Un destin extraordinaire suffit-il à faire un film extraordinaire ? C’est bien la question que pose Une merveilleuse histoire du temps, dont toute la fabrication – des plans, aux choix scénaristiques, en passant par les acteurs – tend à conter une histoire merveilleuse, féerique teintée de quelques drames. Le film semble tout droit sorti d’un temps indéfinissable où l’on filme encore les premiers regards amoureux avec l’actrice le rose aux joues, où les âmes sœurs se convoitent de loin, font du manège ensemble avant de s’embrasser pour la toute première fois devant un magnifique feu d’artifice. Stephen est un cosmologiste, persuadé que si l’univers a un commencement – ce dont il peinera à être intimement persuadé toute sa vie – il a forcément une fin à venir. Le temps, c’est ce qui l’obsède, jusqu’à ce qu’il devienne une réelle quête quand on lui apprend qu’il lui est compté : une maladie vient briser son avenir et la mort doit surgir sans surprise dans moins de deux ans. Pire encore, si tout son corps se dégradera jusqu’à le priver de motricité et de parole, son esprit restera intact, bref, il sera pleinement conscient de sa propre chute. De son côté, Jane aime la littérature, va à l’église et croit en Dieu, c’est avec lui que commence l’univers pour elle et c’est certainement avec lui qu’il se terminera sans qu’elle y pense vraiment. Elle est très vite fascinée par l’univers de Stephen et décide de le suivre, avec courage, dès qu’elle apprend sa maladie. De valide, Stephen passe à invalide et d’épouse dévouée, Jane passe à garde malade. Elle aime dans la dévotion la plus totale. L’amour que ces deux-là se portent triomphera de la maladie, puisqu’ils auront pas moins de trois enfants ensemble.

De cette histoire vraie et fascinante – Stephen Hawking étant véritablement un des plus grands scientifiques de notre ère puisqu’il vit encore aujourd’hui, à 72 ans – James Marsh a tiré un film qui se veut exemplaire. On voit tout au travers des yeux de Jane puisque c’est du livre qu’elle a écrit, après sa séparation d’avec Stephen, que le film s’inspire. Pourtant, tout est fait pour montrer les réussites de Stephen, sans les combats intimes qui le malmènent. On n’entre jamais au cœur de son état, de sa force. L’histoire est bien lisse, on reste du côté de la fable, de l’extraordinaire, du dévouement. La maladie est là, pleinement inscrite. Mais quand Stephen Hawking écrit sa brève histoire du temps, vendue à plus d’un million d’exemplaire, on sait que ses idées tiennent plus qu’à la réflexion d’un scientifique. C’est avant tout un corps qui éprouve le temps dans toute sa dimension, mais aussi l’espace, l’échec de la matière, et se dépassement du diagnostic. Comment est-ce possible qu’il soit toujours là aujourd’hui ? Sa femme, rien que sa femme répond le réalisateur. Jane, dont il finira par se séparer sans haine et pour la laisser libre d’aimer à nouveau pleinement et sans sacrifice, est montrée comme un symbole de courage, érigée en exemple d’amour. On sort donc la femme de l’ombre, pour ne pas simplement montrer l’homme et sa réussite. C’est pourtant à cela que tient l’extraordinaire de la vie de Stephen, avoir écrit un livre sans pouvoir bouger un seul membre, n’avoir jamais lâché le temps ou l’univers. A la force de la douleur, d’épreuves psychiques et physiques, Stephen finira même par suggérer la possible existence de Dieu. On entre dans cette intimité fascinante, mais seulement en surface, bercés par une douce musique, des violons, du piano et des visages qui se regardent et tiennent ensemble. L’histoire est ici filmée comme unique et universelle, c’est ça la force principal du film. Le Biopic, cependant très conventionnel dans sa forme comme dans le fond, prend un contre-pied : il montre la vie domestique du scientifique qu’on a l’habitude d’identifier à un vieil homme paralysé qui parle à l’aide d’un ordinateur. Malgré l’effort fournit par les scénaristes, il demeure tout de même un certain pathos et beaucoup de sentimentalisme dans cette histoire universelle du temps. Les visages sont bienveillants, les plans veulent inspirer les larmes, la compassion, l’empathie pour des personnages dont les corps et les ambitions prennent d’autres formes. Jane ne reste pas la niaise petite étudiante fan de littérature médiévale, mais celle qui peut traverser toutes les époques avec sur les épaules un fardeau immense : aimer et soigner. Graviteront donc inévitablement d’autres personnages, dont celui du nouveau mari de Jane. Le film n’hésite pas à montrer les hauts et les bas du mariage de Stephen, mais il n’éprouve pas assez le concept de l’amour-sacrifice, il n’ébranle pas assez le mythe du grand scientifique respecté et optimiste. La foi chrétienne de Jane la fait aider son prochain, l’aimer, l’adorer même, sans cri ni haine.

Il aura fallu du temps – presque trois ans – pour convaincre la vraie Jane Hawking de voir son livre* adapté à l’écran, elle s’en félicite aujourd’hui. Mais plus qu’un ressenti sur le temps et sa pression sur nos vies, ou encore le commencement, le film est avant tout romantique, profondément, la réflexion scientifique est trop mise de côté, trop embellie pour qu’elle nous apparaisse dans toute sa force. On la comprend cependant puisqu’elle est le plus souvent simplifiée. Stephen explique à Jane ce qu’il comprend d’immense, elle le retranscrit avec ses mots. Le temps nous fascine, nous entraîne, nous oppresse, et le film ne nous le fait pas assez ressentir. Il reste cependant braqué vers les étoiles qui se construisent et meurent dans une même explosion, fascinantes. Pour incarner les deux personnages principaux, les acteurs Eddie Redmayne et Felicity Jones sont parfaits, bluffants même. On est dans la ressemblance et ils s’en sortent très bien, tout en faisant passe une vaste palette d’émotions. Les images elle aussi sont magnifiques, nimbées d’une douceur certaine, s’intéressant de près au corps qui flanche et à sa chorégraphie. On scrute l’infiniment petit des visages, l’infiniment grand du ciel, la petitesse de l’être humain dans l’univers et la grandeur d’un esprit pourtant enfermé dans un corps infirme. De l’intime à l’universel il n’y a qu’un pas, qu’importe le temps qu’il reste. Du cinéma à grand spectacle pour les amoureux de l’amour.
eloch

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