Without
6.3
Without

Film de Mark Jackson (I) (2012)

Critique : Without (par Cineshow.fr)

C’est plus d’un an et demi après sa projection en compétition au Festival du Film Américain de Deauville (2011 donc) que Without de Mark Jackson rencontrera le chemin des salles françaises et par la même un public de non festivaliers. Si l’on ne se fait guère d’illusion sur la capacité du film à remplir les salles de cinéma de Paris et de province, le simple fait de bénéficier d’une sortie officielle dans l’hexagone me ravi tant l’œuvre en question mérite d’être vue à bien des égards, la révélation la plus importante étant sans nul doute l’actrice principale Joslyn Jensen, simplement incroyable.

Without nous projette sans explication dans une tranche de vie du personnage principal, parti garder dans une maison sur une île isolée un vieil homme dans un état végétatif en l’absence de sa famille. Un choix délibéré suite la mort tragique d’un proche (dont l’on connaîtra plus tard les raisons) afin de s’extraire du monde l’espace de quelques semaines et trouver un peu de paix pour envisager une reconstruction progressive. Sous couvert d’aborder la question du handicap qui reste un prétexte au film, l’intérêt de Without réside dans l’analyse quasi psychique de son personnage central, errant au film des jours dans cette maison sans vie, ou presque. Et cette prise de recul en milieu isolé pour mieux se confronter au deuil puis renaître ne sera pas sans laisser de traces sur le mental de la jeune femme qui perd petit à petit pieds devant l’absence totale de lien social envisageable.

Par certains aspects, Without appelle en référence les premiers films de Roman Polanski où psychologie et mystère rayonnaient sur la pellicule pour créer des atmosphères toutes particulières, à la fois captivantes et gênantes. Car passées les premières minutes du film en plan fixe suivant simplement le quotidien de la jeune femme, assez rapidement une série d’incidents et de faits difficilement identifiables commencent à se produire dans la demeure (marques sur le corps, objets régulièrement déplacés…). La prise de conscience d’un possible état pas si végétatif que ça du vieillard d’insinue ainsi sournoisement pour devenir une source d’angoisse régulière, aidée par une absence de musique et d’ambiance sonore, mais aussi une absence de vie et de secours potentiel (l’île étant très isolée).

Résolument, Without est un film d’ambiance au demeurant très prometteur quant à la carrière de son réalisateur. Quasiment amateur, il arrive à délivrer au fil des minutes une ambiance glauque et réellement pesante par une mise en scène relativement épurée mais toujours magnifiant son actrice unique. Un rôle écrit pour elle uniquement et qui n’hésite pas à lui faire subir une véritable épreuve, tant par la performance qu’est celle de porter un long-métrage intégralement seule, mais également par la violence visuelle et évocatrice de certaines scènes. Une dureté affichée frontallement qui sert toujours l’histoire sans complaisance, et qui matérialise régulièrement l’effet de retour à la nature provoqué par cette grande maison en marge de la société. Petit à petit, le personnage laisse transparaître son désespoir, tente de survivre après le drame, survivre à la culpabilité d’être encore en vie, se laisse aller en tentant de revivre ses meilleurs souvenirs avec son amie, recherche à nouveau le bonheur.

Et dans cette introspection profonde et particulièrement bien traitée tant dans le fond que la forme (simple, posée, mais efficace), Mark Jackson aborde subtilement le rapport à l’écran, le rapport aux écrans. Seul lien avec le monde extérieur, l’ordinateur de fortune récupéré dans le garage des propriétaires devient rapidement un personnage essentiel du film, tout comme le mobile de la jeune femme qui permet de revivre par intermittences son passé via les vidéos enregistrées du proche en question. Les interactions réelles avec ses intermédiaires sont évidemment impossibles et pourtant, c’est à travers eux que Joslyn trouvera un moyen de s’exprimer artistiquement (une très émouvante séquence de Yukulele) mais aussi sexuellement (elle embrasse son écran, se masturbe devant la webcam etc…).

Without est une expérience à fleur de peau quelque peu déroutante, particulièrement prenante car de l’ordre du sensitif, parfois longue (on baille à plusieurs reprises) mais qui force l’admiration par le jeu admirable de l’actrice principale pourtant amateur et la construction formelle et rigoureuse du long-métrage. C’est une première œuvre glacée et glaciale qui nous est donnée à voir, à mi-chemin entre les films aux tendances voyeuristes (le spectateur accompagne le quotidien de Joslyn même dans son intimité la plus grande) et le cinéma enivrant des débuts de Polanski comme précisé plus haut. Dans tous les cas, c’est clairement une excellente surprise et un terreau favorable d’autres films de Mark Jackson, avec ou sans Joslyn Jensen qui à coup sûr devrait revenir sur les écrans dans de prochaines productions. Et si tel n’était pas le cas, alors nous perdrions un précieux talent.
mcrucq
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le 11 nov. 2012

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Mathieu  CRUCQ

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