Liberté et Immersion. Telles sont les deux notions fondamentales qui, seules, parviennent à décrire parfaitement Arx Fatalis. Le premier né d’Arkane Studios est un véritable petit bijou auquel il faut avoir joué au moins une fois. Arx Fatalis est une expérience unique et mémorable, dans laquelle la liberté laissée au joueur est totale.


La liberté dans le jeu vidéo… Voilà un sujet délicat traité de pleins de façons différentes selon les écoles de développement. Malheureusement, c’est une notion qui tend à s’effacer dans les jeux modernes, et c’est d’autant plus dommageable pour les jeux de rôle. Si vous êtes un habitué des jeux vidéos récents, jouez à Arx Fatalis. Votre définition sur ce qu’est la liberté dans un jeu de rôle va s’en voir totalement chamboulée. Arx Fatalis vous lâche dans son monde sans ménagement. Le jeu vous explique les mécaniques de base, et ensuite débrouillez-vous. Vous n’êtes pas spectateur, vous êtes Am Shagar. Le jeu respecte votre intelligence, vous n’êtes pas gavé d’indications, d’interfaces vous indiquant que faire, où aller en permanence, non, c’est à vous de vous investir dans le jeu, de batailler pour survivre, pour appréhender les mécaniques plus complexes du jeu, à vous frayer un chemin dans le monde sous-terrain et inhospitalier d’Exosta. Vous parvenez à sortir de la prison gobeline, et une fois dehors vous vous apercevez d’une chose : vous n’avez plus d’objectif. Et oui ! Pas de quête principale qui s’active automatiquement et systématiquement. Alors que faire, par quoi commencer ? Le territoire Troll semble trop bien gardé, un gobelin hargneux refuse de vous ouvrir une grille… Mais vous avez déjà rencontré quelques humains, il doit donc bien y avoir de la civilisation quelque part… Vous explorez donc sans savoir sur quoi vous allez tomber, vous vous rendez compte que les combats ne sont pas évidents, ils ne se maîtrisent pas d’un coup d’un seul, vous vous faites rétamer par ce que vous pensiez n’être qu’une araignée de pacotille… Quelle joie quand, enfin, vous parvenez dans la ville d’Arx ! Ca y est, vous pénétrez dans un lieu plus amical, plus civilisé, servant de point de base avant de devoir repartir à l’aventure, dans ces galeries toujours plus profondes, plus inquiétantes.


«Liberté, liberté chérie...». Les développeurs d’Arkane connaissaient bien leur Marseillaise. La liberté est donc totale dans la structure du jeu. D’une part vous n’êtes pas guidé, vous obligeant à réfléchir, à agir par vous-même si vous voulez progresser, mais surtout, le jeu s’adapte à TOUTES les situations. Je dis bien toutes. Dans Arx Fatalis, la quête principale ne se bloque pas si vous décidez de tuer un personnage important : elle continue en prenant ce paramètre en compte. Certes, si vous faites ça vous n’aurez pas toutes les clefs de l’histoire, certains dialogues – et donc indices – précieux ne seront pas déroulés, mais ainsi vous aurez accompli le but de chaque jeu de rôle : vous aurez écrit votre propre histoire, sans que des développeurs peu imaginatifs soient venus vous sermonner et vous obliger à suivre une quête linéaire et déjà toute tracée.


Tenez, quelques exemples. La première mission que le roi Lunshire vous donne consiste à déblayer le passage reliant l’avant-poste à la ville d’Arx. Pour cela, vous devez normalement négocier avec le roi des Trolls. Problème, lors de ma première partie je m’étais introduit «à la dure» dans le territoire des Trolls. Je me suis fait berné par la longue tradition fantastique qui veut que les Trolls sont toujours «méchants», et donc je les ai massacré, littéralement… Ce n’était pas facile (les Trolls sont des durs à cuire), mais la chose était faite. Sauf que dans Arx Fatalis, les Trolls et les Gobelins ne sont que des races «civilisées» parmi d’autres, et donc le jeu chamboule un peu votre morale de joueur. En tuant les Trolls, vous tuez des innocents, et vous vous mettez ensuite à dos tous les autres Trolls du jeu. Mais le jeu prend en compte cette éventualité, et même en tuant les Trolls vous trouverez un moyen pour progresser ! Un autre exemple probant se situe dans le passage avec le groupe de rebelles. Là encore, le jeu vous met face à choix moral et vous garde dans le doute. La chef des rebelles vous donne un objectif, à vous de voir de quel côté vous vous placerez, et si vous obéirez ou non. Je ne veux pas trop en dévoiler, mais sachez que si vous décidez de vous écarter de la manière «normale» de suivre la quête principale, vous pourrez quand même venir à bout du jeu. Ainsi, chaque joueur construit sa propre histoire, aspect fondamental pour un jeu de rôle.


