"If we could just talk about boys, everything could be so easier"

Lloyd Dobler n'est pas votre héros de teen movie classique. Bien sûr, c'est un mec lambda, ni trop nerd ni trop populaire, un peu bizarre, avec ses trucs à lui, comme par exemple cette passion peu commune pour le kickboxing. Contre l'avis de ses amies et confidentes, il prend son courage à deux mains pour inviter dès le premier quart d'heure du film la major de sa promotion, la belle Diane Court.


Diane Court n'est pas votre héroïne de teen movie ordinaire. Ses résultats ont beau lui valoir l'honneur de porter un discours de fin d'année devant toute sa promotion, elle ne peut s'y empêcher d'y évoquer la peur de l'avenir qui la taraude, alors que le cocon du lycée se délite peu à peu et que l'on ne peut faire autrement que de prendre d'assaut les boulevards de la vie d'adulte. Nous avons alors déjà ici tous les ingrédients pour former un récit tout à fait classique.

C'est sans compter la présence d'un troisième élément : Jim Court, le père de Diane.

Divorcé de la mère de cette dernière, il a construit avec sa fille une relation forte. Celle-ci se voit malmenée par la présence d'un évènement inattendu. Alors qu'il questionne Lloyd sur ses projets d'avenir (qui ne vont pas bien loin), voilà le fisc qui débarque à sa porte et l'accuse d'avoir détourné d'importantes sommes d'argent...


Culte dans son pays d'origine, "Say Anything' est une bien étrange page de l'histoire des teen movies. Si le genre souffre d'une mauvaise réputation (qui est, ne le nions pas, parfois justifiée), Cameron Crowe va tenter de surpasser le poids des conventions pour proposer une alternative, en cette fin de décennie où nombre de classiques étaient déjà sortis.

Quand le film commence, le lycée est déjà terminé. Les enjeux de pouvoir, les problèmes de réputation, d'image de soi, sont loin. Le récit se déroule dans une période intermédiaire, quand les projets d'avenir ne sont pas encore prêts et que l'existence semble flotter dans un espace de transition. Ce n'est pas un temps propice à la pose de rails sur lesquels nous pouvons faire glisser notre destin. Parfois nous avons juste envie d'improviser. C'est exactement ce que font Lloyd et Diane, avec tous les désagréments que l'improvisation suppose : maladresse des mélodies, sentiments paradoxaux, hésitations qui font tantôt avancer, tantôt reculer... Ce qui impressionne dans "Say Anything", ce sont tous ces instants de micro-poésie, quand la note sonne juste sans que l'on sache comment celle-ci a pu naître. Cela tient parfois à une réplique bien lancée, comme celle que j'ai choisi en guise de titre pour ma critique. Elle est itérée lors d'une très courte séquence, où Diane dîne avec sa mère. En quelques mots sont évoqués avec justesse les difficultés de compréhension entre une fille fidèle à son père et une mère qui a refait sa vie en oubliant d'y associer sa progéniture. Pas besoin de développer plus, pas besoin d'écrire une dissertation. Une improvisation ne se développe pas. Elle agit et parle pour elle-même.


Refusant d'être un film à thèse ou un hommage nostalgique envers une période révolue, Crowe livre une étude sur des personnages fascinants, forcés de quitter la tranquillité de leur existence mais ne reculant pas devant les défis qui leurs sont imposés. Le choix brillant de rendre le père de Diane omniprésent démontre bien qu'une telle problématique n'est pas une simple question d'âge. Le fameux "passage à l'âge adulte" n'est qu'une histoire que l'on se raconte pour se protéger de l'incertitude de la vie. De plus "Say Anything" contient cet élément clé de tout bon teen movie. Celui qui est autant recherché, adulé par les amateurs que conspué par les détracteurs. Je parle de cette intensité dans la manière de ressentir les évènements, de cette exagération des sentiments, cette croyance dans l'idée que nous sommes loin d'avoir à faire à de banales amourettes anodines, que les problématiques vécues méritent qu'on leur accorde une attention suffisante pour qu'elles prennent la forme d'un film. Appelez ça "niais". Moi je préfère dire "vrai". C'était d'ailleurs, dans les mots mêmes de Crowe, son intention (1). A mon sens, le pari est tenu. Voilà un film qui restitue avec sincérité toute l'intensité (et le ridicule) du premier amour.


C'est également un film qui ne s'en tient pas là. Sa séquence finale parle pour elle-même : terrifiée par son premier vol en avion, Diane est collée à son siège tandis que Lloyd tente de détendre l'atmosphère. Les voilà à attendre en silence et avec appréhension le signal sonore marquant la fin du décollage, moment le plus propice au danger. Les secondes semblent interminables. Puis le bruit se fait enfin entendre. Fondu au noir, générique de fin.

Les 5 premières minutes de l'existence, les plus dures, sont passées. Mais ce n'est que le début d'un très long vol.


(1) https://www.youtube.com/watch?v=Dp7d3moq-qU

Mellow-Yellow
7
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le 29 nov. 2023

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