADN commun avec ses deux grands frères de chez Playdead.

Il y a d’abord cette entrée en matière abrupte. On ne nous raconte rien en introduction du jeu. On ne nous explique rien non plus en termes de commandes. On nous laisse juste avec notre avatar, espérant que le caractère rudimentaire du jeu à ses débuts saura solliciter les quelques réflexes fondamentaux que tout joueur est censé avoir.

Il y a ensuite tout cet aspect puzzle game qui ne peut que nous interpeller très vite. Surtout qu’ici aussi, les puzzles ne sont pas pensés indépendamment de l’univers ; j’entends par là qu’ils ne sont pas des mécaniques préexistantes et indépendantes les unes des autres qu’on sème ça et là pour agrémenter le parcours du joueur, un peu à la façon d’un triple A classique. Non, ici, comme dans Limbo – et surtout comme dans Inside – les puzzles font système entre eux. Ils sont même structurants de l’univers.

Comprendre l’univers passe par une compréhension du puzzle et vice-versa, un peu à la façon d’un Portal, d’un Fez ou bien encore d’un Braid

…Et c’est ce qui fait que, quand bien même Cocoon ne semble pas avoir les mêmes ambitions en termes de narrative design qu’un Inside – notamment du simple fait que son univers semble n’avoir été pensé que pour accueillir des puzzles en son sein et rien de plus – il n’empêche qu’il finit lui aussi par produire de la narration par son univers et par son jeu. J’irais même jusqu’à dire qu’au bout du compte, il produit même sûrement une version encore plus aboutie de ce principe de narrative design parce que celle-ci est en définitive plus épurée et plus fondamentale.

…Mais ce serait prématuré de creuser tout de suite ce sujet. Gardons ça pour la fin et cheminons d’abord au sein de ce jeu, histoire qu’on comprenne de quoi on parle vraiment en termes d’expérience de jeu quand on aborde ce Cocoon.


Parce que, concrètement, ça consiste en quoi, jouer à Cocoon ?

L’air de rien, expliquer ça de manière concise, ça reste un exercice délicat. Ico lui-même a bien été contraint de le reconnaitre. Souvenez-vous, dans l’extrait que j'ai déjà cité, il disait ceci : « Cocoon c’est un super jeu – y’a pas de problème », mais précisant bien ceci : « je vais avoir du mal à vous expliquer pourquoi, parce là, comme ça, Cocoon c’est très conceptuel ».

Malgré tout, on ne pourra pas retirer à l’influenceur de s’y être risqué, et ça a donné ça : c'est « un jeu qui vous met dans la peau d’un insecte qui doit résoudre des puzzles à l’aide d’orbes magiques qui contiennent des niveaux. C’est un véritable casse-tête absolument terrible et qui vous tient en haleine à base de niveau dans le niveau… Jouez-y pour voir à quoi ça ressemble sur le Game Pass. »


Ce genre de description, je ne sais pas pour vous, c’est typiquement ce qui m’émoustille et m’effraie à la fois. Parce qu’il se trouve que, pour ma part, je suis particulièrement friand des jeux conceptuels ; encore plus s’il s’agit de puzzle games

…Après, il reste aussi vrai que ce genre de jeu est pour le moins casse-gueule, tant l’exercice est délicat et les pièges nombreux. L’air de rien, ils sont assez nombreux ces jeux qui, d’expérience personnelle, avaient tout pour m’emmener au septième ciel et qui ont pourtant fini par se prendre les pieds dans l’un de ces habituels travers :

Travers n°1 : le jeu est tellement conceptuel qu’on est vite égaré par le concept lui-même. (…N’est-ce pas le pourtant excellent Baba Is You ?)

Travers n°2 : davantage que le concept en lui-même, ce sont les outils mis à notre disposition qui ne parviennent jamais vraiment à devenir intuitifs, ce qui peut pénaliser l’expérience. (Un mal qui, à mon sens, touche notamment les deux premiers jeux de Lucas Pope : Papers, please et Return of the Obra Dinn.)

