They/Them
4.4
They/Them

Film de John Logan (2022)

Rendre littérale l'horreur psychologique d'un camp de réorientation sexuelle en en faisant le terrain de jeu d'un tueur de slasher, l'idée est plutôt originale et on se demande même comment un Ryan Murphy n'y a pensé pas avant pour une saison de "American Horror Story", parfait écrin pour ce type de concept. "They/Them" en aura donc la primeur, permettant à John Logan, scénariste de "Gladiator", "Aviator" ou de "Sweeney Todd" (excusez du peu) de faire ses débuts derrière la caméra et, d'un point de vue esthétique, on peut dire qu'il réussit à placer cette production Blumhouse dans le haut du panier des films de la firme (le prologue, notamment par sa photo travaillée, nous fait tout de suite dire qu'on est loin de la platitude formelle d'une de leurs teen-épouvanteries lambdas).

Et on veut bien le croire tant les premiers pas des jeunes "patients" dans ce camp se font intelligemment sous la forme d'un contrepied complet vis-à-vis des préjugés du spectateur sur ce genre d'endroit. Là où la rigidité froide du conservatisme religieux américain et toute sa bigoterie démente sont en effet attendus, "They/Them" nous présente un lieu qui tient en réalité plus de la colonie de vacances ensoleillée, régi par un personnel encadrant étonnamment bienveillant à l'égard des nouveaux venus. Par son ton chaleureux et sa compréhension des difficultés de ces jeunes, le discours d'accueil du directeur (Kevin Bacon, évidemment parfait) va même totalement à l'opposé de la caricature que l'on imaginait.

Autre bon point, en laissant longtemps son tueur de côté (et ce n'est pas plus mal), le film va préférer s'attacher à construire une galerie de protagonistes convaincants. Que ce soit via l'éclectisme du spectre de leurs difficultés à vivre leurs sexualités respectives par eux-mêmes ou avec leurs proches (du personnage de fille modèle devant étouffer son homosexualité dans son milieu bourgeois à celui transexuel s'assumant comme tel face à une famille qui cherche à le renier, le film offre un large éventail de situations), la belle cohésion progressive du groupe qui culminera lors d'une entraînante séquence sur un célèbre morceau très bien choisi pour l'occasion ou encore la découverte de certains sentiments naissants en un lieu qui cherche justement à les éteindre, tous ces jeunes se révéleront en majorité attachants et définis par une force de caractère plus complexe que les standards habituels d'un slasher. Face à eux, le personnel ne sera pas en reste: en miroir aux masques portés par les adolescents pour cacher leurs souffrances, les adultes laisseront peu à peu tomber les leurs, avec leurs sourires de façade, de manière particulièrement perfide pour s'introduire dans l'esprit de leurs "patients" et les malmener tout en révélant des déviances bien plus terribles que ce qu'ils considèrent être des maux chez ces ados. À ce titre, en axant la première partie sur tous ces personnages portés par un bon casting et les manipulations psychologiques qui se mettent en place au camp, "They/Them" sera vecteur d'une très belle ambiance, alliance bien pensée de légèreté et d'instants pesants (la séance chez la thérapeute ou le cours de cuisine en sont le paroxysme), où tout semble pouvoir arriver dans les recoins les plus obscurs et secrets de ces cabanes couvant une folie latente...

On ne comprendra jamais trop comment cela a été possible, surtout dans ces proportions mais, après une telle mise en place remplie de qualités à louer, "They/Them" va ensuite se rater sur à peu près tout ce qu'il entreprend, jusqu'à tutoyer fortement les frontières du ridicule.

On le présageait lorsqu'il se tournait quelques fois vers des moments de slasher au sens strict, convoquant une imagerie horrifique franchement dépassée (du look "Voorheesien" du tueur avec son masque à la symbolique grossière au personnage très risible du jardinier), John Logan ne semble tout simplement pas à l'aise avec cette dimension de son long-métrage et la maîtrise des canons du genre qu'elle induit.

Ainsi, lorsqu'à la fois la part sombre du personnel se dévoile plus frontalement et que l'assassin passe à la vitesse supérieure, plus rien ou plus grand chose ne fonctionne. On peut même situer plus précisément ce basculement qualitatif au moment où, inexplicablement et presque d'affilée, surgissent deux séquences érotico-softs à la durée bien trop longues pour ne pas être autre chose que gênantes et gratuites. À partir de là, "They/Them" sera en roue libre, échouant ou expédiant tout son versant de slasher et d'horreur psychologique par un enchaînement de meurtres pas très marquants à vitesse grand V pour aboutir à la révélation peu surprenante de l'identité de son tueur. Certes, les motivations de ce dernier dans le climat austère de ce camp et ce qu'elles permettent d'éclairer dans l'esprit du personnage principal qui lui fait face ne sont pas les choses les plus bêtes que l'on ait vues dans ce type de film mais l'écriture pour les mettre en relief ne suit pour ainsi dire jamais, les ficelles sont trop grosses, faisant des intervenants de cet affrontement de simples hauts-parleurs sur pattes de leurs tourments intérieurs pendant le dernier acte. On passe plus de temps à se demander comment un scénariste avec un tel CV a pu se planter à ce point dans son domaine de prédilection, gâchant tout ce qui avait été si fort bien entrepris auparavant.

"They/Them" est donc un film raté, c'est incontestable, mais un ratage somme toute assez sidérant vu les vraies bonnes choses qu'il met en place à bien des niveaux pour ensuite partir en vrille, comme si John Logan réalisait son incapacité à tenir la barre d'un véritable slasher et la lâchait volontairement pour laisser son navire se cracher directement dans les récifs les plus proches. Le long-métrage avait tout pour effectuer au minimum un voyage sans trop d'encombres mais son capitaine n'avait visiblement pas encore toutes les compétences pour le mener à bien. Un échec tout de même étonnant à découvrir.

RedArrow
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le 8 août 2022

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