Godard filme, à la façon d'un entomologiste, quelques fragments de la vie d'une femme mariée, partagée entre son mari et son amant. Une grande partie du film est composée de fragments de corps qui se rapprochent, se touchent ou se caressent, fragmentation qui produit un effet de grande douceur ainsi qu'un extraordinaire effet poétique, mais qui signale aussi la possibilité de transformer les corps en pièces d'échange dans une société de consommation façonnée par la publicité des magazines. La photographie et les cadrages, réalisés par le fidèle Raoul Coutard, sont absolument sublimes. Le film, derrière son aspect sociologique, renvoie aussi à la vie personnelle de Godard à l'époque et à ses rapports tumultueux avec Ana Karina, sa femme. Comme le rapporte Antoine de Baecque dans son ouvrage sur le cinéaste, « Macha Méril a le même âge qu'Anna Karina, 23 ans ; Philippe Leroy, qui joue son mari, le même que Godard, 33 ans ; Bernard Noël, qui fait l'amant, celui de Maurice Ronet (amant d'Anna Karina à l'époque), 37 ans. De même, Bernard Noël a joué avec Maurice Ronet dans Le feu follet de Louis Malle et La ronde de Roger Vadim, et dans Une femme mariée, il interprète un acteur ». Le film, bien qu'il ne soit à aucun moment érotique, jamais les corps ne s'étreignent et jamais n'apparaissent de sein ou de sexe, fut totalement interdit par la commission de censure de l'époque qui le jugea pornographique ! Le ministre Alain Peyrefitte, extrêmement embarrassé par le scandale provoqué par cette interdiction, reçu Godard en octobre 64 en lui demandant de présenter un nouveau montage à la censure. Godard ne changea pas grand-chose ; il supprima uniquement une courte scène où l'on voyait des seins nus sur une plage, scène qui était d'ailleurs tournée par Jacques Rozier. Il consentit surtout à transformer le titre qui était au départ La femme mariée, et qui devint Une femme mariée. L'adultère, scandaleux à l'époque, n'était plus présenté comme une généralisation, mais un cas singulier. Le film put alors sortir avec une interdiction aux moins de 18 ans et Godard devint un des symboles les plus importants de l'époque de la résistance au pouvoir gaulliste.

Jean-Mariage
9
Écrit par

Créée

le 13 mai 2018

Critique lue 451 fois

1 j'aime

Jean-Mariage

Écrit par

Critique lue 451 fois

1

D'autres avis sur Une femme mariée

Une femme mariée
Flavinours
7

Méril Strip

Critique publiée sur Kultur & Konfitur. L'histoire du film est connue mais je la rappelle quand même parce que : Cannes 1964, Godard rencontre Luigi Chiarini, directeur de la Mostra (depuis...

le 9 mars 2014

9 j'aime

Une femme mariée
Garcia
8

Critique de Une femme mariée par Garcia

Jean-Luc Godard, je t'aime. Parfois aussi, il est vrai, je te déteste. C'est que le bonhomme a clairement plusieurs facettes dans ses films des années 60 (les seuls que j'ai vu). Dans celui là on...

le 12 nov. 2012

9 j'aime

1

Une femme mariée
Cinephile-doux
5

Fragments et sentiments

Le corps de l'exquise Macha Méril, filmé sous toutes les coutures, en d'innombrables gros plans. Une voix off chuchotée. Les injonctions de la société de consommation. Une femme qui hésite entre son...

le 3 sept. 2022

5 j'aime

Du même critique

Le Gai Savoir
Jean-Mariage
9

Chef-d'œuvre.

Ce film inaugure la « période Mao » de Godard et son entrée dans l'anonymat du cinéma militant, dont il ne sortira que des années plus tard. Filmés sur fond noir (la photo et les couleurs sont...

le 17 janv. 2017

10 j'aime

La Prison
Jean-Mariage
8

Premier "vrai" Bergman et petit chef-d'oeuvre.

La prison est le sixième film réalisé par Bergman, alors quasiment inconnu, mais on peut considérer qu’il s’agit du premier « vrai » Bergman, puisque les cinq films précédents étaient des films de...

le 25 mars 2020

9 j'aime

2

Un vrai crime d'amour
Jean-Mariage
8

Roméo et Juliette en mode prolo.

Finalement, c’est l’éternelle histoire de Roméo et Juliette. Ici, vraiment tout les sépare : leur mentalité, leur famille et, d’une manière qui s’avère radicale, l’exploitation capitaliste. Luigi...

le 20 févr. 2020

7 j'aime