Travers n°3 : à l’inverse des deux cas précédents, on peut se retrouver avec un concept tellement limpide qu’on en a fait le tour en vingt minutes et malheureusement les développeurs n’ont pas su en renouveler l’intérêt (Cette balle, elle est notamment pour toi, Carto.)

Travers n°4 : il peut aussi arriver que le jeu s’amuse un brin narcissiquement à se faire dur et obscur juste pour être dur et obscur, au point de partir vers des extrêmes qui, en fin de compte, ne mènent nulle part. (Et là je pense très fortement à Jonathan Blow et ses deux Braid et The Witness.)

Travers n°5 : enfin on peut se retrouver dans le cas où le jeu peine à faire corps avec son concept et finit par nous éjecter à cause de son manque d’unité. (Oui, Catherine, dans ce dernier cas, c’est à toi que je pense en priorité.)

Et ce que je trouve particulièrement fort avec ce Cocoon, c’est justement comment il a su contourner tous ces pièges avec maestria.


Déjà, rappelons cette audace pour commencer : Cocoon se lance sans explication aucune. Sans tuto. Sans notification contextuelle à l’écran pour expliquer les touches en allant. Jepp Carlsen fait le pari – assez dingue au vu de la complexité de son concept ! – de laisser le joueur déduire le fonctionnement de son jeu. Et franchement, pour peu qu’on soit sensible aux amorces de partie comme c’est mon cas, Cocoon est assez saisissant de limpidité.

Tout est pensé au départ pour qu’il n’y ait qu’une action possible ; pour qu’on se dirige là où il faut se diriger ; pour qu’on actionne ce qu’il faut actionner. Alors après c'est vrai que le risque avec ce genre de démarche – surtout quand les mécaniques sont nombreuses et parfois contre-intuitives – c’est qu’on se retrouve en début de partie avec un long couloir explicatif qui ne présente que peu d’intérêt ludique, diluant dès lors notre implication. Or, avec Cocoon, j’avoue que cette phase s’est déroulée avec une fluidité assez rare.

On ne s’attarde jamais. On est tout le temps en mouvement. Et surtout on sait très rapidement poser sur la table ces éléments singuliers que sont ces orbes / mondes, histoire de susciter au plus vite de la curiosité, quitte à ne pas encore pleinement exploiter le concept.


Alors certes, ce serait vous mentir que de vous dire que, dès la première heure de jeu, Cocoon m’a immédiatement soufflé, parce qu’en effet, ça n’a clairement pas été le cas.

Au contraire même, au bout de ma première session qui a dû s’étendre sur une grosse heure, j’avoue avoir été surpris de constater que l’indicateur d’avancement du jeu m’annonçait déjà 25% alors que, dans les faits, je n’avais encore rien fait d’extraordinaire. Et s’il est vrai que, d’un côté, l’idée m’a effleuré qu’à première vue, cette histoire d’orbe / monde, ça avait l'air de n'être en fin de compte qu'un gadget superficiel posé là pour donner une illusion de complexité, il n’empêche que, malgré ça, l’envie de continuer était bien présente, et cela justement parce que le plaisir a su être instantané.

Car oui, l’air de rien, qu’il soit complexe ou pas, un puzzle game peut vraiment refiler de bonnes vibrations pour peu qu’il donne l’impression d’avancer ; de progresser. Or c’est vraiment la première grande réussite de ce Cocoon, je trouve : son introduction abrupte mêlée à la fluidité de son déroulé font qu’il est très facile de se mettre dedans…

Et tant mieux parce qu’on est ainsi disposé au mieux pour accueillir la suite ; la réelle proposition qu’entend faire le jeu.


Car non, au final ce principe à base d’orbe qu’on trimballe et qui sont en fait des mondes dans lesquels on peut plonger n'ont rien de gadgets.

