Vital
6.8
Vital

Film de Shinya Tsukamoto (2004)

Vital est une énième démonstration d'un fait qui commence à devenir incontestable selon moi: Shinya Tsukamoto est un des réalisateurs contemporains les plus importants et intéressants du Japon, et par extension du Monde de nos jours. Que ce soit dans des oeuvres relevant de l'expérimental ou dans des films "plus classiques" (à prendre avec d'énormes pincettes), reste toujours qu'on trouve dans ses films de vrais messages de fond, de la dénonciation sur des maux actuels de la société et surtout un travail qui ne se limite pas à raconter une histoire évidente allant d'un point A à un point B.


Le sentiment principal qui se dégage de la filmographie de Tsukamoto est la colère. La plupart de ses oeuvres, qu'elles soient expérimentales ou non, sont engagées et s'opposent clairement, par la violence et dans la violence, à des problèmes qui touchent notre quotidien. Pour parler de manière plus générale, on peut dire que ses films sont en dents de scie: très calmes, froids et pessimistes mais entre-coupés par des moments où les personnages explosent et laissent libre cours à leurs pulsions destructrices. Ici avec Vital, Tsukamoto laisse totalement tomber cette colère pour nous proposer un film sur la mort, et plus précisément sur le deuil.


Hiroshi se réveille un jour dans un hôpital, il a totalement perdu la mémoire. Ses parents (dont il n'a également aucun souvenir) lui expliquent qu'il a fait un accident de voiture, et sort d'un profond coma. En rentrant dans ce qui est supposé être son ancien appartement universitaire, il est mystérieusement attiré par un placard où il découvre qu'il était étudiant en médecine. N'ayant plus de but dans la vie, pas totalement de retour parmi les vivants, il se fixe comme objectif de recommencer ces mêmes études. Alors que 3 ans plus tard tout semble encore flou à propos de son passé, un TP de dissection l'amène à travailler sur le corps d'une femme décédée... qui s'avère être sa copine, morte durant l'accident de voiture ayant causé son amnésie...


On pourrait croire qu'il va donc retrouver la mémoire et prendre conscience à la fois de l'horreur de la situation et se souvenir de son passé, mais ce serait sous-estimer l'oeuvre ainsi que Tsukamoto, qui nous offrent quelque chose de profondément plus intéressant que ça. A travers un mélange de souvenirs morcelés et d'imagination, cette femme va revivre dans l'esprit de Hiroshi qui lui aussi, peu à peu, va ré-apprendre à être vivant.


Vital est une oeuvre qui constamment joue avec les notions de vie et de mort. Cela passe par l'état de ses différents personnages bien entendu (pas qu'au niveau psychologique, mais physique également !), mais aussi et surtout par un grand nombre de symboliques fortes. Dès le départ, les premières secondes du film présentent des cheminées de crématorium dansant nerveusement, destin inéluctable que nous offre la société, nous renvoyant encore et toujours à la thématique phare de Tsukamoto dont je parlais plus tôt. On peut aussi penser à titre d'exemple aux scènes d'ascenseur, où Hiroshi ne voit jamais les portes se fermer correctement, ces dernières ne coïncidant plus ensembles, à l'image des différents éléments assurant le lien entre son ancienne et sa nouvelle vie. Mais la symbolique la plus forte reste celle des rêves/souvenirs d'Hiroshi, où on découvre une relation assez malsaine sexuellement parlant avec sa défunte amie, basée sur la strangulation jusqu'à un seuil de mort imminente... Tout dans Vital est un perpétuel jeu basé sur ces notions de vie ou de mort, et c'est avec une extrême habilité et justesse que Tsukamoto nous propose tout ceci.


Encore une fois, que serait un bon film sans une fin digne de ce nom: très proche du message général proposé par After Life de Kore-Eda, elle montre comment une scène aux apparences anodine peut être riche en sens et d'une infinie beauté.


Si comme moi vous aimez le cinéma japonais mais que vous pleurez la fin de Ghibli, que vous craignez de ne plus rien voir d'aussi marquant que les grandes oeuvres devenues classiques de cador comme Kurosawa, ou encore tout simplement que vous trouvez qu'en règle générale: "c'était mieux avant", n'ayez craintes la relève est assurée ! Je profite également de cette critique pour parler de The Hole de Tsai Ming-Liang, film également asiatique mais tout droit venu de Taïwan, qui pour le coup se rapproche de la thématique principale de Tsukamoto, à savoir les maux de la société. Le film expose la mort de la ville et du contact humain en lui-même, et ceci à travers une histoire d'amour hétéroclite mais magnifique car pure et dénuée de tout artifice. Une autre perle immanquable du cinéma asiatique, trop peu connue, qui mérite d'être mise en avant !

Créée

le 30 sept. 2016

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Psycox

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