Catherine Corsini m'avait déjà chamboulé en 2016 avec son film La Belle Saison, récit d'un amour fou qui confrontait deux classes sociales, deux univers opposés d'une même France et témoignait habilement d'une époque de libération sexuelle et de prise de conscience féministe et politique.


Catherine Corsini me bouleverse à nouveau avec ce film, dont je n'attendais à vrai dire pas grand chose.


Je connais peu de choses, pour ne pas dire rien, de Christine Angot, en tout cas je ne connais rien, c'est sûr, de ses écrits, et ce film me donne peut-être l'envie de m'atteler à son travail littéraire. Je connais plus le personnage médiatique, l'ex-chroniqueuse d'On n'est pas couché, la personnalité contrastée, la femme virulente, dont les prises de positions décalées, politiques, violentes, parfois extrêmes (et l'extrémisme n'a en soi rien de mauvais, qu'on se le dise, tout dépend du sujet auquel on l'applique, c'est un autre débat), ont retourné contre elle l'écrivain (puisqu'elle refuse, si ma mémoire est bonne, qu'on féminise le mot, pour ne pas attarder l'attention sur le sexe de l'auteur, mais bien sur ses œuvres).
Cela semble aujourd'hui donc malheureusement communément admis et facile de détester Christine Angot.
Ce n'est pas mon cas.
Déjà, comme je l'ai précisé, par ignorance ; je ne peux détester quelqu'un pour une œuvre que je ne connais pas.
Aussi, parce que dans ses positions, décalées et extrêmes, j'ai toujours trouvé l'intérêt de donner un autre point de vue sur un sujet, un point de vue original, personnel, une lecture engagée, enragée, sociale et politique qu'il est bon de connaître (et, si l'on veut, à laquelle on peut adhérer), et qui dévoilait en creux une femme meurtrie.
Donc un personnage intéressant.


Je commence ma critique par mon rapport personnel avec ces deux artistes. C'est plus ou moins maladroit.
Concernant Corsini moins, car c'est, entre autres choses, mon amour pour son précédent film qui m'a donné l'envie de voir ce film-ci.
Concernant Angot plus, car si je savais ce film adapté de son livre homonyme, je ne savais rien ue dit-livre, dont j'ai découvert, au fil du visionnage, qu'il était biographique et autobiographique.


Un Amour Impossible est tout d'abord le récit d'une vie. Par sa longueur, un peu plus de deux heures, Corsini construit un récit ample et aéré, qui nous fait aller de la fin de années 50 à, on va dire, nos jours. Sa construction en ellipses silencieuses est d'une rare subtilité quand on sait l'art à double tranchant de l'ellipse. Corsini avance, calmement mais rapidement, d'années en années, s'autorisant de très belles pauses, comme suspendues dans le temps, et accélérant parfois, sautant sans crainte, et avec une vraie audace, de grands blocs d'années. C'est peut-être le cas du livre original (il semblerait que le film en soit une adaptation très proche du texte, notamment par sa voix off, qu'on découvre donc plus tard être celle de son auteur). Qu'importe. Dans le film, cette gestion du temps et ce rythme sont parfaitement maitrisés.
Avec détermination, on traverse un demi-siècle avec un rythme constant qui retient, parce qu'on dirait presque que le film ne cesse de ne pas démarrer, toujours l'attention.


Sur cette toile de fond, qu'on pourrait trouver historique, Corsini dessine une histoire d'amour, belle, forte, habitée, puissante dans ses débuts, magnifiquement filmée et mise en lumière, entre cette Rachel, qu'on saura être la mère d'Angot, et ce mystérieux Pierre, qu'on saura être le père d'Angot. Une histoire d'amour moderne, à distance, avec ses moments de passion, ses moments de désespoir, ses moments de haine. L'alchimie entre Virginie Efira (parfaite dans ce rôle, on ne peut dire que cela) et Niels Schneider (habile dans son jeu, maintenant un doute permanent quant à ses intentions) est évidente. Elle est sexuelle, elle est littéraire. Les deux acteurs sont beaux, on les retrouvera d'ailleurs l'année suivante dans le film Sibyl, où leur alchimie sexuelle explosera. Ils apportent à leurs rôles leur modernité qui se prête justement à cette histoire d'amour moderne (et presque révolutionnaire pour l'époque) ; de l'amour et du sexe sans promesse de mariage, comme le stipule un contrat tacitement signé par eux, une femme célibataire qui élève seule sa fille, des relations extra-conjugales, ...


Mais subtilement, quelque chose déraille, une chose qu'on sent présente et menaçante dès le départ, comme si l'histoire, magnifique par moments, entre ces deux personnages, portait d'emblée en elle ce qui allait causer sa perte. Le mode de pensée moderne d'un homme charmeur et charismatique, devient une succession de promesses toxiques, cet homme beau et impressionnant se transformant progressivement en monstre.
C'est dans cette violence toujours étouffée qui monte progressivement sans jamais vraiment se dévoiler, que Corsini trouve son ton le plus fort et transforme son film en ce qu'il donnait l'impression de ne jamais être.


