En 2015, après le Bataclan, même Renaud chantait qu'il avait embrassé un flic. C'est dire si on les aimait, nos forces de l'ordre... Sauf qu'à peine trois ans plus tard, nos flics, on dit que ce sont tous des bâtards, on les invective et on les pousse à se suicider. Et que de toute façon, c'est pas grave s'ils passent à l'acte, parce que tout le monde déteste la police.


Bizarrement, on n'entend pas du tout cela au cours de ce Pays qui se Tient Sage, que l'on vous aura sans doute présenté comme profond, salutaire, pondéré et neutre, voire d'utilité publique.


Ça, c'est la version promue et acceptable, celle des militants de gauche en chambre et des insoumis de salon. Car Un Pays qui se Tient Sage, ça tient plus du tract politique que d'autre chose, tellement c'est manichéen, partisan et que cela privilégie l'émotionnel sur le rationnel.


Mais que fallait-il attendre de David Dufresne, celui qui s'est fait connaître sur Twitter à gazouiller à tue-tête à coups de Allo_@Place_Beauvau, dont ce film n'est finalement qu'un prolongement ? Que fallait-il attendre d'un affidé de Mediapart, soit une idée toute particulière de l'objectivité journalistique à moustache ?


Alors oui, à longueur de film, on cite complaisamment Weber, Rousseau, Genet, dans un élan tout lyrique, Arendt, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, parce que sans doute, il faut dire qu'on pense et que quand on a noyauté le mouvement des gilets jaunes, c'est qu'on a manifesté pour de bonnes raisons, pour un idéal.


Et puis, cela évite de constater que du côté gauche de la France, on ne fait que recycler et citer pompeusement, avec un air satisfait, les icônes d'un passé glorieux, pour cacher qu'on a pas eu une idée neuve en politique depuis bientôt Dieu seul sait quand.


Pour éviter de penser, en somme.


Un Pays qui se Tient Sage serait un documentaire salutaire s'il avait aussi braqué sa caméra de l'autre côté de la barricade. Car si des violences policières, des débordements honteux ont été exercés, faut pas non plus se voiler la face, je serai bien curieux de connaître la réaction des tenants du ACAB si, week end après week end, ils avaient été injuriés, provoqués, poussés à bout et reçu des pavés dans la gueule...


Car en entendant certains témoignages, on penserait presque avoir eu à faire à des manifestations romantiques et qu'on aurait pu déjeuner sur l'herbe avant que ces vilains fachos n'interviennent. On vous les montrera en train de taper, bien sûr, d'insulter de la victime innocente, de l'agneau qui passait par là et qui ne faisait que revendiquer son droit de manifester sur la voie publique.


Mais on croit rêver en constatant qu'à l'image qui passe devant nos yeux, ce n'est que quelques pavés qui volent de manière fugace sur les forces de l'ordre. C'est à peine s'ils coursent les flics à moto en train de battre en retraite, tellement les gilets jaunes sont magnanimes. Et on vous sort la main sur le coeur, un comble, qu'aucune arme n'a été sortie par les manifestants ! En oubliant malheureusement de préciser que le bouclage des accès à la capitale donnait lieu à un véritable inventaire à la Prévert d'armes par destination saisies lors des contrôles...


De véritables agneaux qui ne veulent que défiler pacifiquement, donc... Qu'on nous montre jamais en train de frapper un flic désarmé à terre, ou qui réchappe d'une voiture qu'on a voulu cramer pour servir du poulet grillé.


C'est qu'il faut bien se restaurer.


On m'objectera sans doute que je suis un vilain facho, un réac' et que j'occulte cette séquence devenue célèbre, celle où Christophe Dettinger, le « boxeur gitan » fait reculer les flics à la seule force de ses poings. Sauf que cette scène s'impose presque comme un haut fait, que le sous-texte de l'entreprise en ferait quasiment un acte héroïque, de résistance, qui permettra sans doute, par procuration, de faire mouiller le manifestant qui n'a pas eu l'occasion de trouver un tel exutoire. C'est qu'on aurait presque trouvé ici le nouveau champion des petites gens.


