Visitors
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Visitors

Documentaire de Godfrey Reggio (2013)

Mais où est passée l'humanité ? Godfrey Reggio filme des bâtiments vides, des rues désertes, des parcs d'attraction abandonnés. Ces lieux grouillant de vie qu'il filmait 30 ans plus tôt pour Koyaanisqatsi (et ses suites satellites), dans une frénésie tourbillonnante, sont aujourd'hui des fantômes. Alors que le réalisateur plaçait l'humanité au coeur du monde, la rendant glorieuse et effrayante, dans une mise en garde cinglante face à la vérité nue, Visitors est le bilan de ces 30 années à parcourir la planète, à poser sa caméra et montrer la beauté et la fragilité du vivant. Où a-t-elle bien pu passer, cette folle humanité ?


Elle semble cachée dans le noir, là où seul le visage est encore éclairé. Mais qu'est-ce qui éclaire ces visages ? Bien qu'abandonnés, le ciel est toujours le centre de l'attention dans ces tas de pierres et de ferrailles immobiles. Mais il n'y a plus personne pour le regarder, tous ces visages tournés vers une autre lumière.


Visitors est une dystopie. La fin de la civilisation prophétisée dans Koyaanisqatsi a bien eu lieu. Le monde d'Anima Mundi a disparu. Seul subsiste un gorille qui nous regarde fixement, nous renvoie à notre déracinement, jugeant silencieusement le spectateur dans un jeu de miroir terriblement évocateur.


L'humanité est là, dans les ténèbres, le regard vissé à l'écran de la caméra, des télévisions, de la salle de cinéma. Reggio filme des visages au ralenti et leurs myriades d'expressions subtiles. L'humanité ne bouge peut-être plus mais elle vit encore, bouillonne de sentiments, vibre au rythme des émotions que ces petites fenêtres lui procurent. Et paradoxalement, Visitors est incroyablement humaniste. Détachés du reste de la planète, enchaînés volontaires à la puissance du plaisir, ces visages révèlent une palette de sentiments toujours intacts. Au contraire même, alors que Reggio filmait des visages fermés et inexpressifs pour Koyaanisqatsi, il présente ici toute la gamme (quasi-exhaustive) de couleurs que nous sommes. Et éclairer cette beauté au ralenti, sans voix et en noir et blanc constitue en soi une prouesse.


Seulement accompagné par la musique Philip Glass, le film est une symphonie désenchantée, un requiem pour le monde qui faisait vibrer jadis Godfrey Reggio, mais qu'il ne retrouve plus aujourd'hui. Des humains, rien que des humains, qui n’interagissent plus avec l'extérieur et à peine entre eux. Un plan montrera une montagne de déchets vomir elle-même, comme le dernière empreinte de l'Homme sur le monde sauvage, transformé en la poubelle que l'on ne veut même plus voir. Dramatique constat d'une réalité que l'on a fui il y a (déjà) longtemps...


Le spectateur se retrouve dans la position désagréable de la fascination pour ces visages pour lesquels seul le plaisir semble compter, et la culpabilité d'être l'un de ces visages déconnectés... "We don't want other worlds. We want mirrors", disait Gibarian dans la version Soderbergh de Solaris. Reggio sait toute la réalité de cette phrase et nous la renvoie en pleine face dans un hypnotique jeu de miroirs. Car au final, ces écrans ne renvoient que ce que nous sommes : perdus dans les ténèbres à ne regarder que nous-mêmes.


Visitors aurait pu toucher à la perfection si la dernière partie du film ne présentait pas autant de symboliques, pertinentes et sublimes certes, mais convenues : aux paysages vides de toute vie répondent les cimetières démesurés ; une porte fracassée, au-dessus de laquelle un panneau "EXIT" invite la caméra à s'approcher ; un vol d'oiseaux, dernier symbole de la liberté que les Hommes se sont résignés à trouver ; cette planète Terre, seule dans l'obscurité du cosmos, comme autant de visages humains éclairés par une seule source de lumière - celle des écrans. Unique élément coloré du film, notre planète semble inchangée. Pourtant, vue de près, la vie y est devenue lunaire, désolée, silencieuse ; et dans la salle de cinéma, ce gorille symbole du monde qui nous a donné naissance et que l'on a renié, nous contemple d'un regard profondément... humain.


Reggio a trouvé où se cache l'humanité... Elle est de retour dans la caverne de Platon, là où seule l'exultation du plaisir semble compter. Là où il n'y a rien d'autre à vivre ni à voir.

49Days
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le 14 août 2015

Critique lue 617 fois

5 j'aime

Fortynine Days

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