Bien sûr, la liberté d’Arx Fatalis n’est pas licence. Je dirais même qu’il faut conquérir sa liberté, signe d’un jeu bien conçu. Si le jeu ne vous prend pas par la main et vous laisse libre d’explorer et de progresser à votre guise, il faut de l’expérience pour maîtriser les mécaniques qui vous permettront de progresser, dont la magie qui s’avère de plus en plus utile – voire nécessaire – au fur et à mesure que l’histoire avance. Ainsi, Arkane Studios freine vos trop grandes ambitions, vous remet les pieds sur terre et vous rappelle que vous n’êtes qu’un débutant, et qu’il va falloir se battre et explorer pour découvrir les équipements et les runes qui vous aideront à affronter dans de bonnes conditions les passages les plus ardus du jeu. Parce que vous pouvez bien décider d’aller vers les tous derniers niveaux du jeu dès le début, mais avec un simple os comme arme, vous n’allez pas faire long feu. De la même manière, vous pouvez, comme moi, décider par moment de jouer comme une brute, et de tuer certains personnages importants, mais il y a toujours une contrepartie. Le monde d’Arx Fatalis est un monde organique, et le jeu vous fait bien comprendre que vos actions ont des conséquences irréversibles. Chaque personnage, chaque monstre dans Arx Fatalis est unique et irremplaçable – comme dans les jeux Gothic. Déjà rien que ça contribue à rendre le monde dans lequel on évolue vivant, immersif, et surtout, cela vous fait réfléchir à chacun de vos actes. Chaque personnage tué disparaîtra à jamais, et il peut très bien être un personnage important. Ainsi, j’ai attaqué les Trolls au début du jeu, et par la suite tous les Trolls se sont montrés hostiles envers moi. Si vous ne souhaitez plus être au service du roi, très bien, tuez-le, mais dans ce cas-là attendez-vous à une partie très difficile : tous les humains d’Arx vous attaqueront, et vous n’aurez plus le fil conducteur de l’histoire, vous devrez donc progresser entièrement par vous-même, sans indices sur que faire, ni où aller. Dans ma partie, j’ai tué un personnage dont j’ignorais la fonction, et quand je me suis renseigné après avoir fini le jeu, j’étais sidéré par ce que j’avais fait, et sidéré par l’intelligence du jeu. C’était peut-être le personnage le plus important, mais je l’ignorais, et pourtant le jeu a pris en compte cet élément : j’ai bâti ma propre aventure. Arx Fatalis est donc, comme tout RPG digne de ce nom, un modèle de progression, liant adroitement liberté totale dans la manière de mener l’histoire principale, et restrictions dues à la difficulté qui vous rappellent qu’il ne faut pas vous reposer sur vos lauriers. La liberté, dans Arx Fatalis, ne consiste pas à vous rendre bêtement surpuissant dès le début du jeu, mais à vous faire acquérir votre puissance par vos propres moyens.


Oui, car je n’en ai pas parlé, mais Arx Fatalis est assez difficile. Difficile d’une part parce que, comme je l’ai dit, vous n’êtes jamais pris par la main, et donc vraiment c’est à vous de vous investir dans le jeu pour pouvoir progresser, ce qui vous amène à faire corps avec ce monde. Petit à petit, vous découvrez les spécificités de tous les étages du monde de jeu, vous connaissez tous les personnages, savez où se trouve chaque lieu important et comment vous y rendre par vous-même, etc. Si au début le monde paraît hostile, on apprend à l’apprivoiser, car pour avancer dans Arx Fatalis, vous devrez partir réellement à l’aventure, explorer des lieux sans indication précise, vous servant juste des repères que vous avez appris à connaître ou qui sont donnés par des personnages pendant une mission. Cela peut être déroutant pour un joueur moderne, de ne jamais être guidé en permanence par des flèches ou par un GPS, mais quand on a l’habitude de la difficulté des anciens RPG, c’est tout à fait dans la norme des jeux de rôle.


