Walkyrie: le chevauchée...humaine

Humaine, oui... Et là est probablement ce qui explique la frustration que je ressens après avoir vu ce film pourtant excellemment joué, très efficace quant au suspense qu'il distille (choisir de ne jamais montrer par une image équivoque l'échec de l'attentat était un pari discutable mais respectable, et force est de reconnaître que ça marche très bien...), et remarquablement mis en scène de façon générale...


Parlons d'abord des points positifs: l'affaire tout d'abord est montrée de façon convaincante dans ses hésitations, ses tensions internes, ce mélange de civils et de militaires qui ne sont pas forcément d'accord sur tous les points, jusqu'à cette scène magnifique où Stauffenberg, en plein milieu d'un bombardement, a l'Idée décisive en entendant le célèbre morceau de Wagner.


Le personnage de Klaus Schenk von Stauffenberg est d'ailleurs le deuxième point positif du film, et certainement le plus marquant dans l'absolu: superbement incarné par Tom Cruise, on voit bien son caractère de meneur qui tiendra la baraque jusqu'au bout, malgré une tendance à l'idéalisation très "américaine" (mais compréhensible), et surtout (ce qui est plus gênant) une "cannibalisation" de l'ensemble du film sur sa personne...


Les deux scène les plus importantes du film, à savoir l'attentat et, à la fin, l'exécution des conjurés, sont sans défauts et sans "surenchère"...mais manquent conséquemment d'un peu de souffle, particulièrement la dernière pour des raisons sur lesquelles je reviendrai...
Impressionnante aussi est la scène de la tentative d'arrestation de Goebbels, surtout à la fin, lorsqu'il recrache la capsule de cyanure, qui sonne comme un résumé du film: une énorme occasion gâchée.


Enfin ce film a l'immense mérite d'avoir permis de "vulgariser" cet acte trop peu connu et de montrer que tous les allemands n'étaient pas des nazis (particulièrement au sein de l'armée régulière, la Wehrmacht, qui a comparativement compté le plus d'hommes d'honneur ayant poussé leurs convictions jusqu'à la trahison): rien que pour ça il mérite plus que la moyenne...


Mais il donne aussi un terrible sentiment d'"inachevé", et conséquemment il ne marquera pas assez ceux qui l'ont vu au point de parler de cette extraordinaire conjuration comme s'ils l'avaient vécu "de l'intérieur": il lui manque un souffle, une ampleur dramatique, peut-être une heure de longueur qui n'aurait pas été de trop. Walkyrie, en fait a autant d'ambition sur le fond...que de réserves sur la forme...


Et la cannibalisation par le seul personnage de Stauffenberg y joue: afin de ne surtout qu'on oublie qu'il est le personnage principal, Bryan Singer le met pratiquement dans toutes les scènes. C'est sûr que ça rajoute, au début, un côté spectaculaire (et peut être un hommage à Apocalypse Now avec l'attaque aérienne si légendaire et orchestrée par la même opéra de Wagner dans le film de Coppola), mais cette scène, rétrospectivement, "limite" le film à la seule action de Stauffenberg et oublie à la fois des personnages et des actions qui, s'ils avaient été mis en valeur de façon convaincante, auraient "densifié" formidablement le film et auraient "exporté" l'affaire bien au-delà du Bendlerblock , siège des conjurés durant le jour fatidique...


Il est d'autant plus dommage que le film sombre dans cet écueil qu'il avait trouvé en Kenneth Branagh un acteur merveilleux s'il en est pour jouer le deuxième "pilier" de la conjuration: Henning von Tresckow. Sa première scène permet d'ailleurs de voir la première tentative de cette résistance militaire pour réellement tuer Hitler: la bombe que lui et Schlabrendorff avaient placée dans l'avion du Führer et qui n'explosa pas. Bon sang! c'était la porte ouverte d'une part au développement d'un personnage absolument extraordinaire (c'est lui qui, après le Débarquement, a convaincu Stauffenberg de la nécessité de commettre l'attentat coûte que coûte), et d'autre part pour parler des autres tentatives commises durant cette période: même avortées elles offraient d'énormes possibilités dramatiques (von dem Bussche voulant se faire sauter avec Hitler pour laver son honneur, Gersdorff qui a dû, après le départ précipité de Hitler, désamorcer une bombe placée sur lui dans les toilettes: la liste est longue...).


Une autre possibilité avortée par frilosité concerne le 20 juillet lui-même... En-effet, il ne faut pas oublier que Stauffenberg avait des liens très forts avec les chefs de la Wehrmacht se trouvant à Paris comme son propre cousin Caesar von Höffacker ou le général Carl-Heinrich von Stülpnagel. Mieux encore! l'Opération Walkyrie a marché à Paris, et que les chefs de la SS ont été mis aux arrêts pendant plusieurs heures!.. Quelle possibilité d'accentuer davantage encore le drame de ce film en montrant ce pan de l'histoire! mais cela aurait risqué, j'imagine, de diminuer le charisme de Stauffenberg (ce qui eut été le cas si ça avait été mal filmé effectivement...)...
Enfin l'Opération en elle-même, à Berlin, manque de "punch" alors qu'il n'y avait que quatre personnages clefs à qui il aurait fallu donner une importance semblable (ils existent dans le film mais manquent de "vie"...): Stauffenberg (pour le coup il est important...mais hélas beaucoup trop), Freidrich Olbricht, Mertz von Quinrnheim, et Werner von Haeften. Le denier est d'ailleurs le vrai raté du film: bras droit de Stauffenberg avec qui il a amorcé la bombe, très "actif" au Bendlerblock où il n'a jamais faibli, ce personnage en avait d'autant plus "sous la semelle" que le film montre sa mort héroïque, lorsqu'il s'est jeté devant les balles pour protéger son chef une dernière fois. Mais, hélas, son rôle avait été tellement réduit jusque là que cette image fait juste dire "Bravo" mais ne tire pas les larmes...


La frustration domine donc au final pour ce film qui aurait pu être un vrai opéra wagnérien et qui est resté un film d'Histoire et d'aventure humaine, mêlé d'un agaçant culte de la personnalité (ouvrir et fermer le film sur Tresckow aurait, je pense, eu beaucoup plus d'intérêt tant dramatique qu'humain...). M'enfin: comme je l'ai dit, il est bien fichu, il bénéficie d'une excellente interprétation d'acteurs, et il a rendu hommage à un pan méconnu de la Deuxième Guerre Mondiale: c'est déjà ça...

Sudena
6
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le 9 oct. 2016

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