Non seulement chaque orbe, quand on la porte, apporte un pouvoir particulier qu’on peut / doit solliciter (activer des passerelles, switcher des ascenseurs, tirer des rayons, etc.), mais en plus de ça, il est parfois nécessaire de trouver un moyen de trimballer un monde dans un monde, de trouver un moyen de les déplacer par l'entremise d'un mécanisme pour contourner un obstacle, voire même carrément d’établir parfois d'un protocole spécifique qui permette d’activer un pouvoir dans un monde pour l’utiliser à rebours dans un autre. (Et oui, je sais, dit comme ça, ça a l’air tordu.)


Seulement c’est la deuxième grosse force de ce jeu : c’est sa capacité à enrichir son gameplay progressivement, sans à-coup, nous permettant d’assimiler progressivement toutes les strates que celui-ci implique.

Clairement, ça, ça a été ma première grosse baffe.

L’entrée en matière, je trouvais ça chouette, mais pas de quoi m'allumer une étincelle dans le regard. Par contre, cette orfèvrerie dans le cheminement : oui. Là, il y avait de quoi.

Cette progressivité du jeu, c’est juste une putain de cathédrale en termes de subtilité d’architecture. D’un côté les mécaniques qu’on nous amène à mobiliser sont de plus en plus complexes – appelant de notre part à élaborer des jeux de combinaison sur plusieurs niveaux – mais de l’autre je trouve que tout est fait pour qu’on apprenne à maitriser ces mécaniques sans réelle difficulté. Et, en vrai, je considère ça carrément plus gratifiant et jouissif que d’être confronté à un jeu qui dispose d"un même niveau de complexité mais qui nous laisse galérer à les comprendre.


Parce que oui, en ce qui me concerne, ce que j’ai connu avec ce Cocoon, ça m’a inévitablement fait penser à ce que j’ai pu connaître quelques années plus tôt avec The Witness.

The Witness, pour moi, ça a été à la fois l’une des expériences les plus marquantes et grisantes de ma vie de joueur sur un puzzle game, mais en même temps ça a aussi été l’une des plus frustrantes.

Grisante, cette expérience l’a été parce que c’est toujours jouissif de ressentir cette impression d’avoir surmonté une réelle opposition ; quelque chose qu’on te pose comme un réel défi et sur lequel on ne t’aide pas. Or, The Witness, c'est clairement ça.

Mais frustrante, elle l’a été toute autant cette expérience dans la mesure où, lors de ma partie, j’avais bloqué sur pas mal d’énigmes pour des raisons que je trouvais parfois absurdes. Car oui, ça m’est arrivé plus d’une fois par exemple de bloquer face à une énigme parce qu’un élément indispensable à sa résolution avait échappé à mon champ de vision. Juste ça.


Dans Cocoon, on cherche au maximum à éviter ce genre d'impondérable en sachant faire en sorte que des chemins se ferment temporairement, ou bien en disposant avec évidence des obstacles ou des outils dont on sait pertinemment qu’ils vont avoir une utilité.

Idem, je me doute que certains pourraient reprocher à ce jeu d’être assez dépouillé dans ses décors et qu’en conséquence ça peut nuire en partie à l’immersion, mais il n’empêche qu’en contrepartie, cela permet une lisibilité totale des enjeux.

Et puis enfin, c’est tout con, mais notons quand même ceci : tout le jeu ne se fait qu’avec un seul bouton d’action. Pas de saut, pas d’arme, pas de grip, pas d’inventaire, soit le meilleur moyen de focaliser le joueur sur le dispositif du puzzle qu’on lui oppose et rien que le puzzle.


Rien n’est de trop dans, Cocoon. On sait que tout est pensé, et que rien n’est là – ou pas là – par hasard. Ça permet de ne jamais se laisser distraire par une fausse piste involontaire et donc de ne se consacrer qu’à ce qui constitue vraiment l’énigme.

Et comme le niveau de difficulté est remarquable de progressivité, pour ma part je me suis toujours retrouvé dans la même situation : je ne me suis jamais vraiment retrouvé bloqué dans Cocoon, mais par contre j’ai toujours appris.

