Catherine: Full Body
7.6
Catherine: Full Body

Jeu de Studio Zero et Atlus (2019PlayStation 4)

J’étais posé tranquillement dans un bar quand soudainement elle s’est assise juste en face de moi.
Pochette cartonnée aux reflets mats.
Illustration mélangeant rose sulfureux et figures innocentes de femme-enfant.
Et surtout ce titre…
Elle s’appelait Catherine. « Catherine Fullbody… »


J’avais déjà entendu ce prénom quelque part. C’était en 2011.
Moi je commençais déjà à m’éloigner tout doucement du monde du jeu vidéo, du coup nos routes n’avaient pas pu se croiser…
Mais avec le temps, j’avais appris à le regretter…
Il y avait eu tellement de gens qui m’avaient dit en soupirant : « Ah cette Catherine ! Tellement originale. Unique. Drôle. Mature… Tellement adulte. Si peu sont celles et ceux qui peuvent prétendre – même après plusieurs années de production vidéo-ludique – lui arriver à la cheville… »
Avec de tels récits, cette « Catherine » avait fini par me hanter.
Pire, j’ose l’avouer : elle avait fini par alimenter mes fantasmes.


Et la voilà qui était là, devant moi, en ce début d’année 2020, presque par surprise.
Et avec un nom supplémentaire en plus de ça… « Fullbody »
Etait-ce bien elle ? Etait-ce une suite ?
J’ai osé poser la question à la quatrième de couverture.
C’était bien elle. Embellie comme jamais par un petit voyage de la PS3 à la PS4.
Elle se disait même « plus riche. Plus équilibré[e]. Toujours plus complexe… »
J’étais séduit.
Je n’ai pas su résister.
Je l’ai invité à venir chez moi, visiter ma console de jeu.


Tout avait bien commencé ce soir-là.
Chaque étape des préliminaires était une surprise supplémentaire s’ajoutant à mon plaisir.
Je tirai la petite languette plastique qui fit délicatement glisser le blister le long de son corps délicat.
La pochette cartonnée glissa à son tour dans les secondes qui suivirent, laissant apparaître un élégant boitier en métal sérigraphié… Quelle classe…
Un léger « clac ». Le boitier s’ouvrit tout doucement.
A l’intérieur : une notice. Qui de nos jours entretient encore ce genre de raffinement ?
L’excitation monta encore d’un cran.
Le disque était juste là. A côté. S’offrant à moi.
Avec la plus grande des délicatesses, je m’en saisis et le glissa doucement dans la fente de mon lecteur.
Installation immédiate.
Premières images amusantes. Un brin grivoises mais tellement bon-enfant.
Et puis il y eut cet écran-titre. Séduisant.
Puis encore ce menu fait de touches de piano et de voix de crooner. Délectable.
J’appuyais sur « X » pour lancer une nouvelle partie.
Le plaisir ne faisait que commencer.
Et à ce moment-là, je n’étais absolument pas en mesure de m’imaginer ce qui allait m’attendre.


Première heure de jeu.
Ça y est. J’abandonne toute méfiance.
Un petit dessin-animé soigné.
Une transition audacieuse vers une phase déstabilisante de gameplay à base de casse-têtes.
Imagerie atypique. Une idée à la minute.
Et puis ensuite le retour à cette autre réalité : ce bar cosy, ces dialogues qu’on sollicite à l’envie, ces textos qu’on compose selon la manière dont on entend mener nos relations.
Et puis surtout cette question de la séduction. Du couple. De l’envie.
Et ce terrible dilemme opposant la raison à la passion.
Ces cordes qu’on se doit de tirer. Ces positions qu’on se doit de prendre.
Où cela allait-il me mener ?
Oh oui, tout me plaisait à ce moment là.
J’étais déjà en train de me dire que j’allais vivre l’une de mes plus belles histoires d’amour de ma vie de joueur.


Et puis vinrent les premiers signes…
Passé la deuxième nuit, le réveil fut brutal.
Beaucoup de cinématiques sur lesquelles je n’avais pas d’emprise.
Des choix finalement très restreints dans les textos à envoyer.
Et dès qu’on me posait face à un dilemme, très vite il apparaissait comme évident qu’on n’allait pas me laisser gérer ça à ma façon, même pas avec l’illusion d’un jeu « Telltale ».
Non, je ne contrôlais pas Vincent, mon avatar.
Je l’observais, c’est tout.
Le contrôle était réservé pour les phases de casse-tête nocturne.
Pour tout le reste, c’était soit de la cinématique passive, soit des dialogues qu’on lançait paresseusement avec la touche « X ».


