Et pourtant j'ai adoré Heavy Rain et Fahrenheit.

(pas de gros spoils, juste quelques détails sans importance)


Oui, je suis de ceux qui adorent les jeux de Quantic Dream.
J'ai dévoré Fahrenheit (à l'époque c'était dingue et jamais vu) et surtout, Heavy Rain qui malgré certains défauts fut un thriller "dont vous êtes le héros" réellement palpitant et toujours pas dépassé aujourd'hui de mon propre avis.
Puis vint aussi l'adaptation du comics The Walking Dead qui a repris le délire d'Heavy Rain pour raconter un road movie sociologique en milieu hostile (les zombies) plutôt bien écrit, rythmé. J'ai donc beaucoup aimé aussi, même si le jeu m'a déçu avec des choix qui ne servaient pas à grand chose et une progression linéaire contrairement à Heavy Rain. Donc sympa à suivre, poignant, mais carrément moins ambitieux.
Bref tout ça pour dire que j'adhère totalement à ce type de jeu, alors forcément j'ai grandement attendu Beyond Two Souls. En me repassant le concept établi par Fahrenheit qui fut amélioré dans Heavy Rain, je me suis dit que dans Beyond on atteindrait l'apogée du "storytelling" avec choix moraux qui déterminent la suite de l'aventure, sans game over, avec la possibilité de perdre des personnages selon nos actions.


Visuellement superbe avec une motion capture encore plus poussée, Beyond repousse les limites du jeu vidéo visuellement avec des expressions saisissantes de réalisme. Hélas, hélas... Beyond est aussi une régression dans le genre quand on repense à Heavy Rain ou autres jeux du genre.
M'est avis que David Cage a fait une énorme connerie en voulant engager Page et Dafoe. Car forcément ça coute du fric, et forcément, ça nécessite de se magner le cul et donc au final, de bâcler pas mal de choses. Peut être que ce choix d'offrir un acting hollywoodien a tout simplement uniformisé le jeu en un projet linéaire.


Alors qu'est ce que c'est au juste, Beyond ? En retirant certains passages, c'est très proche d'un film intéractif (Heavy Rain restait un vrai jeu pour moi, dans son style) avec quelques bonnes idées pour avancer (le contrôle d'Aiden, excellent mais finalement très limité). Mais quand ce "jeu-film" propose une histoire façon Carrie aux 4 coins du monde et qui pourrait finalement être résumée en quelques lignes, ça fait mal. On est très rarement impliqué dans cette histoire et même niveau gameplay car le coup des ralentis avec simples directions à pousser dans les combats = plus aucune tension, à l'opposé des QTE bien pensés d'Heavy Rain, c'est trop simplifié.
Où est passé ce savoir-faire Quantic Dream qui me scotchait au pad du début à la fin ? Ellen Page incarne un personnage touchant mais ce n'est pas assez.
Autant lorsque j'entendais la mauvaise foi des gens qualifiant Heavy Rain de téléfilm M6 ça me faisait sursauter (il ont pas du voir beaucoup de téléfilms M6), mais dans le cas de Beyond c'est presque ça durant la majorité du jeu. Des personnages globalement creux si on met à part Ellen qui commence à vraiment prendre de l'ampleur vers le dernier quart de l"histoire, une dimension fantastique lourde mis à part sur la fin (vraiment hein), très peu de rythme, des chapitres inutiles ou totalement barbants, parfois à la limite de la caricature.


Certains passages "inutiles" avaient une raison d'exister dans Heavy Rain, chose que beaucoup de gens n'ont pas compris : genre bercer le bébé avec Shelby ou prendre une douche avec Madison - ce sont des procédés cinématographiques et scénaristiques, certes, pas passionnant à jouer mais tout à fait pertinent dans le contexte du jeu (je ne peux pas m'étendre sur ce sujet sans spoiler). Et surtout, ils étaient très courts, ces passages.
Mais dans Beyond il n'y a strictement aucun intérêt à préparer la bouffe pour discuter vite fait avec le type de la CIA puis tomber en larmes pour qu'il se casse ensuite durant un chapitre entier. A QUOI CA SERT DE LE FAIRE AUSSI LONG ? On va me répondre, pour s'attacher à Jodie et sa possible relation amoureuse, et mieux comprendre Aiden... Mais désolé ça ne fonctionne pas. Je veux dire, on a compris à force, que Jodie avait du mal à vivre avec Aiden, on nous cesse de nous le "répéter", alors pourquoi ne pas plutôt s'attarder sur une histoire prenante avec elle et son hôte ?
Et que dire du passage grand guignolesque du laboratoire où j'avais l'impression d'avoir relancé AMY version AAA. Ou même du passage long et lourd avec les indiens. Où même de la scène cliché ado punkette qui manque de se faire pécho dans le bar. Sérieusement, non.


Les choix (grande force d'Heavy Rain) lors ces chapitres ne servent également pas à grand chose, à part interagir un minimum et gagner des trophées. Alors que dans HR, on était sous pression en permanence en "vivant" l'histoire auprès des héros et en choisissant psychologiquement les voies à suivre. Cage le disait lui-même : "je veux que les joueurs jouent avec leur tête, plutôt qu'avec leurs pouces". C'est une phrase qui a été très mal prise par mal de gens mais personnellement j'ai très bien compris ce qu'il voulait dire après avoir fini HR. Mais dans Beyond, non seulement on ne joue pas avec les pouces (façon de parler pour dire qu'on joue "peu"), mais pas avec la tête non plus ! Alors qu'avec Aiden, Quantic Dream aurait pu révolutionner le genre point n' clic avec des énigmes bien pensées.
A aucun moment, si ce n'est vers le dernier quart du jeu où on nous propose enfin de vrais choix, je n'ai ressenti cette pression propre à HR et même à Fahrenheit et The Nomad Soul. On suit Jodie passivement sans réellement réfléchir et sans aucune fascination pour cette histoire inutilement découpée temporellement. Le fond est intéressant, le concept est intéressant, mais l’exécution me laisse perplexe.
Mais heureusement la fin intelligente et presque touchante rattrape.


