Duels et féminisme : à chacun son honneur !

Acteur renommé ayant joué dans d'innombrables films, Vincent Perez réalise avec cette fiction son quatrième long-métrage en 20 ans, dont il écrit le scénario et dans lequel il incarne parfaitement, avec dureté et sans état d'âme le rôle du redoutable Colonel Louis Berchère, un militaire revanchard et nostalgique de la guerre de 1870 !

Présenté par une bande annonce efficace et incitative, ce film est très intéressant pour ses intrigues variées, bien construites et non sans suspens, mais également par sa plongée réaliste dans la troisième république des années 1887. Une France avec ses transformations tant politiques que sociétales, l'angoisse toujours présente de la défaite de la dernière guerre, et une société confrontée à des bouleversements comme la montée du féminisme dans un pays excessivement machiste et misogyne, la menace du retour à la monarchie, mais aussi la liberté de la presse consacrée par la fameuse loi du 29 juillet 1881 !

Dans ce contexte en ébullition, la pratique du duel, bien qu'interdite par l'Etat Républicain, reste à cette époque un moyen pour tous de laver son honneur, pour des raisons plus ou moins sérieuses ! Méticuleusement reconstitués selon les règles de l'époque avec procès verbal d'avant duel, témoins et directeur, ainsi que le choix des armes (escrime, pistolets, sabre à cheval, tout y est), les différents duels du film sont un fil rouge habile qui sert les intrigues, dynamisent le scénario, et ne font pas de cette réalisation un Cap et d'Epées, heureusement !

Evidemment ces situations conflictuelles, souvent entre militaires et journalistes, fait prospérer les salles d'armes, sorte de salles de gym pour s'entraîner à manier les fleurets, sabres et autre épées. Le film fait ainsi la part belle à celle dirigée par Eugène Tavernier, brillamment interprété par un Guillaume Gallienne au fait de son art, avec son très charismatique maître d'armes Clément Lacaze, meurtri par les horreurs de la guerre, joué par un remarquable Roshdi Zem, à la fois dur, énigmatique, mais aussi sensible et émouvant, une vraie prouesse d'acteur !

Au milieu de ces querelles d'hommes, notamment amoureuses, et conduisant souvent à des drames violents, l'originalité du film est de savoir habilement intégrer le phénomène montant du féminisme, sous l'intervention brillante de la journaliste et militante endiablée Marie-Rose Astier de Valsayre, qui se bat notamment contre le port obligatoire des robes par les femmes, avec une loi qui leur interdit le port du pantalon. (Loi qui sera abrogée définitivement en ... 2013 !). Subtilement interprétée par Doria Tillier, avec poigne, panache, et délicatesse, Marie-Rose crée fort à propos la première ligue féministe d'escrime. Se querellant violemment avec Ferdinand Massat qui l'humilie sèchement (joué par un Damien Bonnard parfait dans ce rôle ingrat et assez peu courageux), le rédacteur en chef du Petit Journal et ami du colonel Berchère, Marie-Rose demande réparation en le provoquant en duel. Mais comment imaginer qu'une femme puisse affronter un homme dans un duel à cette époque ?

Faisant cause commune avec Clément Lacaze, pour des raisons qu'on découvrira dans le film, Marie-Rose apprend l'escrime avec lui pour affronter Ferdinand Massat, non sans risques pour eux deux, notamment avec le revanchard Colonel Berchère ! Leur rapprochement apporte au scénario une touche romantique, tout en retenue et où les personnages se dévoilent avec pudeur et finesse, que j'ai vraiment appréciée.

On l'aura compris, ce film est porté par un casting de haut vol, maniant avec virtuosité une large palette de sentiments humains et d'émotions, dans une mise en scène de Vincent Perez quasi irréprochable. On pourra sûrement regretter le trop grand nombre de duels, mais la reconstitution avec soin de l'époque des années 1880 en font une fiction intéressante, animée et où l'on ne s'ennuie jamais; que demander d'autre au cinéma pour un excellent et très instructif drame historique ?

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le 16 janv. 2024

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Azur-Uno

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