Gourmet et Lanners en témoins de la fin d'un monde grandiose et explosive dans un Bruxelles qui rapp

Critique entière sur : http://branchesculture.com/2017/12/06/tueurs-film-gangsters-thriller-explosif-impressionnant-francois-troukens-olivier-gourmet-bouli-lanners-lubna-azabal-tueurs-du-brabant/


Et si la Saint-Nicolas 2017 changeait vraiment la donne ? Cette semaine, Tueurs, le premier film de l'ancien braqueur réconcilié François Troukens et de Jean-François Hensgens sort autant dans les salles du belge royaume et de la république française. De manière tonitruante et mordante, sans concession et porteur d'un cinéma d'action et de polar, ne sacrifiant pas le sens et possédant son ADN mais sans rien avoir à envier à l'Amérique.


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Il paraît que le paradis existe dans un parking souterrain de la capitale. C'est en tout cas ce qui est écrit en toutes lettres sur l'une de ces pubs... mensongères. Car à l'heure de pointe et des courses, ce parking  va se transformer en enfer, sans que personne n'ait rien vu venir. Pas même cette juge (Natacha Régnier) enquêtant sur les tireurs fous, enquête justement relancée par la découverte d'une nouvelle piste (tiens, tiens, comme aux dernières nouvelles)... Une femme de loi qui pensait avoir rendez-vous avec un indicateur et se retrouve yeux dans les yeux avec la mort. Celle qui ne loupe pas son coup, de sang-froid, sans trembler. Celle qui surgit dans le chaos provoqué par la fuite de véritables petits chars d'assaut fonçant à toute allure après avoir commis le braquage le plus parfait qui soit.


Il le fallait car c'était le tout dernier de Frank Valken (un Olivier Gourmet tellement tellement tellement vrai et acquis à sa cause, une nouvelle fois) et son équipe (Kévin Janssens qui a bien fait de traverser la frontière linguistique, Bérénice Baoo vénéneuse et glaçante et Tibo Vandenborre en formidable Dolph Lundgren belge et allumé) méthodique et professionnelle. Pas habituée aux erreurs... sauf cette fois.


Et ça, ça ne pardonne pas, surtout quand on a aux trousses le "faussement ours" et réellement inquiétant commissaire Dany Bouvy (un Bouli Lanners machiavélique) secondé par Lucie Tesla (Lubna Azabal, formidable de courage et de ténacité) qui n'entend pas se laisser séduire par autre chose que la vérité même si les tentations (et les menaces) vont la soumettre à rude épreuve et qu'elle va désavouer son boss pour se ranger du côté du procureur (Johan Leysen). La lumière sur l'actualité sanglante mais aussi sur les actes de barbarie commis il y a trente ans dans notre plat pays meurtri en dépend.


Avec le temps, tels les leaders incontestables des derniers Tours de France, Olivier Marchal (dont le dernier film, Carbone, est sorti en France mais même pas en Belgique) devait sans doute se sentir bien seul à régner sur un empire franco-cinéphile du polar réduit à peau de chagrin. C'est vrai qu'au fil des époques cinématographiques, peu de réalisateurs ont réellement su tirer leur épingle du jeu en proposant des polars durs et testostéronés, acquis à leur cause comme le cinéma français en faisait en des temps finalement pas si éloignés. Certes, les années 2000 ont connu l'arrivé d'un Fred Cavayé, d'Éric Valette (son excellent La Proie malheureusement pas nuancé par le laborieux Serpent aux milles coupures), de Nicolas Boukhrief. De rares exemples, un ou deux films par an, un savoir-faire de genre perpétué par des initiés mais trop souvent noyé dans la masse des blockbusters étrangers et des comédies bébêtes, des films sans danger mais malheureusement mainstream à la française.


Alors, oui, pour tout cela Tueurs est une promesse. La promesse - et la dernière carte ? - d'un cinéma belge qui va vers son public sans l'enfermer dans des poncifs mais sans, non plus, le prendre pour un idiot. Car oui, avec sa force de conviction décapante (pour un monde de dinosaures décadents ?), on a un peu l'impression que c'est maintenant ou jamais, que le long-métrage coup-de-poing de Troukens et Hensgens est la dernière chance de fédérer le public belge (et surtout wallon, quand on sait la cohésion des Flamands à l'oeuvre autour des films de leur cru) derrière un grand film de divertissement, intelligent mais aussi de terroir. C'est quitte ou double.


