Raconter Titane en choisissant les bons mots sans spoiler le film. Tel est le défi que l’on se lance en écrivant une critique sur cette œuvre. Julia Ducournau le dit elle-même : « J’essaye de ne rien dire sur mes films ». Preuve en est avec le synopsis qui ne tient qu’en deux phrases : la première pour poser un tant peu l’histoire : « Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis dix ans. » L’autre pour la culture : « Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs. »


Sur Grave d’ailleurs, elle avait fait pareil. On ne sait rien du film, mais on veut le voir. Soit parce que l’on sait que l’on va aimer le genre, que l’on va aimer la réalisatrice. Ou par simple curiosité, car on ne sait rien. La communication par la non-communication.


Un gore utile et appréciable


Ayant adoré Grave, je ne pouvais passer à côté de celui-ci. J’y vais mi-apeuré, mi-excité, ayant la sensation qu’il est encore plus dur que le premier. Une sensation confirmée dès la première scène, puis par les suivantes. Julia Ducournau arrive à nous plonger dès la première seconde dans un film qui s’annonce froid, glaçant, cru, gore. On sait à quoi s’attendre. Bienvenue dans un monde psychédélique de car-washing sexy institutionnalisés et de mécanophiles poussées à l’extrême. En somme, un joyeux bordel dans lequel les règles sont reines.


L’humour noir, sa marque de fabrique ? « Moi, il y a toujours un petit peu de ça, avoue-t-elle. Je ne peux pas m’en empêcher. » Mais faire du gore, c’est facile. Ici, à l’instar de Grave, le gore reste utile. Elle n’en fait jamais trop, en dissimulant certaines scènes et en laissant le spectateur se créer ses propres images.


Elle ne montre pas, par exemple, l’accident de la jeune Alexia. Des bruits de crash, une ceinture détachée et un peu de sang sur la fenêtre suffisent à ce que l’on comprenne ce qu’elle veut transmettre. Au contraire, la violence est finement utilisée, comme avec ce pic dans l’oreille ou ce tabouret dans la bouche.


Mais plus encore avec ces scènes où elle pousse la gêne et l’inconfort à son paroxysme.


Je pense à cette scène d’auto-avortement, à cette scène d’auto-fracassage de nez, à ces scènes d’applissages (je ne sais pas si ça se dit) de ventre de femme enceinte.


Le gore devient beau. Audacieux mais astucieux. Fascinant mais dégoutant. Indispensable mais dispensable.


Casting parfait


Le choix des acteurs est ingénieux. Je ne m’épancherai pas sur Vincent Lindon qui est magistral. Il arrive à rentrer parfaitement dans ce personnage de père triste, qui parait intouchable, indestructible mais qui est brisé intérieurement.


Attardons-nous un peu sur l’autre actrice. « J’étais déterminée à travailler avec des non-professionnels parce que je ne voulais pas que l’on puisse projeter quoi que ce soit dans le personnage d’Alexia et dans sa transformation. »


Alexia justement, jouée par Agathe Rouselle. Si on a pu la voir dans quelques courts-métrages, c’est le premier film de la mannequin et photographe. Le choix d’une personne androgyne était une évidence. Celui d’Agathe Rouselle une réussite.


Petit à petit, son visage sexy, attrayant, joli malgré sa cicatrice, s’assombrit, se ferme jusqu’à devenir complètement bloquée. Elle devient une autre. Ou une autre. On ne sait pas très bien. Sans dialogue pendant une longue partie du film, tout doit passer par les expressions, les gestes, les mouvements. Un exercice dont elle s’en est super bien sortie.


Un film engagé ?


Si la réalisatrice ne voulait que « rien » ne soit projeté dans la transformation d’Alexia, je n’ai pu m’empêcher de penser au bel hymne composé envers les personnes trans. Des personnes qui, pour beaucoup, sont obligées de se cacher, de se modifier pour pouvoir vivre comme ils/elles le souhaitent.
Le propos du film se rapproche beaucoup d’une défense ou d’une inclusion de ces personnes-là, ces dernières souffrant déjà beaucoup toutes seules, et qui n’ont pas besoin de souffrir en plus à cause des autres.


Alexia redevient Alexia avec sa danse sexy sur le camion, devant tous ses collègues incrédules à qui on a toujours dit qu’il s’appelait Adrien. Mais l’approbation de son néo-paternel quelques scènes avant lui permet de se libérer de ce poids qui la rongeait. Une libération qui ne dure que quelques minutes. La réaction de ce même père devant cette même danse la replonge directement d’où elle vient. Elle, la serial-killer, dont on ne sait pas s’il faut ressentir de la haine ou de la compassion. Cette scène tranche et le choix devient une évidence.


J’ai pu louper une sortie de Julia Ducournau sur ce sujet, mais, pour le moment, je n’ai rien vu passé. Ceci est donc un avis totalement personnel.


La beauté des scènes


Je pense à une scène en particulier. Celle de Vincent Lindon, dansant au milieu de ses collègues. Enfin libéré de ce poids qui le pèse depuis des années. La musique, n’étant que très peu présente dans le film – si ce ne sont des séquences de plusieurs minutes –, tranche avec la dureté du reste de Titane.


Ces quelques scènes musicales permettent de s’échapper du reste du long-métrage. On profite, on se détache de toutes ces histoires qui nous prennent aux tripes. Julia Ducournau nous accorde une pause, et on la prend avec plaisir.


Deux points noirs


Séquence spoil derrière ces carrés noirs. Faire autrement n’est pas possible.


La première chose à laquelle je n’ai pas accroché est peut-être l’une des scènes centrales du film, mais qui ne m’a pas empêché d’apprécier le film dans sa totalité. Au tout début, quand Alexia a un rapport avec la Cadillac. Pas assez « réaliste » (avec de gros guillemets) pour moi.


La seconde séquence est la raison de la présence du personnage de Vincent Lindon. Sans avoir lu le synopsis, pas sûr que j’aurais été capable de savoir ce qu’il venait faire là. On nous l’explique dans la gare quand Alexia s’enfuit et, sur les panneaux, s’affiche « à quoi ressemblent les enfants disparus aujourd’hui ». Mais en loupant cette partie de l’image, le montage ne voulant que notre regard porte sur Alexia, on peut être perdu. Certains diront que c’est le jeu, et je ne pourrai vous contredire. Mais un indice un peu plus obvious n’aurait peut-être pas été de trop.


En bref, ce film est une réussite de la première à la dernière minute. Les personnes ayant fait des malaises dans les salles ne lui rendent absolument pas justice et c’est bien dommage. Après Grave, je crois que je peux l’affirmer : j’aime le style de Ducournau. Vivement le prochain.


Pour ceux qui n’auraient pas vu Grave, foncez. L’inverse est évidemment valable également.

NathanJoubioux
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le 20 juil. 2021

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Nathan Joubioux

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