Whores' Glory
7.5
Whores' Glory

Documentaire de Michael Glawogger (2011)

"Les Filles de Joie Ont Pour Mère la Tristesse"

Whore's Glory est le dernier volet d'une trilogie de documentaires consacrés à la mondialisation et réalisés par l'autrichien Michael Glawogger. Après avoir exploré la précarité dans les grandes villes avec Megacities et les forçats du travail dans La Mort Du Travailleur, le réalisateur s'attaque ici aux travailleuses du sexe avec un regard clinique porté sur la prostitution dans trois pays qui sont aussi représentatifs de trois cultures et trois religions différentes.

Sans voix off, ni commentaires Michael Glawogger pose son regard à la fois froid et très cinématographique et ouvre ses oreilles sur les pratiques, la vie, les maigres espoirs et les états d'âmes de prostituées en Thaïlande, au Bangladesh et au Mexique avec toujours cette même obsession de dénoncer la marchandisation des corps.

On va pour commencer évacuer les principales critiques que l'on pourrait faire vis à vis de Whore's Glory. Même si certaines des filles interrogées auront un regard assez positif sur ce qu'elles font, il est clair que Whore's Glory n'explore pas toutes les facettes de la prostitutions et se concentre sur la notion même au cœur de la trilogie à savoir l'exploitation et la marchandisation des êtres humains. Il existe bien sûr des prostituées indépendantes et parfaitement heureuses et à l'aise dans ce qu'elles font pour gagner leur vie mais ce n'est pas du tout le profil que l'on va croiser dans le film. Whore's Glory est également un documentaire très cinématographique dans son approche très léchée des cadres, des lumières, de la photographie et des ambiances avec une vraie construction scénaristique sur laquelle je reviendrai plus tard. Je sais que certains spectateurs n'aiment pas que la réalité soit ainsi mise en scène surtout dans un exercice documentaire, d'autant plus qu'ici Michael Glawogger renforce l'aspect cinématographique et dramatique avec l'utilisation d'une bande originale très forte avec des titres de Tricky, PJ Harvey ou Cocorosie. Et puis forcément en venant coller au plus près de son univers le réalisateur n’échappera pas à une suspicion de complaisance surtout lorsque la camera filme une passe avec toute la crudité d'une séquence pornographique laissant au spectateur le droit de s'interroger sur la nécessité de tout montrer ou pas.

Whore's Glory est un film construit en trois récits à priori distincts (outre le sujet lui même) mais qui vont finir par constituer une sorte de plongée progressive vers les abîmes de la prostitution. On débute le voyage en Thaïlande dans l'aquarium un immense bocal dans lequel des filles sagement assises qui portent un badge coloré selon leur prix avec un numéro attendent et espèrent que des clients les choisissent comme des lots dans une vitrine. Véritable entreprise du sexe on y voit les filles pointer comme à l'usine avant d'aller se faire maquiller et coiffer pour rejoindre ensuite l'étale à passions. Dans cette première partie la caméra s'arrête aux portes des ascenseurs qui mènent aux chambres, les filles prient pour avoir de bons clients respectueux, les consommateurs sont souvent des hommes mariés qui viennent casser la monotonie de leur couple, tout semble bien propre et standardisé et dans une logique un peu absurde les filles économisent pour aller s'offrir un homme dans un bar à gigolo en face. Après la vitrine vaguement respectable le film nous embarque au Bangladesh au cœur de la mal nommée cité de la joie pour un détour vers une strate déjà moins glamour de la prostitution. Entassées dans un immeuble et sous la coupe de mères maquerelles toujours prompts à brandir la menace du fouet, les filles soumises à la concurrence et la jalousie des autres alpaguent littéralement les hommes pour les attirer par le col dans leurs chambres. Pas de sexe orale car on ne salie pas l'organe avec lequel on récité les sourates, mais des filles à peine majeures vendues à des maquerelles pour l'équivalent de 40 euros dans une vision déjà un poil plus sordide du métier et une morale à géométrie variable. Si les filles se confient avec amertume et résignation sur leur seul moyen de survie et leurs sourires taris au fond de leur tristesse ce sont les témoignages des clients qui resteront les plus difficiles à entendre comme ce jeune barbier expliquant tranquillement que les hommes ont des besoins et que sans les prostituées toutes les femmes se feraient violer, ainsi que les chèvres d'ailleurs. La dernière étape nous conduira dans La Zona au Mexique, une rue bordée de petites chambres pour un lent ballet de voitures dont les feux arrières rougeoyant préfigure l'approche des enfers. Le langage est ici d'une crudité absolue, les hommes tels des prédateurs tournent seul ou à plusieurs dans leur voiture à la recherche d'une fille à traiter comme un simple objet alors que les prostituées parfois défoncées au crack et à l'alcool attendent sagement le client. Avec ce segment le réalisateur semble avoir définitivement mis à nu le visage de la prostitution jusqu'à cette scène qui s'invite dans une chambre le temps d'une passe chronométrée pour une pratique mécanique du sexe sans joie, sans amour et sans passion tant pour l'hôtesse que son client. Bien loin de la vitrine du début, on tape ici dans le dur et l'on parle sans fard des aspects les plus plus glauques du sujet comme si le réalisateur avait voulu doucement débarrasser la pratique de tous ses sexy oripeaux. Entre cette ancienne prostituée visiblement alcoolisée qui parle des haleines fétides, des odeurs de pieds, des culs sales et des rapports un peu minables et l'évocation de filles enlevées et menacées, il est certain que l'on est bien loin de la vitrine proprette de l'aquarium. Alors que dans le premier segment les filles priaient pour de avoir bons clients, on vénère ici la déesse de la mort pour que la fin soit douce dans un inéluctable et pessimiste chemin de croix.

Même ci Whore's Glory ne transpire pas la joie de vivre il reste quelques moments et témoignages plus touchants et positifs comme cette prostituée très à l'aise avec l'idée de gagner sa vie en prenant du plaisir voir en ayant des orgasmes. Une autre fille parlera avec beaucoup de tendresse d'un client obèse fou amoureux d'elle et qui ira jusqu'à se faire opérer et perdre du poids pour essayer en vain de la séduire. J'ai aussi une tendresse pour cette prostituée au Bangladesh qui raconte offrir de l'amour aux vieillards fatigués, aux nains et aux unijambistes me faisant penser à La Môme Kaléidoscope de Thiéfaine qui parle de « La sainte vierge des paumés / La petite infirmière des fantômes)

Whore's Glory porte assez bien son nom puisque c'est un film à la gloire non pas de la prostitution mais de toutes ces filles qui à divers degrés se retrouvent contrainte d'exercer le plus vieux métier du monde. Whore's Glory est un film édifiant et touchant qui laisse une trace indélébile dans les esprits.

freddyK
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le 22 mars 2024

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