Alan Wake
7.4
Alan Wake

Jeu de Remedy Entertainment et Xbox Game Studios (2010Xbox 360)

Présenté et acclamé par les spectateurs à l'E3 2005, Alan Wake a fait forte impression avant de se faire oublier, laissant place à un long silence. Il aura fallu cinq longues années à Remedy avant de sortir leur nouvelle production, faisant ainsi d'Alan Wake une des plus belles arlésiennes du jeu vidéo de cette décennie. Qu'en est-il alors de ce thriller vidéoludique ?

UNE PAGE ENFIN ECRITE
Elle se sera fait attendre, cette dernière production du studio finlandais. Pour avoir été à l'œuvre sur les Max Payne, Remedy Entertainment a su susciter impatience et buzz auprès de la communauté vidéoludique autour d'Alan Wake. Il semblait difficile d'imaginer ce que pourrait donner un jeu davantage axé sur l'angoisse que sur l'horreur. Car si le développeur a choisi de présenter son nouveau bijou sous l'appellation « thriller d'action psychologique », c'est bien afin de s'affranchir du survival horror traditionnel représentés notamment par les séries Resident Evil et Silent Hill ou plus récemment par Dead Space. Et il faut bien concéder que si le jeu partage l'effet chaire de poule avec ces productions, il sait cependant s'en démarquer à bien des égards.
Le joueur incarne donc Alan Wake, écrivain à best-sellers dont l'inspiration connaît cependant la panne sèche. Deux années que notre héros n'a pas écrit une ligne et pour tenter de relancer un peu la machine, l'écrivain, accompagné de sa femme Alice partent à Bright Falls, un petit bourg en rase campagne dans lequel ils ont réservé un joli petit chalet sur une île au sein d'un lac. Après une brève phase de cauchemar visant à introduire le joueur aux bases du gameplay, Wake se réveille sur le ferry, accompagné de sa dulcinée. La petite ville se dévoile sur une inscription de bienvenue et les rencontres locales se révèlent assez pittoresques avec notamment l'animateur radio amène et le plouc rustre aux allures de chasseur qui ne manque pas de taxer le couple de « Satanés bobos ! ». Il faut dire qu'avec sa veste aux coudières en cuir, la capuche qui dépasse, sa coiffure impeccable et sa barbe de trois jours, l'écrivain n'a pas volé ce vil sobriquet.

ALONE IN THE DARK
Puis on accoste à Bright Falls. La ville se révèle être un cliché de l'Amérique profonde, avec sa station essence, sa scierie et son restaurant « Diner » où les vieux habitués viennent prendre leur café et parler avec Rose, la serveuse ornée de sa coiffe et totalement éperdue d'admiration pour Alan Wake. Cette ville possède ses traditions annuelles comme la fête du cerf, mais elle renferme également quelques secrets.
Rapidement, la nuit tombe et par un coup du sort, Wake et sa femme sont séparés au milieu de la nuit. Dès lors commence le périple d'Alan qui, une torche à la main et un pistolet dans l'autre, part à la recherche de sa bien-aimée... au cœur des ténèbres, d'une nuit qui paraît alors sans fin. Il devra dès lors cheminer sur des routes perdues, mais surtout au beau milieu des bois, et dans d'autres lieux tout aussi atypiques. La prudence sera de rigueur car les ombres hostiles seront à l'affût et hormis du courage, il faudra également user d'une certaine dextérité avant de les affronter.

