Fin 2014, le calendrier nous invitait à rassembler des films a priori distincts, "Vie Sauvage" s'inscrivant dans deux modes actuelles. La première, déjà constatée, répète un schéma de distribution connu. La seconde donne au film de Cédric Kahn un air familier, artistiquement parlant. Petit retour en arrière...


La première mode est le fait d'une concurrence sauvage et absurde que se livrent certains films français.


Tombé dans le domaine public, "La Guerre des boutons" donna lieu, courant 2011, à deux remakes dont les commanditaires se battirent pour être en salles les premiers. Résultat : ils sortent avec une semaine d'écart à peine et provoquent la confusion. Les biopics section haute couture s'y sont presque mis. En 2009, huit mois séparaient les sorties de "Coco avant Chanel" puis de "Coco Chanel et Igor Stravinsky". En 2014, ce sont "Yves Saint-Laurent" et "Saint-Laurent" qui proposaient deux visions d'un même personnage, eux aussi à huit mois d'écart. Et cette même année, "Vie sauvage" de Cédirc Kahn s'attaque à l'affaire Fortin, six mois à peine après "La Belle vie" de Jean Denizot.


La seconde mode, d'ordre thématique, semble le fait du hasard. En un mois, trois films ont déroulé des récits différents en partant de postulats similaires : le départ de la femme du domicile familial.


Dans "Gone Girl" de David Fincher, nous suivions un couple sans enfants dont l'homme affrontait les retombées médiatiques d'une accusation d'assassinat. Le film, tiré du roman "Les Apparences" de Gillian Flynn (scénariste de cette adaptation), adoptait successivement le point de vue d'un protagoniste acculé et celui d'une femme lasse de son quotidien, le tout en alternant les temporalités.


Dans "White Bird" de Gregg Araki, la gone girl jouée par Eva Green, mère de famille soudainement disparue, laissait mari et fille aux bons soins l'un de l'autre. Adapté d'un roman de Laura Kasischke, Araki disait être intéressé par sa teneur féministe. Dont acte, le cinéaste adoptant les points de vue successifs de l'adolescente et de sa mère...en alternant les temporalités.


Et dans "Vie Sauvage" de Cédric Kahn, qui est quant à lui tiré de faits réels, une mère fatiguée par une vie de nomade qu'elle a pourtant choisie, décide de s'enfuir. Elle emportera ses trois enfants (dont deux qu'elle a eu avec son compagnon actuel), en comptant sur la justice pour lui en octroyer la garde.


Le départ. Voilà ce qui, en apparence, lie ces trois films. Sitôt présenté, le cocon familial y est brisé, remit en question. Faire des rapprochements, trouver des liens, c'est certes un sport de cinéphiles, il n'empêche qu'après deux films sur le sujet, à quoi bon en redemander, si ce n'est pour l'argument peu légitime "tiré d'une histoire vraie" ? Parce que "Vie sauvage", contrairement à ses prédécesseurs, prend d'emblée le parti des fuyards. Et qu'il affiche, sans ostentation, sa sensibilité masculine quand "White Bird" ne jurait que par ses héroïnes et où "Gone Girl" laissait (littéralement) la parole aux deux camps. Ce qui motive la mère de famille interprétée par Céline Salette, c'est le désir de repartir à zéro, le besoin de foutre le camp. Mais l'argument est très vite contredit par ce que le public sait déjà : le père de famille récupérera ses deux enfants biologiques et fuira avec eux pour une dizaine d'années.


On a entendu dire que, fâché avec Cédric Kahn, Mathieu Kassovitz refusait d'assurer la promotion du film. Rumeur ou réalité, le fait est que l'on comprend ce qui a pu séduire le réalisateur de "L'ordre et la morale" dans le scénario qu'on lui a proposé : il possède un sujet fort et y appose un point de vue, un angle d'attaque, bref, ne cherche pas à ménager tous les partis. Il invite à accepter une situation donnée, par les actes d'un homme allant contre un système qu'il juge incapable d'analyser, d'assimiler et de juger un conflit où le père est instantanément démis de ses droits. Combat du droit moral contre le déni législatif, la notion d'intégrité est au cœur de "Vie sauvage" et lui donne une droiture qui est aussi le moteur de cette longue cavale. Loin de viser l'exhaustif, Cédric Kahn élude d'ailleurs un pan entier de l'histoire de ses jeunes héros, passant directement de l'enfance à la fin de l'adolescence pour mieux signifier leur évolution.


Qu'il ait eu lieu ou non, on regrette en revanche un dialogue final empesé par des considérations religieuses un peu faciles, d'autant qu'il mène à une conclusion trop abrupte. De même, quelques choix musicaux maladroits jurent avec la tonalité générale. Mais en opposant le sens des valeurs d'un individu à la détresse affective d'une mère dont le chagrin n'est rappelé que par des coupures de journaux, "Vie sauvage" ne lâche pas d'une semelle son trio de tête. À l'instar de son héros et de son comédien principal, le long-métrage a le courage de ses opinions. En témoigne, un brusque retour à la réalité où, serein, le ravisseur semble avoir gagné depuis longtemps. Ayant inscrit dans la mémoire de ses fils une batterie de sensations, de souvenirs et de savoirs qui lui sont chers, il aura forgé leurs caractères et défini leur personnalité. À chacun de trouver cela superbe ou révoltant mais Fortin aura, une décennie durant, résisté et agi.


"Le réalisme est un point de départ, une matière, mais je voulais absolument que le film aille vers la fiction, de même que leur vie en est une pour moi. C'est presque une fiction ce que le père propose à ses garçons, il réinsuffle en permanence du rêve et de l'utopie", déclara Cédric Kahn. S'emparer d'un fait divers pour y faire écho en usant des mécanismes de la fiction ? On comprend décidément ce qui a pu séduire Kassovitz dans le projet. Il nous gratifie d’ailleurs d’une interprétation habitée à laquelle fait honneur le réalisateur de "Feux rouges".


Pour les détails, il y a un grand pas avant de voir en "Gone Girl", "White Bird" et "Vie sauvage", un triptyque familial. Pourtant, découverts avec si peu de recul, difficile de ne pas les placer sur un même champ de bataille, malgré ou à cause du fait que leurs points de vue se tournent poliment le dos.


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Fritz_the_Cat
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le 5 mars 2015

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Fritz_the_Cat

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