Black Mirror
4.9
Black Mirror

Jeu de KING Art Games et THQ Nordic (2017PlayStation 4)

Remake/reboot d'une trilogie de Pointé-Cliqué PC du début des années 2000, Black Mirror est plus proche du pendant cinématographique qu'a pris le genre avec les productions de feu Telltale, que du jeu de puzzles narratif classique auquel pouvait appartenir la série originale. Cette production de King Art Games, studio de développement allemand déjà auteur de quelques jeux d'aventure, un peu obscures mais sympathiques (The Raven et le deux Book Of Unwritten Tales), nous pose dans la peau de David Gordon, héritier potentiel d'un manoir (non, non il est pas hanté, je vous assure) perdu dans les Highlands. David, qui a grandit et vit en Inde, retourne "chez lui" pour élucider le mystère de la mort de son père.


Dark Peak


Black Mirror porte ses stéréotypes du genre d'épouvante comme un badge d'honneur: on est en Écosse; il fait nuit pratiquement 23 heures sur 24; on est en 1926 et on n'a que des bougies pour éclairer une baraque gigantesque au gardien vieux et à moitié aveugle, et au majordome parfaitement louche; le cimetière familial est à côté de la chapelle familiale, que l'on aperçoit de la cuisine; les tableaux des ancêtres font deux fois la taille des personnes vivant encore dans le manoir; et évidemment la moitié des choses verrouillées s'ouvre avec des clés étranges que personne n'est fichu de mettre dans le bol à l'entrée à côté de la porte, comme toute personne sensée le ferait. En un mot comme en cent, c'est ma came.


King Art Games s'en sort avec les honneurs à la direction artistique du jeu. C'est cliché, mais c'est bien fait. Les décors peu variés sont néanmoins splendides. Chaque salle regorge de détails qui sous-entendent la grandeur et la longévité de la famille Gordon: les armures médiévales, les riches décorations des armoires et bureaux, la bibliothèque sur deux étages ou encore la salle à manger pouvant aisément accueillir quinze convives avec l'argenterie correspondante. C'est modélisé et éclairé avec un certain savoir faire et l'atmosphère n'en est que plus épaisse, enrobée qu'elle est dans un joli fog. Les personnages sont, intelligemment, designés avec un aspect cartoon dans leurs proportions; cela permet d'éviter la vallée de l'étrange qu'un faible budget en modélisation, textures et animation entraîne forcément avec des modèles que l'on tente de rendre plus proches de la réalité. Alors certes, on pourra parler des cheveux de Playmobil que l'ensemble du casting se coltine, et de la faiblesse des effets spéciaux, en particulier en ce qui concerne les entités spectrales éventuelles, elles-mêmes pas recherchées esthétiquement. Mais compte tenu de la valeur de production, la direction artistique et sa réalisation technique sont efficaces.


Tant qu'à rester sur quelque phrase d'éloges, j'évoquerai aussi les doublages convaincants, et la musique essentiellement ambiante, mais qui jouit d'un excellent thème principal à la cornemuse, tout à fait dans le ton et immédiatement mémorable.


On voit sous ton kilt...


Mais c'est avec le mixage sonore que les choses se corsent. La librairie de bruitages est limitée, et la composition de l'environnement sonore est souvent inefficace pour décrire ce que l'on fait, voire casse purement et simplement l'ambiance en étant trop silencieux ou en décalage avec les animations à l'écran. À ce titre, plus on atteint la fin de l'aventure, plus on se retrouve avec pour seule compagnie auditive les voix des personnages et un maigre bruit de pas ou de porte qui s'ouvre. Une scène particulière était tellement silencieuse que l'on pouvait entendre un des acteurs déglutir après sa ligne de dialogue...Le son est généralement marquant quand il est raté, dans la mesure où ce n'est pas ce qui saute aux yeux (pun intended) s'il est réussi ou au moins médiocre.


Ce qui saute aux yeux en revanche, ce sont les performances d'affichage catastrophique quelque soit la version console. Pour le contexte, j'avais déjà démarré le titre, l'année passée, dans sa version PlayStation 3 proposée sur le service de streaming PS Now. Ne comprenant pas les soucis de rafraîchissement de l'image, j'avais supposé que la connexion était responsable et avait lâché le morceau après le second chapitre. Pour avoir fini le titre en l'installant dans sa version PlayStation 4 cette fois-ci, je peux affirmer que la faute incombe à la finition du jeu, et non aux serveurs PS Now. Le jeu tourne rarement à son framerate maximum et souffre de beaucoup de toussotements qui hache l'action et décale le son et l'image durant les séquences cinématiques, comme je le disais plus tôt. Pire, le jeu se divise en salle qui requièrent un chargement à chaque passage de l'une à l'autre; et ces chargements peuvent durer plusieurs secondes, même pour des salles de petite taille. S'agissant ici d'un jeu d'aventure où l'on va fatalement faire des allers-retours pour chercher des items et les faire interagir à divers endroits du jeu, on va parfois se taper des dizaines de secondes de chargement entre deux actions, ce qui poignarde le rythme de jeu.