Si les face-à-faces montrés à l'image entre manifestants et forces de l'ordre sont parfois terribles, ils sont aussi cependant symptomatiques : plus grand monde n'a peur de l'uniforme, devant qui tout, finalement, devient permis.


Et si la violence des forces de l'ordre n'a parfois pas été nécessaire, loin de là, le film se montre sous son vrai jour en se contentant de montrer du doigt, en déresponsabilisant les manifestants les plus ultra, en légitimant leur accès de rage aveugle dans un sourire et une citation de grand auteur pour gauche en inévitable pose humaniste et compréhensive.


Car il n'y a jamais eu, bien sûr, de violences, de pressions ou de menaces de mort pour ceux qui osaient sortir du rang et prétendaient capter la lumière des médias pour incarner le mouvement, cela se saurait.


Car le mouvement, au départ compréhensible, n'a jamais été confisqué par les ultras, qu'ils soient de gauche et de droite. En effet, il n'y a jamais eu d'agent du chaos en France, allons...


Car la violence déployée par ces activistes s'est finalement déchaînée sans retenue contre leurs semblables, ceux qui s'endettent à vie pour acheter un commerce et le faire vivre. Mais ce sont des supposés riches, ceux là, ils l'ont bien cherché...


Un Pays qui se Tient Sage jette un voile pudique sur ces autres aspects sombres, en se contentant d'asséner que la liberté de manifester, en France, implique que l'on laisse faire, tout simplement. Et implique une impunité totale, sous prétexte qu'on est en colère et qu'on a besoin d'évacuer. Implique, sans doute, dans certains esprits, d'avoir tous les droits, même celui de casser, d'intenter à la vie d'autrui, à le priver de son gagne pain ou de la possession qu'il a eu du mal à financer. Dans une haine de classe, de la fonction et de système qui fait peur. Mais qui n'effraie pas le moins du monde le réalisateur, qui se contente d'exalter le mépris de l'argent en rappelant que dans des manifestations pacifiques, on sortait sa disqueuse pour s'attaquer à un distributeur et on mettait à sac le Fouquet's, pour ensuite se filmer en live et se donner en spectacle sur les réseaux sociaux...


On peut bien sûr questionner la légitimité du pouvoir actuel ou la doctrine sécuritaire adoptée. On peut tressaillir lors de la désormais célèbre descente du Burger King, bien au delà de ce qui est admissible, ou de cette classe tenue à genoux sur fond de voix off sarcastique. Mais la violence dénoncée dans Un Pays qui se Tient Sage est en concurrence immédiate avec une autre, hors champ, que l'on s'acharne à minimiser, et, finalement, à absoudre.


Et si le documentaire devient intéressant quand il pose la question du réglage du curseur, en faisant le parallèle entre les conceptions françaises et russes du maintien de l'ordre, on se contente, encore une fois, de survoler un sujet pourtant diablement intéressant, pour replonger immédiatement dans l'émotionnel et faire un décompte, pour refermer la séance, des mains arrachées, des énucléations et des blessés.


Et dire que les instances officielles ont obstinément refusé de participer à ce documentaire... Pour se dédouaner de l'absence de neutralité d'une entreprise ou la contradiction n'est que portion congrue et parfois, moquerie.


Loin du débat qu'il se targue de provoquer, Un Pays qui se Tient Sage ne fait que dérouler une idéologie, un discours qui, finalement, ne conclut qu'à l'absence de légitimité du pouvoir en place. Soit une simple propagande anti- qui ne convaincra que les ralliés à la cause. Aucun questionnement sur le changement de position entre 2015 et aujourd'hui, aucune auscultation de l'escalade de la violence dans les deux camps ou du malaise sous l'uniforme pris entre le marteau du manifestant ultra violent et l'enclume de sa hiérarchie. Seulement la promotion d'un militantisme de posture qui ne définit que contre en montrant du doigt.


Si c'est cela, se tenir sage...


Behind_the_Mask, ♫ Douce France... Cher pays de... ♪

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