David Cage disait qu'il s'était inspiré d'une expérience personnelle (la perte d'un proche de manière brutale et injuste) où on se retrouve en roue libre à essayer de chercher à savoir s'il existe quelque chose pour cette personne, ailleurs, n'importe où. C'est un sujet qui me touche beaucoup, mais c'est trop peu abordé dans le jeu. Il tenait un sujet très profond qui aurait pu me faire tomber à genoux, et il l'aborde que ponctuellement de temps à autres et de manière souvent trop légère. J'ai été touché, par certaines scènes à ce propos quand même, mais c'est tellement vite expédié et noyé dans un scénario peu intéressant...
Mais heureusement ! La (voire les) fin donnent au jeu tout son sens à ce propos, et même vis à vis d'Aiden. C'est très bien trouvé, mais dommage que ce sursaut d'intelligence sur ce thème survienne qu'à cette toute fin.


En fait, Beyond rejoint cette catégorie de films où on s'ennuie la majorité du temps pour finalement être convaincu par un dernier chapitre qui change la donne. Mais comment oublier tous ces moments d'ennui profond... Impossible. On est dans un jeu, pas dans un film. Si on se fait chier les 3/4 du temps dans un jeu vidéo ça ne va pas. Alors ce procédé du "ah mais en fait, ok je comprends mieux ! Ah ouai pas mal !" à la fin ne fonctionne pas dans Beyond car c'est un jeu vidéo, certes proche d'un film, mais un jeu quand même. On ne joue pas à un jeu pour se faire chier.
Alors faire un un jeu linéaire avec un bon dénouement final, je veux bien, mais il aurait fallu faire des séquences réellement intéressantes à suivre et à jouer ! (surtout à suivre vu le genre)


Après courte réflexion, voilà comment j'aurais vu Beyond en reprenant le schéma Heavy Rain en plus poussé (exemple un peu à l'arrache) :
Exit le découpage temporel inutile, on suit la vie de la jeune Jodie, mais assez rapidement et de manière résumée. Au bout d'une heure on commence à avoir des choix à partir de son adolescence : rester dans le centre et participer activement à des recherches, s'engager dans la CIA, ou tout simplement se casser pour échapper à tout ça.
Et pourquoi ne pas incarner d'autres personnages comme Dafoe ? (mon plus grand questionnement alors que QD m'ont toujours habitué aux multiples personnages)
Bref proposer plus d'options et de vrais choix avec impacts, de vraies branches scénaristiques quitte à raccourcir la durée de vie et offrir de la rejouabilité.
Établir aussi une courbe de bien/mal pour notre Jodie selon nos actions (même avec Aiden) qui influencera certains éléments scénaristiques non contrôlables par le joueur (on revient au concept du "c'est toi qui a agis comme ça par le passé, tu assumes les conséquences"). Le tout, en développant cette psychologie bouleversante lorsqu'on perd quelqu'un et en incluant le concept final.
Je ne suis pas développeur et je ne sais pas si ça aurait été possible, mais en imaginant ceci 5 min, Beyond aurait pu être un jeu d'aventure à choix formidable, surtout avec l'excellent gameplay Jodie/Aiden qui avait beaucoup de potentiel mais qui est totalement sous exploité, assisté et limité dans le jeu encore une fois. Il suffit de voir le passage infiltration, même si peu poussé, qui apporte un gameplay intéressant pour ce type de phase. Un jeu d'enquête/action/infiltration avec des choix de partout et une dimension scénarisée omniprésente ? Ça l'aurait fait. Tetsuo (Akira) the game, pour le bien ou pour le mal. Tadaaadinnnn //HansZimmer
C'est ça que j'attendais avec Beyond. Un jeu prenant, rythmé, riche dans sa narration et dans ses choix.


Mais voilà, au mieux Beyond est un "beau" divertissement, pas très intéressant à suivre et à jouer mais qui vaut quand même le coup d'être suivi jusqu'au bout pour connaitre le dénouement de l'histoire si on accroche au genre.
- Car je le répète - :
La fin sauve le jeu du naufrage presque complet et donne à l'histoire tout son sens.


Je suis malgré tout réellement contrarié après l'avoir tant attendu et je ne sais même pas si Quantic Dream arriveront à se relever après un tel soft gouffre à fric qui se vend (logiquement) mal. Tristesse. S'il y a bien une "émotion" que me fait ressentir ce jeu, c'est bien celle là.


Alors 5 quand même, pour le concept d'Aiden, pour certains chapitres qui restent excellents (l'infiltration en pleine guerre civile avec une vision réaliste des conflits, l'échappatoire dans la forêt et quelques autres passages), pour ce final certes "fantastique" mais plutôt intelligent, pour Ellen Page (acting parfait) dont je suis amoureux et pour Willem Dafoe (idem) que je trouve toujours autant charismatique avec sa sale tronche. Et puis 5 car visiblement des gens ont été touchés par le jeu mais ça n'a pas été vraiment mon cas (seul le passage en pleine guerre et le final m'ont marqué).
Je me retrouve "presque "dans la même catégorie que les détracteurs d'Heavy Rain à l'époque donc j'émets le doute sur le fait que subjectivement, je n'ai tout simplement pas accroché au trip global.


PS : Cage est visiblement un fan de Metal Gear Solid. Ceux qui ont fait le 3 et le 4 comprendront.

Raoh
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le 29 déc. 2013

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