Voici le film avec lequel je termine ma rétro-rétrospective de Villeneuve. C'est amusant de le voir ainsi rerentrer dans sa chrysalide après déjà plusieurs années à Hollywood, et de chercher à reconnaître sa patte.


Il y aura donc toujours eu quelque chose de pénétrant dans son cinéma, comme si son univers se tenait juste derrière le nôtre, que seule une feuille d'eau nous en séparait et que le visionnage consistait à la traverser, à la… pénétrer.


N'ayant pas encore mis le doigt sur sa propre technique, le réalisateur cherche à expulser les personnages de l'histoire de manière parfois très littérale et immédiate : l'accident de voiture de l'introduction va permettre à une femme de tourner la page, en l'empêchant paradoxalement de tourner celle du calendrier : elle va continuer de vivre dans le mois d'août, déconnectée de la réalité, entraînant dans un modeste voyage son meilleur ami, qui lui aussi va se trouver déraciné de son quotidien par l'intervention du cinéma dans leur vie.


Oui, le cinéma les dérange, et Villeneuve fait là une réinterprétation très personnelle de la « tranche de vie » : ainsi coupée et mise en forme pour le bon plaisir du spectateur, leur vie saigne et souffre. Un film est un morceau d'existence estropié, et c'est dans l'art de sa ligature que repose sa réussite. À la question très légitime du « pourquoi un 32 août ? », ou « pourquoi au juste la femme est-elle éjectée de la réalité par son accident ? », la réponse est « parce que vous êtes en train de regarder le film », car chez Villeneuve, l'observateur fausse l'expérience.


L'œuvre ne trouble donc pas mon statut de fan de Villeneuve, mais j'y vois aussi un débordement de compétence dans un cadre qui aurait mérité d'être plus grand – pas forcément grâce aux moyens d'Hollywood, du reste ; c'est au contraire en poussant davantage son côté indie (les mentions personnalisées au générique sont adorables) que l'œuvre se serait épanouie.


Il n'y a pas de mal à ce qu'il ne se passe rien dans un scénario, mais c'est différent quand on va de rien en rien, comme si les personnages repoussaient la majeure partie de ce qui pouvait leur arriver – ce qui est voulu ici, sauf qu'à force d'explorer l'antiromantisme, le film est devenu antiromantique lui-même. Le voyage est trop simple, et finalement les personnages ne sont pas les seuls à être détachés : leur univers aussi l'est. On reste donc sur un premier film, quoique notoire.


Quantième Art

EowynCwper
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le 19 juin 2020

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Eowyn Cwper

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