La suite de la carrière des Frères Safdie s’annonce vraiment prometteuse. Après l’excellent Good Time, ils réalisent avec Uncut Gems une autre perle. Ce film apparaît d’ailleurs comme une réussite encore plus admirable que Good Time. Non pas qu’il soit forcément meilleur, mais il est plus ambitieux, surtout scénaristiquement. Si le premier film était une course contre la montre ininterrompue, un film linéaire fonçant à vive allure d’un point A à un point B, avec peu de personnages et avec un enjeu précis, Uncut Gems est, au contraire, un film plus « large », plus « éparpillé » ; il compte un grand nombre de lieux, de personnages, de situations, de problèmes etc. Et les Frères Safdie s’en sortent merveilleusement bien. Ils montrent qu’ils sont aptes à se renouveler et à adapter leur style à des sujets différents.

Le film suit donc les multiples péripéties d'un propriétaire de bijouterie new-yorkais dénommé Howard.

J’aime beaucoup le style de ce film…J'aime son rythme effréné, sa tension constante, sa cacophonie permanente, son tumulte perpétuel, son aspect anxiogène et étouffant…On est toujours plongé au cœur de l’action, du bruit, des personnages. Tout cela a presque quelque chose d’épuisant. Ce qui est évidemment une bonne chose dans le cadre d’un film immersif comme celui-là. Les Frères Safdie multiplient les plans serrés et les plans sur les visages ; ils ne desserrent que très rarement leur cadre pour laisser l’audience respirer : ils cherchent la suffocation…( et ils l’obtiennent ). Aussi, le film se déroule souvent dans des environnements étroits, fermés, clos, exigus, et, là encore, ça permet d’amplifier l’oppression qu’exerce le film. En ce sens, la scène où KG et D sont enfermés dans le SAS de la boutique d’Howard illustre à merveille le ton général du film. Ils sont beaucoup à être enfermés dans le petit SAS d’une petite boutique elle-même remplie de monde et peu ouverte sur l’extérieur. On en ferait presque une crise de claustrophobie.

Mais il ne faut pas se tromper, en dépit de ce que j'ai dis, le film n'est ni assourdissant ni désagréable, ce tintamarre se suspend ci et là, car les Frères Safdie savent aussi ralentir. Sinon, le film serait irregardable, et nos deux frères l'ont bien compris. C’est justement là qu’on voit qu’ils ont plus d’une corde à leur arc. Il y a plusieurs scènes plus posées dans le film, et en plus de faire office d’accalmie vis-à-vis de l’ensemble, elles apportent aussi beaucoup au développement des personnage et à leur approfondissement. C'est notamment dans ces moments-là qu'on peut développer notre empathie pour les personnages. En somme, cette fois, les Frères Sadfie ont fait quelque chose de moins unilatéral, de moins monotone, de plus diversifié ; en variant les tons et en jouant sur le rythme, nos deux frères ont fabriqué un film accompli dans tous ses aspects. Aussi, toujours concernant la capacité des frères à produire un cinéma plus riche, le parti pris très pertinent d’une approche mystique de le pierre contribue à densifier le film et rajoute une couche à son édifice.

Un autre élément qui fonctionne à merveille est la multiplication des problèmes, des enjeux et des sous-intrigues. Pour résumer, ou, devrais-je dire, pour tenter de résumer, il y a : KG, D et l’Opal ; Arno et ses hommes ; la femme d’Howard, son divorce et ses enfants ; Julia ; tout les gens à qui Howard doit de l’argent et encore d'autres petites sous-intrigues. Or, dans chacune de ces sous-intrigues, les problèmes s’accumulent… Finalement, tout rentre en collision avec tout, et les choses ne cessent d’aller de pire en pire. Je dois dire que c’est terriblement excitant d’assister à ce chaos, de voir Howard aggraver son cas en permanence ; on est toujours en train de se demander comment il s’en sortira, comment il parviendra à faire face à tout ce qui lui tombe dessus. On en arrive presque à perdre le fil de ce qui se déroule précisément ; on suit simplement le mouvement et on comprend qu’on observe un genre de noyade qui avance lentement mais sûrement vers son terme. Évidemment, il y a aussi quelque chose d’éminemment drôle à voir tout cet imbroglio ; l’humour, qui repose ici sur le comique de répétition et sur l’accumulation incessante de problèmes, fonctionne à plein régime et participe aussi à cette diversité tonale évoquée plus haut. Le film parvient vraiment à nous happer et à nous embarquer dans cet univers où il se passe toujours quelque chose, où chaque succès est suivi d’un échec, où les conversations se superposent, s’enjambent et s’enchevêtrent, où il y a toujours une interruption qui survient, un imprévu, où tout est toujours incertain, où il faut tout le temps s’occuper de cinq choses en même temps, où il faut toujours compter, prévoir, stipuler, miser, parier, négocier etc.

Bien sûr, le film fonctionne aussi parce qu’il est porté par des acteurs fantastiques. Inutile d’énumérer tout le monde ici, mais il faut rendre hommage à Adam Sandler, qui porte vraiment le film sur ses épaules. Howard est, sans aucune doute, une vraie tête brûlée irresponsables, instable, inconstante et inconsciente. Mais, pourtant, il a quelque chose de sympathique qui nous donne envie de continuer à le suivre, on ne peut pas s’empêcher de bien l’aimer. Il a un genre de foi en sa propre personne, une foi en son destin… Il a une passion dans tout ce qu’il fait, un enthousiasme, une ardeur… Il a une capacité à l’acharnement. Tout cela force l’empathie du spectateur malgré ses innombrables défauts.

-Valentysse-
7
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le 12 nov. 2022

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-Valentysse-

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