Surtout ne pas dire que ça ressemble à Memories of murder, ou à Se7en pourquoi pas… Ne pas le dire, mais le penser quoique, et très fort. Comparer entre elles des œuvres plus ou moins similaires, et si le réflexe est tentant, n’est assurément pas la meilleure chose à faire malgré, très souvent, une sorte d’évidence qui s’impose (comme ici), et Une pluie sans fin déçoit de toute façon au-delà de ses rapprochements avec les deux modèles suscités. Il y a donc de la pluie, beaucoup de pluie, un tueur en série, un contexte politique, un antihéros et une enquête qui piétine. Mais surtout, surtout ne pas dire que ça ressemble à Memories of murder et à Se7en, mais y penser quoique, et très fort.


Dans cette Chine du Sud de 1997, pauvre et déliquescente, Dong Yue fait de son récit policier un leurre et, derrière les signes manifestes du néo-film noir, dresse d’abord un constat social sans pitié et raconte les balbutiements d’un amour voué à l’échec entre un loser au passé glorieux et une prostituée (Duan Yihong et Jiang Yiyan, parfaits). Sauf que le mélange des trois genres prend mal et Dong Yue, au contraire de Bong Joon-ho, parvient difficilement à les concilier, à trouver le bon timing pour les faire coexister (l’histoire d’amour, banale, prenant le pas sur les autres enjeux du film). Même la résolution finale ne convainc pas (ni la conclusion tragique à la relation de Yu et Yanzi), twist sans surprise (et flashback grotesque) déboulant comme une explication de texte plaquée au dernier instant, en désespoir de cause.


Rien ne surprend non plus entre une enquête policière déjà vue (Memories of murder et Se7en donc, et puis tant d’autres…), cette histoire d’amour éculée et une chronique de la Chine d’avant qui ne sert que d’arrière-fond en carton. La rétrocession d’Hong Kong et l’évolution de l’industrie chinoise à l’aube de l’an 2000 ne sont que des prétextes qu’on dirait disposés là pour donner du grain à moudre aux critiques, et jamais véritablement traités en profondeur ni totalement (ou maladroitement, à l’image de ce dernier plan symboliquement lourd) mis en perspective par rapport à la vocation première du film : décrire la réalité sociale d’un pays et les (dés)illusions ouvrières d’une époque. Si la vision de ces paysages, de ces villes et de cette usine monstrueuse noyés sous la pluie offre au film une atmosphère et une esthétique du plus bel effet, le reste paraît dénué du moindre intérêt, y négligeant troubles, lyrisme et suspens au fil d’un scénario laborieux.


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mymp
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le 1 août 2018

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mymp

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