Plus j’avançais, et plus mon bagage s’étoffait.

Au final, la jouissance n’est pas venue du fait du soulagement obtenu par le fait d'avoir surpassé un obstacle qui m'a bloqué pendant des heures, mais plutôt de cette impression de maitrise grandissante, d’autant plus excitante que celle-ci se faisait vitesse à grand V.


C’est pour moi d’ailleurs toute la différence que je perçois entre ma progression au sein de The Witness de celle que j’ai pu avoir au sein d’un Cocoon.

Dans The Witness, j’adorais toujours découvrir un biome qui impliquait d’apprendre à maitriser une nouvelle logique de puzzle. Mais sitôt fallait-il que je pose ma manette, soit pour sortir une feuille afin de faire des simulations visuelles, soit pour dégainer un appareil photo afin de figer une image clignotante, que ça me saoulait un peu. Je n’avais pas l’impression d’apprendre ou de maitriser une mécanique supplémentaire. J’avais juste le sentiment de devoir galérer pour gérer une version artificiellement complexifiée de quelque chose que je maitrisais déjà.

Dit autrement, c’est un peu comme si, après m’avoir appris à conduire une voiture, Cocoon m’invitait dans la foulée à apprendre à piloter une Formule 1 quand, de son côté, The Witness, lui, me proposait de remonter dans la même voiture, mais ce coup-ci pour apprendre à la conduire avec deux pneus crevés et le pare-brise opacifié.

Dans le premier cas j’ai l’impression qu’on m’invite à me dépasser.

Dans le deuxième cas, j'ai juste l'impression que je me fais bizuter.


The Witness, ça a été une trentaine d’heures de jeu en tout, mais en en passant la moitié à soupirer d’exaspération.

Cocoon, ça n’a certes été qu’une petite demi-douzaine d’heures, mais pas avec une seule minute de gras, de répétition, de plafonnement.

Jusqu’au bout – jusqu’à son final – le jeu a su tenir la cadence d’apprentissage. Et une fois a-t-il lâché tout ce qu’il avait à lâcher, il nous a laissé là. Au sommet. Sans rien gâcher.

Rien que pour cet aspect-là, je trouve que ce jeu c’est vraiment une pièce maitresse du jeu vidéo

…Mais il n’y a pas que ça.


Vous vous souvenez qu’en ce début de critique, j’avais laissé une question en suspend ?

Le moment est désormais venu de remettre ce sujet-là sur le tapis. Le moment est venu de conclure en vous expliquant ce qui a été pour moi le revers de baffe que m’a refilé ce jeu…

Un revers que je n’ai d'ailleurs pas vu venir…

Rappelez-vous : on parlait des jeux Playdead et de leur narrative design. On en parlait notamment pour celui d’Inside qui, en l'occurrence, s’avère particulièrement savoureux.

Très rapidement – pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Inside – rappelons juste comment, dans ce jeu, on parcourt tout un monde basé sur l’expérimentation, la prise de contrôle d’autrui et l’illusion de liberté, et cela alors qu’on incarne dans ce jeu un avatar dont on contrôle littéralement les faits et gestes, le tout pour se déplacer dans un parcours balisé – pensé par les développeurs – ce qui nous donne en bout de course là aussi une illusion de liberté.

Dit autrement : Inside pose comme sujet ce qu’il nous fait littéralement faire. Il questionne la place du joueur. Celui du jeu. Celui du développeur. Propos et expériences de jeu se retrouvent intriqués l’un dans l’autre. C’est malin…


Et pour Cocoon, me diriez-vous ?

A première vue, difficile de percevoir un quelconque propos dans ce jeu ; du moins difficile de ne pas considérer tout cet univers à base d’insecte et de cocons comme autre chose qu’un simple habillage qui a valeur de prétexte. A la manière de Mario qui passe de charpentier à plombier sitôt il s’agit de le faire sauter dans des tuyaux plutôt que sur des plateformes, l’insecte pourrait être perçu comme un skin lambda découlant de la mécanique de jeu. Rien de plus...

