"Nous sommes des lâches et des hypocrites comme la majorité des gens ..."

Excellente adaptation du roman de Marcel Aymé avec une pléthore de bon acteurs.
Il s'agit d'un sujet assez peu traité sur la France d'après guerre : Le bilan et les petits arrangements que certains ont dû faire avec l'ennemis. Pas vraiment collabo actifs, pas vraiment neutre...
Parmi les écrivains français majeurs de la première moitié du XXe siècle, Marcel Aymé est coutumier des adaptations cinématographiques de ses œuvres. Le Passe-Muraille, La Jument verte, La Traversée de Paris entre autres, constituèrent autant de jolies réussites que de vrais classiques du cinéma français. La Traversée de Paris justement (nouvelle issue du recueil Le Vin de Paris), exprimait la facette ambiguë de l’auteur à travers son héros (joué par Gabin dans la version cinéma) qui profitait des avantages offerts par l’Occupation allemande tout en dénonçant certains comportements révoltants de ses concitoyens.
Très fidèle au roman, le film de Claude Berri dépeint donc les tensions régnant dans un petit village français au lendemain de la Libération. Suspicion de tous les instants, dénonciations arbitraires baignent le quotidien d’un groupe de personnages formant un microcosme idéal des différents types de personnalités s'étant révélés durant l’Occupation. Les honnêtes gens se sentant coupables de leur apathie quand tout allait mal (Jean Pierre Marielle tout en subtilité), le brave type ayant vaguement traficoté pour arrondir les fins de mois (Gérard Depardieu excellent en bon vivant adepte de la poésie) et les vraies ordures s'étant enrichies au détriment des autres et ayant encore le bras long (surprenant et abject Michel Galabru). Les conflits idéologiques d’alors sont également très bien retranscrits à travers la description des communistes. On y retrouve les acharnés appliquant la doctrine et semant la terreur fort de leur passif de résistants, et également ceux dépassés mais souhaitant réellement changer le pays en prenant le pouvoir. Fabrice Luchini en petit bourgeois étalant sa rhétorique sans nuance ni compassion est brillant, face à lui un Michel Blanc plus mesuré mais tout aussi convaincant.
L’image donnée de cette France encore traumatisée n’est pas bien belle, Berri parvenant par intermittence à disséminer l’ambiguïté des écrits de Marcel Aymé. Ainsi l’ancien collaborateur Maxime Loin (joué par Gérard Desarthe) s’avère mesuré et lucide, ne regrettant pas ses choix et ses erreurs tandis qu’à l’opposé, le communiste incarné par Paul Prévost fait preuve d’une attitude révoltante, calomniant à tout va et abusant de sa légitimité. Les forces de l’ordre aux petits soins des puissants ne valent guère mieux.
En dépit de ses diverses qualités et son audace, l'oeuvre de Berri souffre de la comparaison inévitable avec l’autre grand film tiré de Marcel Aymé sur la période, La Traversée de Paris. Le ton grinçant, drôle et pathétique de ce dernier s’estompe sous la patine trop manichéenne et didactique du scénario écrit par Berri et Arlette Langmann. Là où les dialogues du classique de 1956 claquaient comme des fouets car idéalement insérés aux différentes situations rencontrées, ceux d'Uranus (pourtant très fidèles) lourdement amenés cèdent au monologue démonstratif et sentencieux.
Chose vraiment regrettable au vu des prestations époustouflantes d'un casting de luxe, notamment Philippe Noiret résigné et poignant lorsqu’il explique son détachement des choses de la vie suite aux pertes douloureuses qu’il a subies. Néanmoins l’essentiel est préservé, telle cette conclusion cinglante et ironique où, en voulant épargner une exécution sommaire à un personnage coupable, Marielle provoque bien malgré lui la mort d’un innocent.

Bande Annonce : http://youtu.be/D6dZi26epoc
JohnFawkes
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Créée

le 11 févr. 2013

Modifiée

le 12 févr. 2013

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John Fawkes

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