Nous avions adoré "Get Out", véritable OVNI dans le cinéma US tellement formaté, qui voyait le débutant (au cinéma) Jordan Peele s’inscrire en plein dans le récent mouvement de prise de pouvoir artistique par de jeunes réalisateurs afro-américains ambitieux, et proposer une version politique – un peu à la manière du vétéran John Carpenter en son temps – du film de genre fantastique. Nous ne fûmes pas les seuls, et le film connut une belle trajectoire commerciale et critique. Après une telle entrée en matière, il est évident que Peele était attendu au tournant : clairement conscient de la taille du défi, le voilà qui revient avec un second film, Us, qui ambitionne de répliquer presque à l’identique la formule magique du premier, de rester exactement dans le même registre, tout en nous en offrant encore plus… Plus de mise en scène, plus de surprises dans le scénario, plus de violence, plus d’humour, plus de politique, plus d’horreur… Et évidemment, ça ne fonctionne pas aussi bien que nous l’aurions tous voulu !


Au centre du problème que pose "Us", il y a surtout que le film est en grande partie un film d’épouvante des plus classiques, usant et abusant de tous les artifices du genre, qu’il est donc loin de dynamiter, ou même simplement de pervertir : la musique, les jump scares, l’éternel retour du Mal, et les excès de gore dans des scènes de violence par trop répétitives… Tout cela est bien connu, et dure ici au-delà du raisonnable. Alors oui, on a peur, on sursaute, on frémit, car Jordan Peele confirme son talent de metteur en scène, capable en outre de redonner du sens à des scènes déjà vues mille fois. Mais que c’est long, tout cela, que l’on est impatient de sortir de ce tunnel nocturne de meurtres sanglants !


… Et ce d’autant plus que la mise en place de l’histoire avait été plus qu’alléchante : un prologue absolument parfait, installant une angoisse sourde et culminant dans une très élégante scène dans un palais des glaces, puis une longue et délicieuse présentation de la famille – afro-américaine – qui sera au cœur de la fiction. C’est d’ailleurs un véritable bonheur que de voir ainsi les clichés du cinéma hollywoodien déplacés vers des personnages toujours traités « à la périphérie » : la moindre plaisanterie, qui ailleurs serait un peu lourde, gagne du coup une fraîcheur inattendue, et l’on réalise combien le cinéma US s’est privé du fait de son racisme fondamental et de son ethnocentrisme caucasien d’une réserve incroyable de personnages et de fiction. Pour cette première partie du film, jusqu’à l’introduction vraiment terrifiante de la « home invasion » (on peut d’ailleurs penser au "Funny Games" de Haneke, c’est dire l’efficacité de la réalisation), il faut voir "Us", en dépit des faiblesses de la suite.


Car la grande - et pas très bonne - surprise du film, c’est que le sous-texte politique a été ici remplacé par une intrigue science-fictionnesque assez lâche et très peu crédible, et qui est surtout prétexte à un twist final qui rappelle, et en moins cohérent, les facéties de notre ami M Night Shyamalan. Même si l’on reste forcément bluffé quelques minutes, on se rend bien vite compte que l’histoire, rétrospectivement, ne tient plus la route. Ce choix de Jordan Peele de privilégier une (fausse) astuce de scénario, par rapport à tous les thèmes potentiels qu’il aurait pu développer à partir de son idée de « doubles », est une grave erreur, qui condamne son film à cette même superficialité du genre que "Get Out" dynamitait.


Reste que, malgré ces réserves, importantes, on a passé de bons moments devant "Us", on a bien ri, on a bien tremblé, et on garde toute notre confiance en Jordan Peele, qui confirme ici un sacré talent de metteur en scène.


PS : Nous n’avons pas parlé de la direction d’acteurs, ou plutôt d’actrices, pourtant impeccable : Lupita Nyong’o est tout simplement extraordinaire. Quant à Elisabeth Moss, elle confirme une fois de plus quelle immense actrice elle est, en seulement quelques scènes… sans même parler de sa crédibilité en psychopathe terrifiante !


[Critique écrite en 2019]
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EricDebarnot
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le 24 mars 2019

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Eric BBYoda

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