Assez rapidement j’ai compris que « Catherine » n’allait pas beaucoup me laisser d’initiative en tant que joueur.
C’était elle qui allait mener la barque 99% du temps.
Elle avait son histoire. Ses événements. Et moi là-dedans je n’étais là que pour appuyer sur un bouton histoire de relancer la conversation. Ad vitam…


C’était évident. Je n’allais pas m’épanouir en tant que joueur dans cette relation qui n’entendait laisser aucune place à mon expression propre.
Mais bon, j’étais encore prêt à aller jusqu’au bout.
« Catherine » avait l’air d’avoir tant à me dire. Tant à explorer. Tant à donner. ..
Sauf que, quand elle apparut enfin face à moi totalement nue, j’ai alors compris que même cette promesse là était au fond une illusion.
« Catherine » n’était pas une femme fatale susceptible de me faire tourner la tête. Oh non…
Elle n’était qu’un ado fade sans profondeur ni vécu. Un ado à la toison lisse…


Car ils ont eu beau essayer de se faire passer pour des créateurs matures chez Atlus, le temps finit toujours par éventer les illusions.
Plus « Catherine » déroulait son histoire et plus ce jeu m’a affligé par la débilité de sa narration (débilité à prendre ici au sens littéral du terme), la candeur de son propos et surtout la dilution de son récit.


Vous espériez une intrigue sulfureuse ?
Vous espériez de vrais dilemmes moraux ?
Une profonde exploration des ambigüités du couple ?
Vous n’aurez que dalle de tout ça.
Pas la pointe d’un sein. Pas l’once d’une réflexion.
Juste un brin de suggestion et surtout beaucoup de moralisme conservateur dans le propos.
Le couple dans « Catherine » ça se réduit juste qu’à une simple peur de l’engagement.
Une peur binaire et condamnable sans équivoque.
Car la félicité ne peut se trouver que dans le couple. Tout le reste n’est que fuite.
Pire, tout le reste n’est qu’illusion et tentation du démon.
(Et si vous croyez que je pousse un peu trop loin l’image, finissez le jeu et on en reparlera…)


A aucun moment le jeu ne sait créer un dilemme émotionnel. (…mais le veut-il vraiment ?)
Jamais vraiment on se retrouve dans une situation où on se dit: « Ah ! Entre ces trois femmes, mon cœur balance ! »
Pourtant on voit bien que ces trois personnages féminins ont été réfléchis pour incarner chacun une forme d’attraction distincte.
Katherine est le choix raisonnable de la conjointe fiable et constante.
Catherine est le feu dévorant de la passion et de la luxure.
Quant au nouveau personnage importé par cette version « Fullbody » - Rin – elle incarne les charmes de l’innocence propre à la femme-enfant.
Ça aurait pu marcher si ces femmes avaient su être développées autrement que comme de simples stéréotypes vraiment faméliques et surtout si le jeu avait fait vraiment l’effort d’explorer chacune de ces trois pistes proposées ; c’est-à-dire s’il avait su nous apporter suffisamment d’éléments susceptibles de nous faire hésiter entre chacun de ces trois amoureux possibles.
Mais au final ça ne marche donc pas car au lieu de creuser ces questions, « Catherine » préfère répéter sans cesse les mêmes scènes, sans cesse les mêmes choses, et tout ça pour aboutir à un résultat ludique et narratif des plus navrants.


Navrant ludiquement, ce « Catherine » l’est car, en fin de compte, à aucun moment il ne parvient à donner du sens au peu d’actions qu’il laisse accomplir à son joueur.
Les choix de discussion n’ont finalement que très peu d’impact sur l’intrigue. Cela fait juste bouger une seule et unique jauge qui modifie à peine quelques réactions intérieures de Vincent. Rien de plus.
L’autre problème c’est que ces questions sont souvent creuses et on a du mal à comprendre quelle logique régit cette foutue barre binaire.


(Exemple le plus stupide parmi de multiples autres : si je préfère la politique à l’économie, ma jauge bascule du côté du mec sans scrupule en amour… Euh…What ?)


Et puis au-delà de ça se pose la question de la présence de ces phases de casse-têtes. Non seulement elles ne sont pas si intéressantes que ça mais en plus elles n’ont vraiment aucun lien avec le reste du jeu. A aucun moment une action dans le jeu de casse-tête n’impactera les phases de dialogues ni inversement…
Tout ça a donc des allures de gros bazar pas très cohérent et surtout pas très captivant.


Mais navrant, ce « Catherine » l’est malheureusement aussi d’un point de vue narratif.
Car en tout et pour tout, outre son discours totalement verrouillé et ultra-moralisateur, le scénario choque aussi par son incroyable incapacité à se mettre en branle.
Le surplace est permanent. On peut se retrouver – littéralement – avec une scène de presque dix minutes à tourner en rond autour de la même situation ; la chose s’empirant au fur et à mesure qu’on approche de la fin.


