On m'avait montré une vidéo internet du monologue sur Conan, et ça m'avait interpellé.


Je n'aime pas l'Heroic Fantasy, c'est de loin le genre qui véhicule le plus de clichés, sans refléter notre monde, celui où l'imagination, cette folle du logis, se perd dans ses propres méandres, qui ne mènent nulle part.


Mais Conan, c'est à part. Parce que derrière le schéma princesse dénudée à sauver-baston-Conan s'en va d'un air ténébreux, c'est une vision sans fard de la civilisation, qui affaiblit l'individu qui se repose sur ses bienfaits tout en amenant des germes de corruption morale, sans pour autant que la vie à l'état de nature soit idéalisée au profit de la figure du bon sauvage. Conan, c'est une vision sombre du destin de l'HUmanité, une sorte de Nieztschéisme light, naïf, généreux et grandiloquent. Et ça, j'aime.


Ce film est une chronique et une romance. Rosalyne Pyke est une jeune institutrice à Cross Plains, Texas, en plein dans la Bible Belt bien blanche, aux bonnes intentions et à l'univers étriqué. Elle a des velléités d'écriture, transcrit des mots entendus, etc... Un ami lui présente Rob Hobbard, "le plus grand écrivain pulp du monde", un gars mal dégrossi, qui n'a pas fait d'étude, se conduit un peu bizarrement (on le voit boxer l'air dans la rue car il écrit une histoire de boxe). Elle l'appelle, mais tombe sans cesse sur sa mère. Un jour elle décide ses amies à la déposer devant la maison de Rob, qui la laisse entrer et ils parlent toute la journée à bâtons rompus. Il décrit, dans un monologue mémorable au milieu des champs de maïs, ce qu'est Conan.


Une romance s'amorce sans être consommée : premier rencart où Rob ne pense pas à venir bien habillé, ce qui vexe Rosalyne ; première sortie au cinéma où il se rattrape. Puis leur relation va devenir plus compliquée : Rob cesse un temps de voir Rosalyne car elle le pousse à être sociable, et il juge que cela corrompt son style d'écriture ; la santé de la mère de Rob, qu'il aime tendrement, décline, et il refuse que quiconque s'occupe d'elle à sa place ; après un pique-nique où ils s'embrassent, Rob explique maladroitement qu'il doit suivre sa propre route seul. Pour se venger, Rosalyne sort ouvertement avec Truett, un des amis de Rob, pour le rendre jaloux. Il se venge en lui envoyant un livre de Pierre Louÿs très osé, qui met la jeune femme très en colère. Ils se rabibochent, mais leur relation n'arrivera jamais à son terme : la mère de Rob approche de la fin, et Rosalyne a obtenu un bon poste en Louisiane. Trois mois plus tard elle apprend que Rob s'est suicidé peu après avoir appris que sa mère était condamnée.


Si le résumé donne l'impression que beaucoup de temps est accordé à la romance, c'est une fausse impression. Le sujet central est la vocation d'écrivain, et la fragilité du processus créatif. Howard est une personnalité très riche, fort bien interprétée par d'Onofrio, entre le gars de la campagne mal dégrossi, voire réac, le visionnaire au milieu d'une Amérique très conformiste, l'écrivain torturé, écartelé entre ses personnages bigger than life et sa vie étriquée à prendre soin de sa mère. Le film montre beaucoup de facettes de cet écrivain, dans un style très harmonieux qui ne donne pas l'impression d'une construction schématique. Grâce eux deux acteurs principaux, on a vraiment l'impression de voir deux personnes ordinaires témoin d'une vocation d'écrivain arrivée à maturité, mais fragile derrière les apparences.


Le côté "réhabilitons le pulp" ne m'a guère touché, à mon sens il n'occupe pas une place significative du message du film. Dans les années 1990, c'était peut-être osé, aujourd'hui ce serait enfoncer une porte ouverte.


Ce film a aussi cette sensation détendue des films sur le sud des années 1920-30 (un peu comme un O'Brother qui ne serait pas déconnant), ce qui le rend contemplatif et incroyablement reposant. Le clair de lune, les grillons, cette lampe à huile sur une table de la véranda, à côté de la balancelle, ces rencontres au bureau de poste ou en sortant de l'épicerie : sans en rajouter, ça fait toujours mouche.


D'un point de vue formel, c'est ultra-classique mais très solide, avec un format presque téléfilm loin d'être désagréable. Dès les premiers plans : une voiture passant derrière un champ de maïs, avec quelques accords de guitare sensibles, vous savez dans quoi vous avez mis les pieds. L'image a un léger filtre orangé, pas désagréable. Le film alterne entre les échanges où nos deux protagonistes s'engueulent ou discutent sur l'art, les stéréotypes, ce qu'il est correct de montrer au public, l'originalité, et leurs échappées. L'action pourrait sembler insipide, tout comme le personnage de Renée Zellwegger, qui cache cependant une certaine ambiguïté et profondeur. Au fond, il n'y a que la fin qui m'a déçu, je l'ai trouvé un peu générique.


The whole wide world est un fort beau film, qui rend honneur au créateur de Conan et à la création en général.

zardoz6704
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Amérique profonde et Good old Dixie

Créée

le 7 juin 2016

Critique lue 627 fois

5 j'aime

2 commentaires

zardoz6704

Écrit par

Critique lue 627 fois

5
2

Du même critique

Orange mécanique
zardoz6704
5

Tout ou rien...

C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...

le 6 sept. 2013

56 j'aime

10

Crossed
zardoz6704
5

Fatigant...

"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...

le 4 mai 2014

42 j'aime

60

Black Hole : Intégrale
zardoz6704
5

C'est beau, c'est très pensé, mais...

Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...

le 24 nov. 2013

40 j'aime

6