C'est un jeune homme d'emblée entre-deux que l'on rencontre dès les premières images. Il est là enfantin, une chupa chups à la bouche, mais est en même temps au cœur d'un acte sexuel avorté - par son désintérêt - avec un homme plus âgé. Daniel - Danny de son surnom plus couramment utilisé dans le film - est là, avec son look très orienté, et sa naïveté qui se lit encore sur son petit visage d'enfant. 16 ans, et sa mère, Jenny, vient de mourir. Il s'en va alors du côté d'Athènes où il retrouve Odysseas - Ody - son frère. Avec lui, il a apporté un sac qu'il ne quittera plus et un petit lapin blanc, Dido.

Si Ody se refuse d'abord à quitter Athènes et emmène son petit frère sur les toits, très vite, le film se transforme en joyeux road movie à l'image des deux frères, un mélange entre effronterie et solidité. Plusieurs personnages ou figures croisent alors le chemin des deux jeunes gaillards. Les silhouettes agressives des "fascistes" qui poursuivent d'autres silhouettes, toutes mises dans le même sac, caractérisées, les cibles sont alors, dans la bouche de ces grecs sûrs de leurs bons droits, des albanais, en passant par les homosexuels et les sans-abris. Se dessine alors une Grèce plus effrayante, plus noire, moins réjouissante. Rien n'arrête pourtant la gouaille de Danny qui voudrait se jeter dans toutes les batailles. C'est par la musique, extrêmement bien utilisée dans le film, que les frères, sur une impulsion finale d'Ody, partent à la recherche d'un père, dire adieu à leur mère. Entre celle qu'ils ne nomment jamais maman mais Jenny et le père, coupable d'abandon, appelé "l'Innomable", les repères familiaux de ces adultes en devenir sont flous voire inexistants. Même les torses velus et rassurants de l'enfance demeurent inaccessibles.

Danny agit à l'impulsion, tel un enfant auquel il faudrait passer tous ses caprices, il joue, sans penser aux conséquences. Et il veut, il ne souhaite pas, il s'affirme par son corps, la reconnaissance qu'il lui apporte, par une attitude qui refuse tout sérieux. A ces côtés, Ody cherche encore quelle attitude adopter. Il a quitté ce qui le gênait, pour rejoindre un pays qui pourrait bientôt l'expulser. Ce sont donc deux êtres qui cherchent un père mais pour des raisons différentes. Danny doit grandir, la symbolique dont use le film est tout aussi maladroite que savoureuse, Ody veut juste en finir et tuer le père, comprendre, savoir. Tous deux doivent identifier, par tous les moyens. Ce n'est pas de l'amour qu'ils cherchent mais une reconnaissance.

On ne sait jamais où va le film car il s'autorise beaucoup de fantaisie ce qui le rend inégal mais très attachant et surtout unique. Son regard sur la Grèce, malmenée ces dernières années, n'a pas la noirceur qu'on pourrait croire y trouver. C'est une odyssée qui n'a pas d'époque. A l'image du refuge-hôtel où échouent les deux frères et qui donne son titre au film. Un lieu entre toutes les époques, où ils s'évadent, s'offrent un moment magique au sein d'une course folle, sans repos. Fuite, recherche et déni. Et cette joyeuse folie, tintée de réalisme, se retrouve dans la passion de Danny pour la musique que chante son frère, et qui est le fruit d'une chanson que la mère admirait. Patty Pravo, qui apparaît partout et nulle part représente la frontière dans laquelle se trouve toujours le film: entre nostalgie et désir d'avenir. On danse, on chante, on écoute, on court. Un film coloré, pétillant, certes inégal, mais qui donne une image juste d'un pays en crise. Concluons sur les deux acteurs principaux, dont Kostas Niouli aussi adorable que doué... Les deux frères, et leurs interprètes, sont à l'image du film : entre enfance et désir d'ailleurs mais surtout profondément "partout chez eux", quelque soit la destination envisagée, tant qu'il y a la route, tant qu'il y a la musique et les rencontres humaines, profondément humaines.
eloch

Écrit par

Critique lue 842 fois

18
1

D'autres avis sur Xenia

Xenia
PatrickBraganti
7

Ciao amore

Xenia, la quatrième long-métrage du grec Panos H.Koutras, est né d’un triple désir. En premier, de faire un retour sur les années d’adolescence, celles de la rébellion et de l’intensité, ensuite...

le 20 juin 2014

9 j'aime

Xenia
mymp
6

Tout sur mon père

Personne n’a oublié, personne n’a pu oublier (et personne n’oubliera) L’attaque de la moussaka géante, le nanar irregardable de Panos H. Koutras qui n’a de culte que son titre à coucher dehors. Après...

Par

le 1 août 2014

7 j'aime

Xenia
Faye88
7

Amour fraternel, recherche de gloire et Lapin

Xénia c'est avant tout une histoire de frères. D'un côté il y a Odysseas presque 18 ans et qui, à sa majorité, deviendra un étranger dans son pays, donc expulsable à tous moment vers l'Albanie, et de...

le 8 mars 2016

3 j'aime

Du même critique

Juste la fin du monde
eloch
4

Le cinéma de Dolan est mort, vive le cinéma !

Qu'il est difficile de s'avouer déçue par un cinéaste qu'on admire beaucoup et dont l'oeuvre a su nous éblouir, nous toucher, nous transporter. Oui, je l'écris, ce dernier Dolan m'a profondément...

le 21 sept. 2016

116 j'aime

12

The Voices
eloch
7

"Sing a happy song"

Marjane Satrapi a été sélectionnée au festival d’Alpe d’Huez début 2015 (qui s’est déroulé du 14 au 18 janvier) pour son dernier film. Disons qu’au premier abord ça ne ressemble pas vraiment à la...

le 20 janv. 2015

91 j'aime

7

Chungking Express
eloch
10

" Hier, on se regardait à peine ... Aujourd'hui nos regards sont suspendus "

"Chungking express" est un film que j'ai trouvé absolument merveilleux je dois bien vous l'avouer, je suis sortie de la salle où j'ai eu la chance de le voir pleine d'une belle joie, de l'envie de le...

le 27 févr. 2013

90 j'aime

24