Vacances pourries dans le Sud et soleil noir de la Mélancolie

Le Sud de la France, un hôtel luxueux avec vue sur la Méditerrannée, un couple de riches Américains désoeuvrés (Angelina Jolie et Brad Pitt), une chanson de Gainsbourg/Birkin (Jane B) : By the sea commence comme un élégant film de vacances. Son enjeu pourrait être la découverte de la culture française au sens large (de Gainsbourg au pastis) – mais le film a des ambitions artistiques : By the sea marche modestement (et souvent laborieusement) sur les traces d'Antonioni et du Mépris. Son casting – qui place le couple Jolie-Pitt au milieu d'acteurs français jouant comme dans Sous le soleil – est son principal problème, il établit un décalage presque comique entre le drame du couple américain (surjoué par Angelina Jolie qui croit s'attribuer un grand rôle d'épouse délaissée) et ce qu'on pourrait appeler l'hospitalité française. Des confidences d'un patron de café (Niels Arestrup) qui saoule Brad Pitt (dans les deux sens du terme) aux parties de belote entre Mélanie Laurent et Angelina Jolie, le film fait, sans vraiment s'en apercevoir, l'éloge d'un art de ne rien faire qui va à rebours de ses ambitions dramatiques. On finit presque par regretter qu'Angelina Jolie n'ait pas réécrit son scénario sur le plateau, car By the sea, à défaut d'être un bon drame, aurait pu être une comédie du dépaysement, racontant comme deux Américains célèbres, croyant arriver au pays de l'élégance et du bon goût, déchantent au contact de néo-beaufs qui pourrissent leurs vacances.


L'idée essentielle du film – sa seule idée même – réside dans l'intérêt que le couple américain porte à un couple français résidant dans la chambre d'à côté. Le Français (Melvil Poupaud) et la Française (Mélanie Laurent) sont sexuellement très actifs : le bruit de leurs ébats sort Angelina Jolie de son lit, où elle dort seule, tout habillée. Elle découvre rapidement un trou dans une cloison lui permettant d'observer les ébats mais aussi le quotidien du couple : ils n'ont rien à se dire – on est au cœur du mauvais cinéma français d'auteur. Dans une scène assez réjouissante qui vient après un dîner durant lequel les deux couples ont échangé des banalités en buvant du pastis, Angelina Jolie invite son mari à son poste d'observation, ils voient Melanie Laurent s'effondrer sur son lit sous l'effet de l'ivresse. No sex. « Ils ne tiennent pas l'alcool », dit Brad Pitt. Le pauvre petit spectacle de la chambre d'à côté, ramené à son insignifiance, vient rappeler au spectateur que le film se joue du côté américain : le couple français n'est pas le reflet d'une sexualité perdue, mais un ersatz pathétique du couple américain, qui ne peut rivaliser avec lui sur le terrain du vrai désir. La survie de ce désir, dit le film, implique de longues séances d'abstinence et d'autodestruction plus ou moins masochistes, séances auxquelles Angelina Jolie s'abandonne sans jamais se départir de son élégance.


L'élégance, dans By the sea, ne se partage pas : le couple Jolie-Pitt doit éclabousser de sa classe le petit couple français, il doit être un modèle d'élégance intemporelle dans cette côté d'Azur fantasmée qui rappelle l'époque de La Madrague (1968). Un tel narcissisme fixe assez précisément les limites du film, qui aurait pu glisser du côté de Lunes de fiel s'il avait été écrit dans un autre état d'esprit, s'il avait accepté un peu plus la prise de risque. Mais le narcissisme est aussi tellement monstrueux qu'il devient parfois fascinant : dans son rôle d'american writer en panne d'inspiration, Brad Pitt, perdu, ne joue pas, sauf pour refaire les mimiques du lieutenant Aldo Raine dans Inglorious Basterds. Ne reste alors qu'un autoportrait d'Angelina Jolie, où il est difficile de séparer le glamour de la décrépitude. D'un côté le luxe des vêtements et des accessoires (parmi lesquels on remarque la fameuse capeline portée par Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany's) ; de l'autre l'étrangeté d'un visage déjà massacré par la chirurgie : un visage qui, dans dix ans, ressemblera à celui de Cher ou Melanie Griffith.


Avec un acharnement qui finit par être touchant, ce visage se farde et nous dit : « Regardez-moi ». Là réside peut-être le vrai drame que raconte le film, sous son apparence lisse et élégante : celui d'une Belle au bois dormant botoxée enfermée dans sa célébrité ennuyeuse, qui voudrait être un symbole de glamour, mais ressemble déjà à un freak de la série Hollywood types de Cindy Sherman.

chester_d
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le 20 déc. 2015

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