J'avais personnellement été bouleversé par la radicalité du film Jusqu'à la garde qui un peu plus tôt en 2018, avait fait naître la terreur dans un couple et transformé un film sur un drame juridique en film d'horreur confinée, en portrait de la maladive possession d'un homme toxique. Un amour impossible, tout en étant formellement son opposé (rythme lent, refus du spectaculaire qui fait progressivement poindre le danger), fait naître ce même sentiment de terreur.


Sans jamais pousser à la haine, à la volonté de réaction, à la violence par défense face à un colosse (Denis Ménochet dans Jusqu'à la garde), Niels Schneider insinue par doses mesquines son comportement manipulateur, avant l'atroce révélation, finement laissée devinée lors d'une scène aveugle et passée sous silence, que je me garderai bien de révéler ici.
Virginie Efira trouve peut-être son meilleur rôle dans l'incarnation de cette femme. Vieillie sur sa fin, elle est bouleversante en grand-mère fatiguée qui prend, et prend sur elle, peut-être par force, peut-être pas incompréhension, peut-être par sacrifice. Car cette femme, toujours digne, est aussi une mère (bien que, lors d'une belle scène, elle dise à sa fille alors adolescente "Oui je dors encore avec ton père. Tu sais j'ai aussi une vie de femme !"), une mère qui vécut pour l'être, pleinement, sans s'oublier elle-même, une femme forte et indépendante, moderne (célibataire assumée, carriériste, portant des pantalons là où la jupe est de mise), mais toujours accrochée à l'homme qu'elle aima passionnément, et qu'elle aime, peut-être toujours, malgré tout.


Du moins jusqu'à une rupture nette, qui lui vaudra une question brutale posée par sa fille, et qu'on se pose finalement un peu tous, tout en comprenant : "Mais maman, comment as-tu pu l'aimer ?"


Car s'il est (au départ) une belle histoire d'amour, puis, un film sur la famille (comment en faire une lorsqu'on est une mère célibataire dans les années 70 ?), sur les relations mère-fille, criantes de vérité, Un Amour Impossible, qu'on aurait pu mettre au pluriel (mais avec un A et un I majuscules dans son titre inaugural) est un magnifique film sur le passage de flambeau, sur l'évolution générationnel des pensées et coutumes, sur leur difficile acceptation.
Mille-feuilles d'époques, il est une traversée subtile du temps, un film sur son passage, dont Corsini, dont ce n'est évidemment pas le cœur du sujet, ne cache rien, pour mieux le révéler avec subtilité ; évolution des technologies (d'une mère dactylo à une fille écrivain devant son ordinateur, de photos froissées dans un vieil album à celles pixelisées sur un écran de téléphone), différente lecture de la condition des femmes, bousculade des codes (vestimentaires, professionnels), mutation des paysages (de la grisaille des pavillons de Châteauroux à la blancheur des barres HLM de Reims), ...
Le propos social se fait entendre dans ces petits détails qui font d'un film une œuvre complète.


Car le propos féministe du film est clair ; modernité d'une femme qui assume ses choix dans une époque qui voit cela d'un mauvais œil, liberté sexuelle, portraits subtils de femmes, violence d'un homme toxique, ...
Le propos familial est lui aussi assez explicite : relations houleuses entre une mère et sa fille, définition troublée et remise à zéro de ce qu'est une famille (réflexion aux échos contemporains habiles), construction personnelle délicate lorsqu'un père est absent, ...


Le propos social et politique l'est moins.
Et c'est une scène finale, lourde, que certains pourraient trouver mal amenée, que je trouve nécessaire et vitale, qui mettra les poings sur les i.
Par la longue et froide description a posteriori de la violence qui a été subie, Chantal, la fille, devenue une évidente Christine (Angot), décortique et explicite le propos, en portant, plus haut que la violence personnelle, celle de la lutte des classes comme raison de toute cette souffrance. Interdiction du mélange de sang entre deux classes inégales (l'une modeste, l'autre intellectuelle et bourgeoise) dépassée, par esprit de vengeance, par la transgression d'un autre interdit,


l'inceste,


volonté permanente de contrôle et d'humiliation à distance, qui transforment la souffrance en un terrible syndrome de Stockholm, destruction fomentée des fondations d'une saine humanité par la destruction de sa propre progéniture.
La froideur glaçante, du propos, engagé et extrême, et incarné avec poigne par la surprenante Jehnny Beth qui donne de sa force de musicienne et chanteuse pour incarner cet femme blessée, est terrassante.


Elle conclut à merveille ce film en anesthésiant l'émotion profonde qui nous bouleversait pour théoriser un mal qui depuis plusieurs dizaines d'années ronge deux êtres.


Un accouchement ne tombe jamais au bon moment. De même cette scène, qui pourra décontenancer par sa soudaineté, se vit comme un accouchement dans la violence, une explosion calme et inéluctable de la souffrance, un aveu clair de sa propre destruction qui se matérialisait jusqu'alors dans un incompréhensible rejet de la mère aimée, rejet de l'aide, rejet de l'Amour.


Un Amour impossible, donc, devenu finalement possible par les mots.

Créée

le 13 nov. 2020

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Charles Dubois

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