D’ailleurs cette fin constitue à elle seule une terrifiante illustration du naufrage narratif que représente ce jeu. Car non seulement il part dans une série de révélations totalement grotesques sur l’origine et les raisons de tous ces cauchemars assassins, mais en plus de cela il nous laisse avec un personnage de Vincent qui – jusqu’au bout – aura su incarner à la perfection l’archétype du loser cumulant tous les défauts possibles et imaginables : de la lâcheté à la passivité en passant par la fourberie.


Et j’aurais pu encore accepter un tel parcours de Vincent si la démarche du jeu avait été de nous démontrer qu’il était un effroyable loser totalement irrécupérable. Sauf qu’en fait ce n’est même pas le cas.


Dans la diégèse de « Catherine », on nous présente le Vincent de fin de partie comme un homme enfin devenu mature et adulte alors que, dans les faits, il est toujours resté la même raclure de bidet. Et que les scénaristes de ce jeu ne s’en soient même pas rendus compte, ça c’est quand-même bien tragique.
Parce que bon – on me dira ce qu’on voudra – mais Vincent c’est quand-même le mec qui se rachète auprès de Katherine en lui sortant tout le catalogue du parfait salaud.
Il affirme que ce n’est pas de sa faute s’il l’a trompé avec Catherine ; qu’il n’était pas dans son état normal ; qu’il était sous l’emprise de sa maitresse et qu’il n’a d’ailleurs pas à présenter d’excuse… (sic).


Je ne sais pas vous mais moi je trouve ça juste… Hallucinant.


D’ailleurs, comme un terrible aveu d’échec, il a fallu que – cerise sur le gâteau – la partie se termine avec une analyse de texte de la part du personnage de Trishia. Comme si les choses n’avaient pas été suffisamment claires pour nous, elle nous dit littéralement ce qu’il fallait comprendre des enjeux de cette romance.
L’occasion pour nous de constater les incroyables œillères dont ont été chaussé jusqu’au bout les auteurs de ce jeu.
Pire, l’occasion surtout pour nous d’observer toutes leurs lacunes en termes de narration.


Et franchement, moi, cette fin, elle m’a laissé avec l’une des plus terribles gueules de bois de mon histoire de joueur.
En seulement dix heures de jeu, l’écart de plaisir entre la première et la dernière heure est juste abyssal. De la promesse excitante, je suis passé en très peu de temps à l’affliction la plus profonde.
Une terrible sensation qu’il me faut d’ailleurs apprendre à gérer au moment d’émettre une note et un verdict au sujet de ce « Catherine ».


Généralement, un jeu au gameplay aussi pauvre et au propos aussi boiteux n’a aucune chance chez moi de dépasser la note de 3/10 – et c’est peut-être d’ailleurs la note que « Catherine » mériterait le plus si je m’efforçais d’être cohérent.
Seulement voilà, je n’arrive pas à renier le plaisir et l’excitation des débuts.
Et même si ce titre n’a fait qu’enchainer les déceptions sur toute la seconde moitié de la partie (si ce n’est même davantage) il a su créer, à un moment donné une « possibilité ».
Le jeu que « Catherine » a su me faire imaginer le temps d’un court instant était un jeu vraiment merveilleux. C’était une surprise. C’était quelque chose de jouissif. D’inattendu.


D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de penser que, tout aussi inabouti soit-il – et quel euphémisme ! – « Catherine » n’en reste pas moins un jeu qui a ouvert une porte.
Oser aborder la thématique de l’adultère.
Oser s’insérer dans le créneau de jeu coquin alors qu’on est un studio qui a pignon sur rue.
Oser multiplier les singularités visuelles et les univers décalés.
Tout ça, pour moi, cela relève d’une audace plus que salutaire dans le monde du jeu vidéo.


Ainsi – juste pour la beauté de l’initiative – je ne peux m’empêcher de valoriser d’une petite étoile supplémentaire. Car aussi étonnant cela pourra-t-il paraître, je pense que je vais garder un souvenir assez durable de ce « Catherine ». Certes, ce sera pour se dire qu’il aurait pu être génial, mais pour moi, ça, ce n’est déjà pas rien.
Car aussi immature et inexpérimenté pouvait être ce jeune adolescent que j’ai découvert sous la jupe de « Catherine » au moins a-t-il su démontrer qu’il avait une certaine maitrise dans l’art de l’illusion.
Et même si les illusions laissent toujours des souvenirs amers car suivent systématiquement derrières des désillusions, il n’empêche que l’illusionnisme est aussi l’un des attributs majeurs de l’artiste.
Du coup, à cette « Catherine », j’ai envie de lui dire : « A la revoyure, peut-être. »
Qui sait ? On se reverra peut-être le jour où tu auras grandi et que tu auras un peu plus de choses à dire sur la vie…

lhomme-grenouille
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le 13 févr. 2020

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