Vous aimez les petits fours au sperme ? Vous aimez Whitney Houston et les coussins péteurs ? Les relations père-fille un peu bancales aussi, un peu de travers, et l’humour à froid, distillé ? Alors ce film est fait pour vous, a priori. Acclamé par la presse et le public au dernier festival de Cannes qui, à tout prix, voulut en faire sa palme d’or, mais superbement ignoré par un jury qui n’en eut cure, le film de Maren Ade s’intéresse aux rapports compliqués d’une jeune femme carriériste, rigide sur les bords, avec un père gentiment facétieux qui, aimant s’affubler d’un ignoble dentier et d’une épouvantable perruque, aime davantage à se faire passer pour n’importe qui, d’ambassadeur allemand à improbable coach de vie.


Riche d’un comique doux-amer mais pas que, Toni Erdmann se moque également de nos quotidiens détraqués et d’un monde du travail impitoyable où l’ultralibéralisme va de soi (on restructure et on externalise entre rails de coke, champagne et soirées en boîte ; la mondialisation des pays émergents oui, mais en s’amusant). Ines y navigue d’ailleurs avec une aisance fragile, et déstabilisée soudain par ce père qui s’est mis en tête de la rendre plus heureuse. Ses armes : postiches, lunettes, menottes et babugeri (plus quelques bourdes involontaires). C’est par cette dynamique du déguisement, et surtout du changement (changer d’allure, de personnalité, de pays…), que Winfried/Toni cherche à redonner du sens dans l’existence de sa fille, coincée dans une logique de renoncement et de rentabilité.


Le film, un tantinet trop long (la visite sur le site pétrolier, celle dans la famille roumaine…), insiste parfois sur ce qu’il exprime ou surligne ce que l’on a compris sur la modestie (assurément) et la gentillesse (forcément) des "petites gens" bouffés par un méchant (évidemment) modèle économique, mais stimulé sans cesse par l’interprétation royale (et l’interaction entre eux) de Peter Simonischek et Sandra Hüller, vraiment épatante. Ça devise sur les choses simples de tous les jours, ces choses simples que l’on devrait pouvoir se réapproprier, un peu (se faire offrir une râpe à fromage, et s'en réjouir), beaucoup (chanter The greatest love of all), à la folie (se foutre à poil lors d’une petite sauterie entre collègues, grand moment de drôlerie millimétrée déjà culte). C’est ce que veut dire le film, très naturellement, à travers ce père qui ne fait rien comme les autres : vivre, aimer, lâcher prise. Et se mettre à nu, littéralement.


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mymp
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le 19 août 2016

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