Pour raconter la tragédie d’Utoya, Erik Poppe choisi le plan séquence et l’immersion au plus près des ados coincés sur l’île.
Vivre l’action en temps réel, à hauteur humaine, sans jamais prendre de recul permet de ressentir chaque étape et chaque minute du supplice des victimes en nous imposant leur temporalité, en nous faisant entendre les tirs incessant, bruyants, percutants.
On est vite étouffés par ce qu’on voit, encore plus par ce qui n’est pas montré mais qu’on connaît bien avant que les personnages ne le comprennent.
On en veut au réalisateur d’oser nous infliger ça, et on se rappelle un peu ébêté que si ça nous est à ce point invivable, c’est parce qu’on sait que c’est le reflet d’une réalité qu’on voudrait nuancer, dont on aimerait garder une image diffuse.
Ce sentiment de ras le bol alors qu’on sait qu’on ne risque pas notre vie, c’est exactement ce qu’on peut ressentir en visitant des musées ou expos sur des guerres: la répétition d’images de bombardement est vite insoutenable, et le visiteur en veut à ceux qui ont jugé bon de lui faire subir cette reconstitution, jusqu’au moment où il se rend compte que le but est atteint: en mettant à mal sa patience, on vient de lui faire comprendre que ce qu’il a du mal à supporter 5 minutes était autrement plus difficile à vivre “sur le terrain”.
C’est exactement pour cette raison qu’Utoya est difficile à regarder, et encore plus à juger.
C’est un film exigeant, qui ne peut être regardé qu’avec la contrainte de rester en place, sans pause, sans échappatoire. Il est donc indispensable de le découvrir en salle.
Pourtant, ce serait faux de n’y voir qu’un récit glaçant de l’épisode qu’on a pu vivre en direct à une époque où information et contre information fusent encore plus vite dès qu’il est question d’attentat.
Erik Poppe prend le parti de suivre Kaja, personnage fictif réellement attachant: la jeune actrice a de faux airs de Jennifer Lawrence, avec le même air poupin, la même bonté dans le regard. De ce personnage, le réalisateur va tirer les moments de lumière du film, va faire ressortir l’humain dans toutes ses contradictions: entre instinct de survie et humanité quand il faut porter secours, entre fuite et pauses où on chante, où on papote pour essayer de rester debout, de se prouver qu’on existe encore.
Les rares moments durants lesquels le film sème des paillettes d’humanité sont des bouffées d’air qui contrastent avec les bruits glaçants des tirs et des cris. Ce sont ces escales qui donnent au film un intérêt au delà du procédé du plan séquence, au delà du récit de ce qui a été, c’est ici qu’on trouve la vraie proposition du réalisateur, l’idée qu’au fond on peut répondre à la barbarie en gardant l’éclat de ce qui fait de nous des êtres vivants, solidaires, debout.
Utoya frappe juste là où on ne l’attendait pas, et surtout il nous donne envie de sortir très vite de son décor.
Et puis vient enfin le bout du voyage, et alors qu’on s'apprête à digérer tant bien que mal ce qu’on vient de nous infliger, voilà que le réalisateur ajoute aux images des mots pour conclure sur une morale anti extrême droite.
Le film se suffisait à lui même, ces panneaux conclusifs sont totalement superflus et perdent tout leur impact parce qu’ils enfoncent des portes que 90 minutes de film avaient déjà copieusement ouvertes.
On comprend la volonté derrière tout ça, on a beau la partager, se voir ramené au rang d’enfants à qui on vient apporter la bonne parole n’est pas flatteur.
Ces paroles sur lesquelles on quitte le film viennent en annuler l’impact, et c’est bien dommage parce qu’on était prêt à tout mais pas à ça.