'COME ON BABY LIGHT MY FIRE'
Afin de lutter contre ces 'choses' de la nuit, la lumière et les armes à feu seront les meilleures armes dont on disposera. Les phases de confrontation consisteront généralement à pointer sa torche dans la direction de l'adversaire tout en intensifiant la lumière afin que celui-ci soit le plus rapidement débarrassé des ténèbres qui le protègent. Seulement, les ténèbres étant toujours en lui, il faudra l'achever au calibre. Inutile ici de préciser que les attaques à arme à feu seront inefficaces si l'on n'a pas préalablement effectué la première partie du travail à l'aide de la lampe. Au mieux, cela permettra au joueur de faire reculer la menace et de gagner un peu de temps afin de changer les piles de sa torche. Ainsi le jeu se pose comme ayant deux attaques indissociables l'une de l'autre.
Il faudra donc gérer soigneusement ses divers stocks, car ici, on cumulera les munitions mais aussi les piles. Si les armes traditionnelles peuvent être assez variées et plus ou moins efficaces en fonction de leur calibre (pistolet, carabine, fusil), les armes éclairantes, elles, peuvent connaître quelques particularités. Car hormis la lampe torche qui nous sera fidèle pendant la très grande majorité de l'aventure, on pourra trouver des feux à main, sortes de fumigènes qui se révèleront assez efficaces lorsque l'on sera assailli par une horde. Cependant, ces fumigènes n'ont, comme la lampe-torche, que la capacité d'anéantir les ténèbres, ce qui n'est pas le cas de tous les outils de lumière. Le lance-fusées est effectivement une arme bien plus efficace si l'on veut se débarrasser de tout un groupe d'ennemis. Les grenades incapacitantes possèdent également cette particularité de faire disparaître les adversaires, on notera néanmoins que ces armes se comptent en portion congrue et on les considérera comme de précieux trésors lorsqu'on en trouvera sur son chemin.
Les ombres étant nombreuses, fourbes et parfois plus rapide que notre écrivain qui a tendance à avoir le souffle court, il sera également possible d'esquiver les attaques adverses en courant. Un joli ralenti montrera alors la lame de l'adversaire effleurer sa cible... ou la frapper. Les attaques peuvent d'ailleurs être bien plus vive qu'attendues, notamment dans la mesure où les adversaires balancent souvent clés à molette où haches qu'ils semblent avoir en quantité illimité. D'autres éléments peuvent devenir agressifs. Outre les oiseaux (merci Alfred !), barils, tractopelle et autre moissonneuse-batteuse peuvent devenir de sérieux assaillants.
Il s'agit-là de la majorité du gameplay. Effectivement, à part de ponctuelles phases en voiture, le système de jeu se révèle assez pauvre. Outre cela, Alan Wake possède quelques séquences de QTE lorsqu'il s'agira d'ouvrir une porte ou d'allumer un générateur. Ces derniers serviront notamment à mettre en route des luminaires vitaux à l'écrivain (ils servent à rétablir la jauge de santé et de point de passage). Ceux-ci s'avèrent ainsi être des éléments salvateurs même si à de nombreuses reprises, les ampoules auront tendance à claquer dès que l'on aura passé ce checkpoint, renforçant un peu plus la crainte du joueur.
S'il ne brille pas par son gameplay qui paraîtra épuré pour les uns et avare pour les autres, Alan Wake possède en revanche une ambiance qui lui procure un cachet bien particulier.

