Il y a deux différences majeures entre les jeux vidéo 3D et le cinéma. La première, qui saute aux yeux, concerne bien sûr l'interactivité ; la seconde, tout aussi évidente mais qui semble pourtant échapper aux commentateurs, se rapporte à la durée : il y eut une époque en effet où les jeux permettaient beaucoup plus qu'une demi-douzaine d'heures de partie à peine mais plutôt trois, quatre ou cinq fois ce nombre – et parfois même plus... Si cette durée de vie se voit le plus souvent garnie de scènes d'action, il arrive à certains titres de l'utiliser pour étoffer le récit ou mieux plonger le joueur dans l'ambiance... C'est-à-dire pour fournir une expérience de jeu plus aboutie.


Voilà comment Clive Barker's Undying nous présente une intrigue pour le moins sophistiquée, abondamment illustrée de scènes cinématiques de grande qualité, mais aussi articulée autour de procédés narratifs classiques, donc efficaces car éprouvés depuis longtemps, et tous très bien amenés pour ne pas rompre le rythme de l'aventure ; le tout soutenu par des personnages bien plus fouillés et diversifiés que la moyenne des titres du genre FPS, ceux de l'époque comme de nos jours, et dans une ambiance de lutte de pouvoir familial comme on en voit rarement d'aussi viscérale et glauque sur un tel média – en général plutôt réservé à un public vaste et donc édulcoré de ces passions humaines toutes chargées de morbide et de malsain qui font pourtant les histoires. Bref, plus qu'un simple scénario, c'est un récit au sens traditionnel du terme.


Ce qui n'étonne pas de la part de Clive Barker dont les productions dans le domaine de la littérature comme dans celui du cinéma témoignent toutes d'un sens narratif et d'une inspiration pour le moins exceptionnels – en tous cas dans le registre encore fort mal reconnu par les intellectuels du fantastique et de l'horreur. En nouvelles notamment, sa série Livres de sang (1984-1985) reste bien connue, et ses films Hellraiser (1987) et Cabal (1990) demeurent des références du genre ; il a depuis produit bien d'autres œuvres très souvent saluées par la critique comme par ses pairs, y compris sur des médias tels que le comics, en plus de se consacrer avec un certain succès à la peinture. On dit qu'il serait le représentant le plus connu du genre splatterpunk qui vise à renouveler le fantastique et l'horreur en s'inspirant du nihilisme et du réalisme punk...


Il y a pourtant une autre ombre qui plane sur Undying, dont l'aura reste bien plus renommée et respectée que celle de Barker, y compris par l'intelligentsia : c'est celle d'Howard Philips Lovecraft, qui avec Edgar Poe posa les bases de la littérature d'horreur. Ce qui du reste n'étonne guère là non plus puisque l'idée de départ du projet Undying consistait à s'inspirer de Lovecraft ; Barker, en fait, se vit commissionné après que le développement soit amorcé, pour retravailler l'ensemble tant sur le plan du scénario que sur celui du game design. De sorte que le nom de Barker dans le titre du jeu commence ainsi à évoquer plus une sorte de coup publicitaire qu'autre chose en fin de compte – même s'il faut un talent indéniable pour « copier » une inspiration aussi spécifique que celle de Lovecraft.


Mais si la trame générale du récit puise sans vergogne dans l'œuvre la plus connue du « Maître de Providence » – je parle bien sûr des Légendes du mythe de Cthulhu –, on retrouve néanmoins une influence assez évidente de Barker dans les détails du récit comme dans les lieux de l'intrigue ou encore même dans son bestiaire. C'est toute l'imagination aussi profondément torturée et glauque qu'enchantée et parfois merveilleuse de Barker qui s'étale ici : depuis le manoir maudit – élément classique du genre par excellence – jusqu'au voyage dans le temps, en passant par le monde fantastique d'Oneiros – ici décrit comme situé sur les berges de l'Enfer, même si son nom évoque une dimension du rêve – ainsi que les contrées maudites de terres oubliées par la civilisation et le repère de pirates pratiquant des maléfices innommables ; et j'en oublie...


Undying est en réalité une invitation au voyage vers des contrées qui défient l'imagination, bâties sur des arcanes et des sortilèges, où rampent dans l'ombre des horreurs issues de civilisations aux rites païens et satanistes. Vous aurez pour les combattre huit armes : certaines d'époque, toutes de bois et de métal, crachant du plomb dans un nuage de poudre âcre, et d'autres bien plus anciennes, faites de magie et de terreur, qui sèment la mort par des enchantements et des malédictions ; mais vous aurez aussi des sorts, qui puiseront leur force en vous, et qui vous permettront d'attaquer comme de vous défendre ainsi que de ressusciter vos victimes pour les mettre à votre service, ou encore d'observer à travers le torrent des siècles les événements magiques qui ont eu lieu là où vous vous tenez. Je vous laisse la surprise du reste.


Et vous aurez bien besoin de tout cet arsenal, croyez-moi sur parole, car vos adversaires sont redoutables à défaut de se montrer toujours en nombre. Intelligents au point de contourner les obstacles afin de mieux vous prendre sur les flancs comme à revers au lieu de suivre bêtement vos pas, ils se montreront aussi sournois que puissants et résistants. Vous devrez vite apprendre à combiner les attaques de vos armes et de vos sorts pour leur faire leur affaire, ce que du reste les mécaniques de jeu permettent mais aussi encouragent : elles ont en fait été bâties autour de cette possibilité précise, conférant ainsi aux combats un rythme souvent bien soutenu. Mais, rappelez-vous, Undying reste avant tout une œuvre d'ambiance, aussi évitez de trop vous laisser gagner par elle : vous pourriez ne pas prendre garde aux monstruosités cosmiques qui vous attendent juste au coin. Là.


Sur le plan de la réalisation, l'Unreal Engine a ici été considérablement modifié pour implémenter toutes les fonctionnalités nécessaires et dont le détail prendrait hélas trop de place. Les gens de Dreamworks Interactive démontrent une maîtrise assez étonnante de cet outil à l'époque bien capricieux – c'est encore celui d'Unreal Tournament – et en dépit de quelques choix architecturaux assez discutables, ainsi que de quelques erreurs strictement techniques dans la gestion des éclairages, le résultat reste encore de nos jours bien assez bluffant. Alors l'immersion est totale, et on s'y croit. Comme quoi, même une technologie de dix ans d'âge peut encore émerveiller quand elle se trouve entre les mains de gens qui connaissent leur affaire...


Par une nuit d'automne ou bien d'hiver, mais de préférence généreuse en éclairs et en tonnerre, lancez donc Clive Barker's Undying ; guidez Patrick Galloway à travers les méandres d'horreurs oniriques et de chaos rampants qui vous mèneront au roi non-mort à travers un dédale jalonné de folie, de fureur et de sang – de beaucoup de sang – : croyez-moi, vous n'oublierez pas ce voyage de sitôt...


Note :


En dépit de son immense succès critique dans l'ensemble de la presse spécialisée, Clive Barker's Undying connut des ventes décevantes de sorte que le correctif censé fournir au jeu son extension multijoueur ne vit jamais le jour. On ne s'étonne pas, du reste, que les gamers se soient en fin de compte assez peu intéressés à un titre dont l'attrait repose autant sur la lecture...

LeDinoBleu
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le 8 mai 2011

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LeDinoBleu

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