Pendant que le générique de fin se met à défiler, on reste complètement figé dans notre fauteuil, comme sonné d'admiration devant le tunnel d'émotions par lequel nous a fait traverser les dernières minutes de "Tully". Encore bouche bée, on tente alors vainement de rationnaliser et de dresser une brève rétrospective de tout ce qui nous a amené à nous retrouver dans un tel état.


En amont, il y avait bien évidemment le plaisir incontestable de découvrir enfin un nouveau film signé par le duo Jason Reitman/Diablo Cody (respectivement à la réalisation et à l'écriture) après plusieurs années d'absence, avec qui plus est une Charlize Theron a priori en aussi grande forme que dans leur précédente collaboration "Young Adult". Si l'on est un tant soit peu fan de tout ce beau monde (comme l'auteur de ces lignes, vous l'avez sans doute déjà compris), "Tully" partait donc sous les meilleurs auspices et confirme rapidement ce sentiment dès ses premières scènes.


Comme une sorte de doppelganger lointain à "Young Adult", le film nous plonge dans le quotidien de Marlo, une mère de famille pour qui le qualificatif "surmenée" serait probablement un doux euphémisme. Entre une grossesse arrivant à son terme, un enfant à limite de l'autisme que son école ne peut plus gérer, une autre vivant dans l'ombre de la condition de son frère et un mari (Ron Livingston) qui fait le strict devoir paternel avant de se réfugier dans les jeux vidéos ou son travail, Marlo n'a simplement plus le temps d'exister, à la fois complètement engloutie et uniquement définie par sa seule condition de mère.
Lors d'un dîner chez son frère (Mark Duplass, le genre d'acteur dont la seule présence suffit à affirmer qu'un film va être bon) à qui tout semble sourire autant dans sa vie familiale que professionnelle, ce dernier lui propose les services d'une nounou de nuit pour la soulager et lui permettre de se reposer à l'arrivée du bébé. Peu encline à laisser une étrangère s'occuper seule de son enfant, Marlo refuse... dans un premier temps car, à la naissance de la petite Mia, sa vie de mère au foyer devient tout simplement irrespirable entre le bébé et les autres membres de la maisonnée. Au bord du point de rupture, elle se décide à contacter la fameuse nounou de nuit.


Entre-temps, les dialogues d'une Diablo Cody au ton toujours aussi acerbe pour faire mouche à la moindre réplique soulignant l'absurdité du quotidien nous auront déjà régalé, Jason Reitman nous aura offert la retranscription d'un véritable enfer sans fin de la maternité non sans humour et Charlize Theron se sera fondue à la perfection dans ce rôle de femme usée jusqu'à son physique par la répétition de son quotidien assommant. Bref, comme on l'avait prévu, nos retrouvailles avec tout ce petit monde ne pouvait se passer de meilleure manière.


Et puis, arrive Tully (formidable MacKenzie Davis), cette espèce de rayon de soleil incarnée par une jeune femme qui va bouleverser la vie de Marlo. Un rayonnement d'une telle puissance qu'il déteint également sur nous, on sourit bêtement à voir enfin Marlo soudainement revivre, goûter à nouveau à un bonheur familial dont la flamme s'était tarie et simplement savoir se redéfinir comme une femme en parallèle de son statut de mère. Cette jeune Mary Poppins version 2018 accomplit des merveilles pour Marlo et leur relation de plus en plus fusionnelle lui permet de refaire surface sous notre regard bienveillant.


Pourtant dans ce qui est en train de devenir un vrai feel-good movie auquel on ne peut qu'adhérer, une scène va se démarquer et créer le malaise, personne n'y reviendra (ou tentera de vraiment y revenir) par la suite mais il est clair qu'un grain de sable est bel et bien là, sous notre nez, et va venir gripper la machine d'espoir enclenchée par l'arrivée de Tully à un moment ou à un autre.


Cela nous sera révélé dans la formidable dernière partie dont il est hélas impossible de parler sous peine d'en dévoiler toute la maestria et la force du choc qu'elle réserve tout en amplifiant de manière inquantifiable l'intégralité du propos du film. C'est bien simple, on en ressort groggy, remettant tout en perspective en se disant à quel point on aura rarement vu une construction si subtilement pensée. Au final, on en vient assez vite à la conclusion que "Tully" est peut-être un des plus beaux portraits de femme à une phase transitoire de son existence que l'on ait vu.
Dans le genre "à découvrir absolument", "Tully" se place dans les sommets de 2018.

RedArrow
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le 27 juin 2018

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