un film intimiste, chaleureux et drôle, à base de solitude, routine et morosité !

Whisky , comme d’autres disent Cheeeese ou Ouistiti, pour faire sourire ceux que l’on prend en photo. Parce qu’il faut vraiment user de subterfuges pour arriver à faire sourire Jacobo, vieux garçon taciturne et bourru, incapable de se connecter émotionnellement avec les gens autour de lui.


La soixantaine, il vit seul à Montevidéo depuis le décès de sa mère dont il s’est occupé jusqu’à sa mort. Il ne lui reste qu’une modeste fabrique de chaussettes héritée de son père, vieillissante et sur le point de fermer. Une vie sans ambition, à s’escrimer à faire tourner son petit atelier décrépi et à rentrer chez lui sans rien ... pas un sourire, pas un désir, rien, juste la même routine encore et encore. Juste assister le dimanche à un match de foot d’une équipe sans succès et sans gloire pour le plaisir d'injurier l'arbitre. Et revenir le lundi dans son atelier au personnel réduit à trois personnes, deux jeunes ouvrières et Marta. La cinquantaine, terriblement solitaire, transie d'amour pour son patron et pleine de rêves, Marta est son bras droit, dévouée à l’entreprise depuis plus de vingt ans. C’est l’employée la plus chevronnée, qui outre ses responsabilités veille au confort de Jacobo. Ils ne pourraient pas vivre l’un sans l’autre et pourtant leur relation est très distante.


Le début du film nous immerge dans la routine et la morosité de Jacobo. Répétitions des gestes identiques de jour en jour, à l’ouverture de l’atelier mêmes mécanismes à enclencher, mêmes boutons à presser, mêmes paroles, silences et gestes codifiés avec Marta. Environnement où tout va à vau-l’eau : voiture agonisante qui démarre avec difficulté, machine à tisser défectueuse, néon défaillant, volet roulant coincé…autant de détails du quotidien apparemment insignifiants, mais qui dans leur répétition et leur accumulation définissent le mode de vie et de relation au monde de ces deux personnes : solitude, routine, morosité, avenir brumeux.


A l’occasion de la pose de la pierre tombale de la mère, Jacobo invite son frère Hermano qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années et avec qui il a une relation distante et pleine de ressentiment. Il vit au Brésil avec femme et enfants, gère également une fabrique de chaussettes, mais avec plus de dynamisme et de réussite. Etonnamment, Jacobo demande alors à Marta de se faire passer pour sa femme pendant le temps de sa visite. Pour qu'il n'ait pas à faire face à son frère tout seul, ou pour prouver que lui aussi a réussi quelque chose ? L’ histoire ne le dit pas, mais peu importe. Le film se recentre à ce moment sur Marta qui en devient un personnage plus essentiel, prise entre les deux frères que tout oppose. Au contact d’Hermano plus chaleureux, expansif et ouvert, son personnage commence lentement à se rendre compte qu'il y a plus important dans la vie que de travailler dans l'usine et de se perdre dans les films où elle s’évade après le travail.


Malgré la morosité des lieux, la difficulté qu’ont les personnages à dévoiler leurs sentiments, le minimalisme de l’action, le peu de dialogues, et le recours assez systématique à des plans fixes, Whisky, mis en scène avec pudeur, est un film intimiste, chaleureux et drôle, bourré d’humanité et de sensibilité. La subtilité, l’humour à froid et l’émotion dominent ce film où tout est question de petits gestes, de mots tacites, de signaux minimalistes, de non-dits et de suggestion. La direction artistique, la qualité et la précision des objets et décors prennent une part majeure dans la construction et la suggestion de cette ambiance. Le talent des acteurs venus du théâtre complète la liste des qualités de ce petit bijou de film.


En tout cela Whisky est proche du style d’Aki Kaurismaki, et devrait plaire à qui aime les films qui parlent de gens ordinaires dans des lieux de tous les jours, du désir d'échapper au quotidien et au banal; les films au rythme lent mais parfaitement en phase avec celui des personnages ; les films à l'univers morne, à l’intrigue minimaliste qui distillent avec humour une profonde mélancolie dans la lignée de ceux du réalisateur finlandais.

kinophil
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le 15 févr. 2021

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