HEART OF DARKNESS
Bright Falls, la ville où la lumière décline pour mieux laisser l'obscurité régner en maître. Car la nuit, si tous les chats sont gris, il y a également d'étranges phénomènes qui émergent. Mais personne ne voit rien. Seul Alan, en proie à la recherche incessante de sa femme, constate que les cauchemars peuvent prendre forme et imposer une réalité bien tangible. Sous un ciel étoilé, la région se révèle moribonde et les bois inquiétants. Parfois, au loin, à quelques centaines de mètres devant, on peut voir un arbre s'effondrer. Etant dans un état de crainte avancé, on en viendrait à espérer ne jamais connaître la raison de cette chute. Car il faut jouer à Alan Wake de nuit, c'est indéniable. La fenêtre ouverte, si possible, histoire de laisser courir un vent nocturne au travers de la pièce, une fraîcheur, un calme et un silence que l'on partagera alors avec notre héros.
Un héros pas si héroïque d'ailleurs. Comme la majorité des créatifs qui se respecte, Wake transpire le manque d'exercice physique. Au bout de cinquante mètres de courses, il n'en peut plus et se dandine péniblement, essoufflé. Il s'arrêtera alors deux secondes, les mains sur les rotules afin de mieux cracher ses poumons. Gérer sa course est essentiel dans Alan Wake, car on n'est jamais à l'abri d'un agresseur. Et se faire agresser en subissant un point de côté, ça la fout plutôt mal.
En terme de contexte propre à l'anxiété et à l'effroi, les petits gars de chez Remedy ont fait un travail assez remarquable. Les bois, lieu central de l'histoire, jouissent d'un caractère angoissant vraiment très réussi. Les conifères en imposent et le moindre petit bruit ne manquera pas de faire sursauter le joueur. Car les développeurs ont bien compris que c'étaient ces petits riens qui étaient les éléments clés du frisson. Cela peut être une branche qui craque (avec ce petit écho qui rend la chose si crédible), un oiseau qui s'envole, une pierre qui tombe d'un ravin ou un bidon qui roule tout seul...
Dans les phases dangereuses, la nuit se met à vrombir d'un silence inqualifiable, la brume s'engouffre dans la forêt, se densifie et fait danser les arbres. Elle nimbe le décor d'un voile trouble et le plonge dans l'indistinct. Dès lors, on avance, prudent, scrutant les alentours de manière craintive car on sait qu'un assaillant va apparaître. Mais d'où ? Car ces ombres maléfiques peuvent surgir de n'importe quel côté. Ainsi, il ne sera pas rare d'avancer, au milieu d'une route, se dirigeant vers l'objectif et d'entendre un petit bruit, comme un grommellement, dans notre dos. En se retournant, on se trouvera alors nez-à-nez avec nos effroyables assaillants prêts à nous faire la peau.
Même en intérieur, la tension reste palpable. Les rares refuges offrent leur lot de frissons. Entre une planche qui grince à l'étage et une ombre qui passe devant la fenêtre, difficile de s'estimer être en sécurité. Sans compter les quelques postes de télévisions qui recèlent leur lot de surprises et diffusent régulièrement des épisodes de la Zone X, une version à peine voilée de la fameuse Twilight Zone (La quatrième dimension) qui ne fait que conforter le joueur et Alan dans l'idée que le monde a bel et bien vacillé dans l'étrange.

DE HITCHCOCK A LOST
Outre les nombreux éléments soignés qui mettent l'angoisse en exergue tout au long de l'aventure, le jeu se démarque par ses qualités narratives rarement vue jusque là dans un jeu vidéo. Alan Wake se veut d'ailleurs être un hommage à Stephen King et, déguisées ou non, les références au maître de l'effroi y sont légion. Partant de ce principe, on sent que les développeurs ont effectué un réel travail sur l'impact qui peut avoir la création sur la réalité. La créativité et son absence. Car du début à la fin, Alan Wake ne cesse de narrer ce qu'il compte faire, il nous fait part de ses doutes, ses craintes, il nous en apprend un peu plus sur son passé. Ainsi se tisse le plus efficace travail d'immersion qui soit.
Remedy nous propose finalement ce que l'on pourrait presque appeler un roman interactif. Un roman qui n'en est pas un. Une histoire qui est celle d'Alan et qui, pourtant, transpire le déjà-vu. Un cauchemar qui prend forme, en quelques sortes. En arpentant la forêt, l'écrivain tombera d'ailleurs très vite sur des pages du roman qu'il n'a jamais écrit, mais dont il avait déjà en tête le titre depuis un bon moment : « Departure ». Ces pages, toujours intrigantes, racontent non seulement ce qui a pu se passer, mais également ce qui va se passer, ce qui tend à renforcer l'appréhension. Autre fait intéressant, ces pages (par une narration romanesque omnisciente) retranscrivent également ce qui est en train de se passer à un tout autre endroit, alors que le joueur est toujours dans ses pérégrinations forestières. Ce procédé permet au joueur de saisir la globalité de l'histoire.
A la limite de la santé mentale, Alan continue son chemin de croix, guidé par un but, certes, mais également pour se prouver qu'il n'a pas définitivement sombré dans le délire et la déréliction la plus totale. Incertitudes renforcée par de nombreux flashs qui viennent heurter son esprit de façon impromptue.
A cela s'ajoute un nombre incalculables de clins d'oeil. A Stephen King certes, mais également à Bret Easton Ellis, ou encore à Stanley Kubrick. Outre la littérature et le septième art, Alan Wake emprunte également au petit écran avec certes les émissions de la Zone X, mais également avec un enrobage qui n'est pas sans rappeler Lost. Les développeurs ont d'ailleurs avoué s'être grandement inspiré de la série créée par J.J. Abrams. Certains effets de brume noire ne seront d'ailleurs pas étrangers aux amateurs de la série. Le jeu se décline d'ailleurs en six épisodes dont la durée a été savamment dosée entre une heure trente et deux heures. Le jeu partage également cette affection pour les fins ouvertes qui laissent le joueur en haleine sur des musiques somme toute très séduisantes. Avec Roy Orbison, Nick Cave and The Bad Seeds ou encore David Bowie sur sa playlist, Alan Wake peut se targuer d'avoir une B.O. des plus riches. Ces morceaux sont d'ailleurs souvent insérés au sein des cliffhangers de fin d'épisode, ce qui donne encore un peu plus l'impression d'être l'acteur d'une série... et immanquablement l'envie de se replonger à nouveau dans l'histoire et de continuer à avancer, sans s'arrêter.