Alors oui, durant 99% du jeu, c’est ce qu’est l’univers de Cocoon : on est d’accord…

…Mais sauf qu’il y a quand même ce pourcent restant. Le tout dernier. Celui de la conclusion de l’aventure.

Parce qu’elle montre quoi, cette conclusion de l’aventure ?

Elle nous montre un truc tout con : elle nous montre le joueur passer de petit insecte à immense bestiole maitrisant l’univers tout entier. Or, si on y réfléchit bien, c’est littéralement ce qu’a fait ce jeu. Il a fait de nous quelqu’un qui « maitrise ». Dès lors, le maître étant, le jeu n’est plus. La maître le surpasse, l’englobe et, limite, y pose un terme.

Au fond c’est là l’histoire de tout jeu : une évolution qui passe par l’entremise d’une initiation, mais l’initiation arrivée à son terme, le jeu n'a plus de raison d'être. Il est laissé de côté. Ne reste plus que le joueur et l’expérience qu’il a tiré de sa partie.

Au départ c’est le joueur qui vit dans l’univers du jeu. A la fin, c’est le jeu qui ne vivra plus qu’à l’intérieur du joueur, pour ce qu’il a su lui apporter.

C’est certes simple, mais ça ne mange pas de pain. Et surtout je trouve que c’est à l’image de tout ce Cocoon : limpide.


Alors oui, sans hésitation, j’attribue à ce Cocoon la note suprême.

Ça ne veut pas dire que je le trouve parfait car, si je devais me montrer tatillon, je pourrais toujours lui trouver quelques défauts. (Allez, pour le principe : le jeu n’est pas toujours adapté au fait de jouer avec le mode nomade de la Switch, notamment du fait que certains interrupteurs s'affichent en particulièrement petit. Idem, comme c’est un peu la mode en ce moment, j’ai appris qu’on pouvait avoir accès à une fin secrète si on accomplissait certaines actions pour le moins cryptiques. Perso, c’est le genre de trip que ne me parle pas trop…)

Donc non : je ne mets pas 10/10 à Cocoon parce que je trouve parfait. Je mets 10/10 à Cocoon tout simplement parce que l’expérience de jeu qu’il a su me procurer fait partie des meilleures que j’ai pu avoir. Le genre d’expérience que je risque de remobiliser régulièrement en tant qu’étalon de plaisir.

Et au risque de surprendre, ce n’est pas cette mécanique de niveau dans le niveau qui a fait que mon expérience ait été aussi marquante. Du moins ça n’a pas été l’élément qui a été déterminant.

Moi, ce qui m’a transporté avec ce Cocoon, c’est cette maestria que j'y ai trouvé pour conduire mon expérience. Jamais de temps mort, jamais de difficulté insurmontable, mais toujours de la progression, toujours de l’apprentissage, et cela jusqu’au verrou final. Un verrou pensé pour être l’accomplissement de toute l’aventure. Un verrou dont le jeu a passé toute la partie à m'apprendre comment en forger la clef.


Ce genre d’expérience, menée avec un tel esprit d’épure, dépourvu de tout gras, j’en ai vraiment rarement connue.

Je pense que la dernière fois, c’était avec Portal.

Alors bravo à ce Cocoon, et surtout bravo à ce maître qui a su jaillir de ce cocon.

Jeppe Carlsen. Un nom que je ne connaissais pas jusqu’alors. Une petite fourmi industrieuse dans la vaste fourmilière vidéoludique. Un insecte parmi tant d’autres...

Désormais je sais, grâce à ce jeu, de quoi Jeppe Carlsen est le nom.

Il est le nom d’une vision qui, dans le jeu vidéo, me plait tout particulièrement.

Osons le dire : il est pour moi un nouveau maître parmi les maîtres. Tout simplement.

lhomme-grenouille
10

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le 14 mars 2024

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