Difficile d’autre part car le jeu nous confronte régulièrement à des montées de difficulté qui vous sortent totalement de votre zone de confort. Il y a toujours CE moment dans les vieux RPG, ce moment où, alors que vous croyez être arrivé à un stade où vous vous pensez suffisamment puissant pour vaincre n’importe quelle menace, le jeu vous confronte à un pic d’une difficulté phénoménale qui vous amène à reconsidérer entièrement votre manière de jouer. Dans Gothic II, par exemple, c’est le Chapitre IV qui représente le passage vraiment difficile du jeu, dans Arx Fatalis, la difficulté prend son envol lorsque le jeu nous confronte aux Ylsides dans la ville d’Arx. C’est vraiment le passage qui freine vos ardeurs, et qui pourrait amener des joueurs peu téméraires à abandonner le jeu. J’ai pour habitude de jouer en style guerrier dans les RPG, mais j’ai appris dans les anciens jeux de rôle que se cantonner à ce mode de jeu est rarement fiable sur le long terme. C’est ce que j’adore dans ces RPG : ils ne veulent pas que vous jouiez en permanence de la même façon, et donc pour ça ils vous mettent face à des ennemis très puissants pour vous inciter à exploiter les différentes mécaniques du jeu, et non pas une seule et unique pendant toute votre partie. Et donc, naturellement, quand viennent ces passages on se voit obligés de nous familiariser avec la magie, qui deviendra vite notre plus grande alliée pour finir le jeu (faille temporelle, drain de vie, lévitation..., qu’aurais-je fait sans vous?). Voilà comment on construit un jeu intelligemment, poussant le joueur à varier ses approches, à jouer avec ingéniosité pour passer les obstacles, et à ne pas se reposer sur ses acquis.


Et enfin, comment aborder Arx Fatalis sans parler de l’immersion ? Le monde est vraiment atypique, avec ses dédales souterrains qui confèrent au jeu une atmosphère si singulière. Le travail sur l’ambiance est vraiment très bon, et certaines zones bénéficient d’un Level Design excellent, comme les niveaux de la crypte qui sont vraiment géniaux. C’est très prenant, et très vite on est immergé dans ce monde, et on est en permanence aux aguets, parce que l’on sait qu’on est vulnérable, et que le jeu peut toujours nous sortir une Liche ou un Ylside qui va nous donner du fil à retordre. L’ambiance est si bien fichue que l’on a parfois l’impression d’être à la limite d’un jeu d’horreur, et il y a un vrai travail sur cette connexion entre différents genres. Il y a vraiment des passages très marquants et qui resteront parmi mes bons souvenirs vidéoludiques, comme la crypte que j’ai déjà louée, mais également ce moment où l’on tombe de manière tout à fait inattendue sur un vers géant dans une galerie, ou encore le niveau des Mines naines où l’on rencontre la Bête de l’ombre, et bien d’autres surprises ! Tous ces moments sont justes inoubliables !


Oh, et un autre point dont je veux parler rapidement avant de clore ma critique : le système de magie d’Arx Fatalis est un des meilleurs que j’ai pu voir dans un jeu vidéo. Encore une fois, c’est très immersif et cela semble si évident qu’on se demande pourquoi il n’y a pas plus de jeux qui ont exploité cette mécanique : pour lancer un sort, ou pour le «garder en mémoire» avant de le jeter, il vous faut dessiner, littéralement, les différents sorts. Il y a bien sûr des paliers de niveau pour les sorts, ce qui évite que vous ayez accès aux sorts les plus puissants dès le début de l’aventure, ce qui casserait totalement le jeu, et au cours de votre exploration du monde, vous allez acquérir des runes et des parchemins qui vous permettront de lancer de nouveaux sorts de plus en plus intéressants. Et donc, forcément, on est toujours un peu curieux quand on découvre une nouvelle rune. On feuillette le bouquin, on regarde si l’on peut utiliser un nouveau sort, et on l’essaye pour comprendre ses effets. Arkane a réussi à incorporer une mécanique de jeu importante de manière naturelle et immersive, vous rendant encore une fois acteur et non pas spectateur d'une animation, donc chapeau !


Vous avez compris : jouez à Arx Fatalis. C’est vraiment un jeu excellent, très bien pensé, très intelligent, et propose un univers assez unique dans son genre. Le jeu est bien entendu un digne représentant des Immersive Sim, avec des mécaniques de jeu de rôle très intéressantes, des passages qui touchent à l’horreur, et d’autres qui côtoient l’aventure/plate-forme… Autant dire que vous allez de surprise en surprise en jouant au jeu, et c’est une très bonne expérience qui vous laissera des souvenirs impérissables.

Charlandreon
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le 24 oct. 2020

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