CINQ ANNEES D'ATTENTE...
...et le jeu reste très beau. Il est vrai qu'à l'E3 2005, Alan Wake avait fait forte impression et promettait une claque graphique. Ce n'est plus réellement le cas même si dans son ensemble le jeu s'avère être très soigné malgré quelques rares textures douteuses. De jour, les environnements s'avèrent efficaces, et proposent de sublimes panoramas avec une eau du Cauldron Lake aussi lumineuse qu'inquiétante. C'est cependant de nuit qu'ils prennent toute leur envergure. Les contrastes entre ombre et lumière sont tout simplement savoureux et le moindre tremblement de branche d'arbre saura susciter la suspicion du joueur. Les ralentis lors des phases d'actions révèlent tout le potentiel technique du jeu : lorsqu'une fusée de détresse est tirée sur un des assaillants, les particules de lumières absorbent les ténèbres des ennemis environnants avant de les faire tous disparaître dans une gerbe d'étincelle.
Si les modélisations des visages ne sont pas forcément ce qui se fait de mieux, on saura reconnaître qu'Alan sait exprimer ses émotions avec une certaine crédibilité (le travail est assez probant au niveau des yeux). De même, les divers personnages campent parfaitement leurs rôles. De la serveuse au shérif local en passant par l'agent du FBI agressif, la majorité d'entre eux répondent aux topos de ce genre cher à Stephen King. Mention spéciale à Barry, agent et meilleur ami de Wake. Personnage débonnaire et pataud, un Bill Murray enrobé qui fait office de comique de service et de lourdaud patenté.

Alan Wake se révèle être très séduisant. Appréhendant le Survival-horror afin de mieux tenter de s'en éloigner, le jeu lorgne davantage sur l'effroi glaçant que sur la boucherie exhaustive. Les craintes les plus féroce sont les plus impalpables, celles-là même que l'on ne peut rationnaliser, et comme le mentionne si bien Alan Wake en citant Stephen King, 'les cauchemars ne relèvent pas de la logique, et les exprimer n'aurait aucun intérêt ; ce serait contraire à la poésie de la peur.' C'est donc à base de suggestion, de mise en scène et surtout d'une narration inattaquable sur le fond que le jeu propose un voyage unique. Et si ce titre s'avère redondant par son gameplay, linéaire et dirigiste à souhait sans compter des phases de lectures un brin surjouées, il n'en demeure pas moins étincelant grâce à une gestion du clair-obscur certes classique dans les jeux de ce type, mais rarement maîtrisée à ce point. Une bien belle expérience en somme.


SuperLibraire
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Créée

le 3 sept. 2011

Critique lue 359 fois

Anthony Boyer

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