Poursuivant la tradition de la coproduction cinématographique européenne, Night Train To Lisbon, du réalisateur danois Bille August, adapte à l'écran le best-seller international de Pascal Mercier, se déroulant dans le décor pittoresque de la capitale du Portugal, en racontant notamment une période turbulente et dramatique de l'histoire de ce pays, une histoire racontée à travers un montage entrecoupé de nombreux flashbacks, entre passé et présent, mais également grâce à un formidable casting, composé majoritairement de vétérans du cinéma européen, apportant chacun leur pierre à l'édifice de ce film multiculturel et intergénérationnel.


Faisons de suite un petit détour du côté du synopsis:


Raimund Gregorius (Jeremy Irons) est un enseignant d'âge mûr d'une école secondaire de Berne, en Suisse. Un matin, sur le chemin du travail, il aperçoit une femme (Sarah Bühlmann) sur le point de sauter d'un pont. Il parvient à la retenir et l'emmène à son école. Mais cette jeune femme insaisissable finit par s’enfuir, laissant derrière elle son manteau rouge ainsi qu'un livre de réflexions philosophiques écrit par un médecin portugais nommé Amadeu de Prado (Jack Huston), ayant vécu à Lisbonne pendant la dictature de Salazar. Gregorius est immédiatement fasciné par la philosophie des écrits d’Amadeu, qui touchent son cœur et son esprit de manière si vivante et surprenante qu'il semble subir une inexplicable transformation. Et lorsqu'un billet de train pour Lisbonne tombe des pages du livre, Gregorius se décide soudain à accomplir la première chose spontanée qu'il ait faite depuis très longtemps en bondissant impulsivement à bord de ce fameux train, laissant derrière lui sa vieille vie et se lançant dans une quête qui remuera son âme...


Une fois à Lisbonne, son intention est de rencontrer le plus grand nombre possible de personnes ayant connu le médecin. Ainsi, à travers une série de rencontres éclectiques incluant Mariana (Martina Gedeck), une opticienne amicale et sensible à l'émotion, Adriana (Charlotte Rampling) la sœur de l'écrivain, João Eça (Tom Courtenay) son ancien compagnon d'armes, le père Bartolomeu (Christopher Lee), l'homme qui procéda à son enterrement, et Jorge O'Kelly (Bruno Ganz), l'un de ses anciens camarades de classe, Gregorius commence à reconstituer la vie d'Amadeu, une vie que nous voyons mise en images en parallèle de l'intrigue principale à travers une série de flashbacks. L'histoire d'Amadeu constitue une métaphore de celle de son propre pays, l'amour, la trahison ainsi que la politique révolutionnaire y occupent une place importante, ce qui la rend finalement beaucoup plus intéressante que la composante moderne du film.


Avec un tel pitch de départ, inutile de s'attendre à un immense shoot d'adrénaline, mais l'intérêt de ce film n'est pas là. Cette adaptation par Bille August du roman philosophique monumental de Pascal Mercier vaut surtout le coup d’œil pour ce qu'elle raconte, l'histoire alterne souvent entre le passé et le présent, et comporte des éléments de film d'espionnage, un triangle amoureux, des dialogues abondants et surtout un formidable casting composé entièrement d'acteurs européens de renom.


Le problème principal de la partie moderne du film se révèle être sa lourdeur tonale. Il est évident que toute l'intrigue historique et intellectuelle est un prétexte superficiel pour permettre à Gregorius d'éliminer les entraves de sa morne existence et d'embrasser son romantisme intérieur. L'intrigue se résumant finalement à suivre Jeremy Irons faisant des aller-retours entre des endroits déjà visités, pour parler à des gens qu'il a déjà rencontrés, ceci afin de développer toujours un peu plus l'histoire de ce fameux médecin si obsédant pour lui. Peut-être est-ce un reflet fidèle de la façon dont les choses se déroulent dans le roman, mais transposé au film, cela ne fonctionne pas toujours. Ces séquences consistant en un personnage parlant à des gens en citant parfois des passages de son livre peuvent finir par se révéler inutilement verbeuses. Associez à cela les accents parfois dissonants employés par les acteurs jouant le même personnage à différents moments de leur vie (Lena Olin et Mélanie Laurent, Bruno Ganz et August Diehl, etc...) et le caractère ouvertement philosophique et politique de leur discours, et on obtient au final un film où le dialogue peut sembler parfois maladroitement utilisé, ce qui est paradoxal au vu de son intrigue.


Cependant, ce métrage est également rempli de performances d'acteur de très bonne facture, à commencer par celle de Jack Huston, internationalement reconnu pour sa brillante interprétation de Richard Harrow dans Boardwalk Empire, il impressionne ici dans le rôle d'Amadeu, archétype du héros romantique, en parvenant à trouver le juste équilibre entre l'idéaliste torturé, le penseur profond, et le révolutionnaire passionné. Mélanie Laurent a une importance moindre, mais profite largement de son temps de présence à l'écran, quand aux rôles proches du caméo de Bruno Ganz, Charlotte Rampling et Christopher Lee, ils apportent ce petit supplément d'âme que seuls les acteurs de très grande classe sont capables d'ajouter, et qui fait une bonne partie de la différence au final.


Pour revenir au travail du réalisateur, Bille August est un maître de ce genre d'histoires. Ayant vécu sa jeunesse dans les années 60, il n'est pas étonnant que ses films bénéficient d'une certaine classe héritée de cette époque, sa démarche pourrait être vue comme un choix astucieux dans le but d'attirer le spectateur issu de la génération des baby-boomers, qui est un public chez qui la nostalgie fait toujours de l'effet. Ainsi, Night Train to Lisbon est typiquement le genre de production que l'on pourrait savourer accompagné d'une pipe et d'un verre de Cabernet Sauvignon, histoire de mieux apprécier son goût sec et corsé.


August, deux fois lauréat de la Palme d'Or à Cannes, est un réalisateur relativement tombé dans l'oubli ces dernières années, et il n'est pas particulièrement difficile de comprendre pourquoi: La sensibilité particulière à laquelle il s'accroche est simplement passée de mode de nos jours, en particulier dans son Danemark natal, où les enfants terribles de la génération actuelle de cinéastes, tels que Nicolas Winding Refn et Lars von Trier, ont obtenu un certain succès lors des deux dernières décennies, grâce notamment à une approche privilégiant la provocation.


Night Train to Lisbon n'a pas le moins du monde l'intention de provoquer; Il s'agit plutôt d'un film apaisé et rêveur, une démarche qui possède un certain charme. La vision du monde de Bille August est volontairement archaïque et séduisante, particulièrement dans ses environnement urbains: Chez August, la ville est un lieu d'érudits cultivés et d'hommes d'État anciens, où les voyageurs sophistiqués passent le temps en se délectant de l'élégance européenne.


Dans ce film, Raimund Gregorius s'inquiète fortement que sa vie soit trop ennuyeuse. Ce qui est tout le contraire du travail d'August, même si certaines de ses séquences peuvent paraître ternes, August reste confiant dans la force de son travail. L'ensemble de son œuvre, et même sa propre personnalité sont démodés. Mais il s'agit d'un choix presque délibéré de sa part pour forcer le spectateur à se concentrer sur son message. Ce qui accouche au final de l'histoire d'aventure profondément incontournable qu’est celle de Night Train to Lisbon. En somme, on pourra résumer ce film par une simple citation du livre d'Amadeu, qui est la suivante: "Nous ne vivons qu'une petite partie de la vie qui est en nous, sachons trouver notre voie".

Schwitz
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le 13 mai 2017

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