Car s'il a des vues sur Heat ne fût-ce que par son duel fratricide entre un "bon" et un "méchant" (quelle idée de génie de mettre Gourmet et Lanners face à face alors qu'ils pourraient tout aussi bien former une fratrie) ou plutôt un homme du bon côté de la loi et l'autre du mauvais côté. Un yin et un yang qui ne peuvent exister l'un sans l'autre.


Mais dans le petit monde sans peur mais pas sans reproche, il y a de la place pour exister dans ce duel qui fait des étincelles. Et l'héroïne ultime de ce film fracassant, c'est peut-être Lubna Azabal avec son regard d'acier trempé, sa révolte bouillonnante envers un système qui la piège.


Car Tueurs c'est un film de crime mais aussi de patrimoine qui tente, par le biais de la fiction et d'un "Trente ans plus tard, ils sont de retour" (et, non, ce ne sont pas les Bronzés, c'est du sérieux), d'appuyer une théorie troublante : et si les Tueurs fous, ceux du Brabant, avaient été dirigés par quelques hommes de pouvoirs dans une stratégie de la tension utile à ne pas changer d'une virgule l'ordre établi. Et si de nouveaux éléments bien réels (la lumière faite sur celui qui se faisait appeler le Géant) vont dans le sens de cette thèse que d'aucuns pensaient improbable, Tueurs met tous les arguments de son côté pour la rendre un peu plus crédible.


S'il s'accompagne d'une bande-son inspirée et créée par des rappeurs belges dans l'air du temps (Damso, Caballero et JeanJass, Roméo Elvis), c'est sur des échos très eighties et cold wave de Clément "Animalsons" Dumoulin que la bande se déroule à tombeau ouvert. Tueurs frappe les esprits d'emblée, s'échappant des coupures de journaux (où se croisent commandos, CIA et enquêtes qui n'ont pas - voulu ? - abouti(r)) pour provoquer l'enfer. Avec une cascade de camion blindé à couper le souffle.


On est scotché... et on le reste... car cette descente aux enfers de truands entraînant avec eux du beau monde (un ex-ministre pas tout blanc qui prend l'air attaché sur une voiture fugitive, par exemple) est jusqu'au-boutiste, sur la terre comme au ciel. Car hélicoptères et gros moyens sont déployés pour sublimer ce Bruxelles de gangsters. Comme jamais. Comme pour nous rappeler qu'il n'y a pas de bandit sans ville, à l'instar de Ben Affleck dans sa "Town" ou du Los Angeles de Michael Mann. Et le Bruxelles de Troukens avec toutes ses aspérités et ses aspirations titubantes(celui qu'on a rédécouvert, dans d'autres quartiers, dans le Black de Adil el Arbi et Bilall Fallah) ne fait pas pâle figure. Les deux réalisateurs ont le souci du détail, on sent le vécu de Troukens quand on entre dans la prison, cette ruche bouillonnante dans laquelle les grillages n'empêchent pas l'impossible.


Tueurs, c'est un cadeau. Et ce, même si l'un ou l'autre dialogue est maladroit et qu'un retournement de situation ("mon doigt a glissé") semble grotesque... mais beaucoup moins qu'une autre scène vue dans Dode Hoek - Angle mort de Nabil Ben Yadir qui, lui aussi, tentait efficacement de rallumer la flamme). Pour le reste, rien ne peut nuancer l'impeccable tenue de ce Tueurs qui, dans tous les sens du terme, refuse et réfute le prestige de l'uniforme pour se montrer généreux et cinglant. Il y a quelques semaines, dans une longue interview, Olivier Mégaton (qui s'y connait en thrillers d'action) nous faisait part de son désarroi face à la quasi-disparition du film noir en France. "On a jeté le bébé avec l'eau du bain", disait-il, "aujourd'hui, les films qu'on devrait faire sont réalisés par les Coréens..." ... et des Belges, aussi, on peut le clamer fièrement !

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le 6 déc. 2017

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