Des films qui parlent d’amour au cinéma il y en a plein, étant un sentiment qui a priori touche tout le monde, son interprétation, sa mise en image sous différentes formes a été travaillé encore et encore jusqu’à devenir dans beaucoup de films une intrigue secondaire, tant il est parfois devenu normal d’amener ce sentiment dans chaque univers, étant convenu que ce sujet touche absolument tout le monde. Alors on peut se demander pourquoi continuer de le filmer et persister à vouloir transmettre ces émotions ? toutefois dans son nouveau film « Waves » sortie il y a peu, le réalisateur Trey Edward Shults s’est plutôt demandé comment réinventer cette manière de filmer le sentiment amoureux partagé par deux êtres et rendre tout l’enjeu qui en découle captivant. Celui-ci avance alors dans ce nouveau drame une proposition, ou plutôt deux propositions, drastiquement différentes chacune de l’autre, avec un récit contenant deux histoires, deux manières d’expression de ce sentiment à travers deux contextes différents qui justifieront les choix de mise en scène adoptées tout au long de la projection. Le réalisateur choisi en effet dans un premier temps une histoire dévoilant petit à petit l’impact d’une pression sociale très importante sur deux adolescents en pleine construction identitaire, la seconde se concentrant sur les conséquences d’un passé très lourd sur un couple du même âge, lié avec la première histoire bien qu’elle puisse toutefois se suivre à part. Ainsi, on n’observe pas ici la volonté de filmer une vision figée de l’amour mais bien au contraire d’en explorer les recoins les plus fous à travers l’adolescence, l’innocence et l’inconscience de la jeunesse qui se voit d’ailleurs au travers de sa mise en scène dès le départ de la projection, avec une caméra complètement virevoltante au milieu de la multitude de couleur qui habitent le sud des Etats-Unis, une caméra qui tourne sans cesse sur elle-même, prémonitoire toutefois d’un monde qui renferme ces adolescents dans une monotonie auquel ils sont déjà soumis, refoulant leur quête d’évasion et d’aventures qui leur pèsera plus tard.


Le couple que l’on découvre donc assez rapidement va en effet recevoir quelques coups durs, des tensions parfaitement orchestrés par une réalisation qui met l’accent sur l’oppression, la gêne du spectateur sur ce qu’il voit défiler sous ses yeux de manière à ce qu’il ressente ce qu’il se passe, mais surtout à ce qu’il vive quelque chose, qu’il soit pris au cœur par ce déchirement qu’il observe impuissant. Il est en effet plus facile d’oppresser au cinéma et moins commun également que d’en faire ressentir l’émotion que procure le vrai amour si ce n’est par la compassion qui tombe souvent dans le mélodrame trop artificiel. Ainsi, tout ce partit pris du conflit est parfaitement organisé notamment par les jeux de couleurs qu’on observait auparavant dans l’environnement naturelle, mais étant ici poussées à l’extrême, presque épileptiques, la gêne amplifiée par des cris, des bruits et même des surréactions des personnages très subtiles mais qui nous captive étant donné l’attachement que l’on éprouve déjà pour eux, tout ceci nous fait prendre conscience alors à quel point ils s’aimaient auparavant et rend leur séparation d’autant plus touchante. Ce sentiment de malaise a d’autant plus d’impact que le modèle familiale et social du personnage principal était particulièrement enviable, très bien amené par de l’humour bien écrit qui rend la tournure des évènements d’autant plus difficile à accepter et détruit brusquement l’idéal de réussite américaine avancé jusque-là.


La deuxième partie contraste énormément avec la première dans une quête cette fois d’écouler le temps bien au contraire, laisser place à une certaine poésie des images, du temps qui passe, seul remède pour cicatriser le passé. C’est cependant sur cette partie que le film se perd complètement, le contraste est trop grand, trop brusque, justifiable et bien amené mais qui déçoit dans la forme par laquelle il est tourné. En effet, l’histoire n’est plus assez rythmée, l’émotion recherché dans chaque plan est étirée encore et encore où l’influence de Terrence Malick se fait grandement sentir sans toutefois n’y voir ni sa justesse ni son inventivité. Ainsi, outre le fait que le message du film se perd complètement dans ce flux de réflexion métaphysique, la réalisation devient de plus en plus redondante, entre plans très longs qui baissent notre attention par leurs multiples successions, une caméra tremblante pour se sentir à côté des personnages mais qui par sa répétition annihilent sur la longueur tout immersion, avec en plus une multitude de scènes sur fond de musique dépressive pour pousser l’émotion artificielle à son paroxysme, ce qui dessert clairement le propos du film. Les réflexions et bouleversements moraux se succèdent à n’en plus finir, le manque d’inventivités de beaucoup de scènes à ce moment du film, que ce soit de détresse des personnages ou de complicités, n’aident clairement pas non plus à élever notre complaisance et dénotent ainsi une œuvre aux bonnes idées mais n’arrivant pas toutefois à conclure un discours qui se perd au fur et à mesure.


On voit donc que même ici pour ce réalisateur il est plus facile d’aborder le conflit et la rupture par l’oppression et le malaise dans le sentiment amoureux plutôt que par l’amour profond et le renouveau. On ne peut toutefois qu’admettre de grandes qualités pour le troisième long-métrage de Trey Edward Shults qui n’hésite pas à nous proposer une fraîcheur extrêmement plaisante dans sa mise en scène. En effet celui-ci innove par toutes les possibilités que lui offre le cinéma pour créer son univers propre jusqu’à jouer avec le format de projection, passant du 16/9 au 4/3 lorsqu’il est nécessaire de recentrer toute l’attention sur les personnages en question lors de moment cruciaux. Ainsi, malgré une volonté d’immersion au sein de relations sociales et amoureuses donnant un résultat en dent de scie mais qui reste toutefois, grâce à de brillants jeunes acteurs et une esthétique touchante et cohérente, une œuvre clairement à aller voir en salle.

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le 3 févr. 2020

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