La résidence de l'Enfer


Cela se combine également à une prise en main loin d'être idéale. Le jeu opte pour des caméras fixes ou en tracking-shot sur lesquelles le joueurs ne peut agir que pour légèrement orienter la direction. Déjà le personnage bouge relativement à la caméra et non relativement à lui-même. C'était déjà un souci dans les années 90-2000, c'en est toujours un aujourd'hui: si la caméra est fixe et les changements de caméra réguliers, la meilleure solution, se sont les contrôles "tank" ou alors la solution Quantic Dream, de mettre le mouvement vers l'avant sur une gâchette comme pour un jeu de course, réduisant les changement de direction. Ici en l'absence d'une des deux solutions, on se retrouve donc à gigoter dès que le personnage passe sous un nouvel angle de vue qui demande une orientation différente du joystick gauche. En plus de cela, la sensibilité (non réglable) du joystick droit décourage d'utiliser la partie manuelle de ce système de caméra. Et comme le personnage se déplace rapidement pour un protagoniste de jeu d'aventure (ce qui pourrait être un atout) simplement bouger et s'orienter dans la bonne direction pour interagir avec le décor peut se révéler très agaçant.


Les maladresses ne s'arrêtent pourtant pas là. Le personnage passe les portes et ouvertures entre deux salles sans pression d'un bouton, simplement quand il les touche. Vous imaginez bien que forcément, avec des changements de caméra et la vitesse du personnage, il arrive de temps à autre que l'on passe par une porte involontairement, se tapant par la même occasion la double peine du chargement pour entrer, puis du chargement pour sortir. Et comme si tout cela ne suffisait pas, d'un strict point de vue de l'orientation, le jeu fait un travail exécrable pour que le joueur comprenne où il se trouve.


Passer une porte amène souvent à voir le personnage sous un angle tout autre, parfois même pas avec la porte d'où il vient dans son dos. Bref la continuité de mouvement, base du cinéma qui est également utile à comprendre pour ce genre de titre, est brisée à peu près pour chaque transition entre salles. Et certains couloirs, par leur longueur et les salles où ils mènent, semblent faire peu de sens au regard de l'architecture du manoir et de l'endroit par où on y accède. Je veux bien donner le bénéfice du doute aux développeurs de King Art Games, et croire qu'ils ont réalisé le jeu à partir d'un plan de la bâtisse qu'ils ont tracé; je veux bien croire que le manoir soit en réalité "à l'échelle" et fonctionnel. Mais le fait est que, même pour une personne avec un bon sens de l'orientation (je me perds très rarement IRL ou dans des jeux en 3D) une carte n'aurait pas été du luxe. Et quand certains lieux comme la porte fenêtre de la salle à manger et celle de la cuisine (deux pièces littéralement diamétralement opposées) mènent à la même partie du jardin, la confusion n'est que plus aisée et le doute sur l'architecture du manoir n'en est que plus intense.


Les menus ne sont pas non plus exempts de défauts. Déjà sur console, on ne peut naviguer qu'au joystick et en changeant d'onglet avec les gâchettes. Ça pourrait amplement suffire si les développeurs n'avaient pas également décidé d'attribuer les flèches directionnelles à des raccourcis vers les sous-menus (ce qui peut servir quand on est en jeu, mais pas dans les menus). Et je sais que ça n'a l'air de rien, mais j'ai tendance à naviguer dans les menus avec les flèches et à jouer avec les joysticks. Ici j'ai donc passé mon temps à changer de menu ou à le fermer. Car si vous pressez deux fois la même flèche directionnelle dans ce menu, le jeu considère que vous voulez en sortir et vous remets dans le jeu...et comme l'ensemble du jeu tremble dès que l'on affiche un menu, je vous laisse deviner la fatigue que provoque le jeu au global pour sa navigation, que cela soit dans les décors ou dans les menus.


Scottish Horror Story


Pour ce qui est du reste, s'il n'était pas autant tiré vers le bas par une finition qui dénote d'une sortie précoce, Black Mirror serait un chouette jeu d'aventure épouvantable, lorgnant plutôt du côté du walking simulator à la troisième personne que du Myst-like. L'histoire se révèle à un bon rythme, sur une durée plutôt courte, à son avantage: en environ six heures, on en voit le bout. Le jeu se divise entre exploration des différentes salles, interactions clairsemées sous forme de quelques rares puzzles, et essentiellement d'objets à amener au bon endroit, ou de conversation à avoir au bon moment. Les dialogues n'offrent pas d'alternative scénaristique comme le veut la grande mode des années 2010, mais ça n'est pas forcément au détriment du jeu. Il y a également des quelques passages où l'on doit "étudier" une séquence passée, révélée par les vision de la famille Gordon dont a hérité le héros; il faut alors chercher un élément important dans cette scène sans se faire voir par les fantômes...ces passages sont franchement dénués d'intérêt, le challenge posé par les fantômes étant à la fois ridicule et ennuyant. Globalement, il s'agit plus d'une expérience "cinématographique", si l'on put dire sans que cela soit insultant en soi, que réellement cérébrale, au moins en ce qui concerne les mécaniques de jeu.


Au final, c'est avec une légère amertume que je ressors de l'expérience. Black Mirror n'est pas ce qu'on pourrait appeler une perle cachée. Son ambiance d'épouvante et sa jolie architecture, qui portent une histoire classique mais fonctionnelle pour tenir en haleine jusqu'à la fin, sont irrémédiablement tirés vers les abysses par une technique au rabais qui réduit l'expérience du joueur, comme la mise en scène, à peau de chagrin, au fur et à mesure de l'aventure. La chose que j'en retire le plus au final, c'est l'envie de faire la trilogie originale.

seblecaribou
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le 4 oct. 2021

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seblecaribou

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