(J'ai écrit cette critique pour un cours, j'en suis pas vraiment satisfait,
mais c'est pas grave. En la relisant, elle donne l'impression que j'ai adoré, ce qui est excessif, mais j'étais de bonne humeur en l'écrivant)

Michel Gondry signe ici un film faussement mineur, illustration de sa réponse à la question : le groupe est-il un engrais ou une cage pour son évolution personnelle ? Bien que ce questionnement ne soit pas nouveau, la façon qu'à Gondry de s'y confronter est assez singulière, et plutôt réjouissante. Ainsi, sans fétichisme de l'anecdote, il sublime une de ces aventures du quotidien qui grâce à un enchainement imprévu marque une journée, nous sort de l'absurde Camusien.

En effet, face au «silence déraisonnable du monde», où l'on est condamné si on ne joue pas le jeu, si on n'accepte et ne se plie pas aux règles, les membres du bus de Gondry sont comme les personnages absurdes de Camus en quête d'une cohérence ; il n'y a pas de futur, seul compte l'ici et le maintenant. Cela est d'ailleurs concrètement mis en place dans le film : peu importe les histoires de chacun, peu importe ce qu'il s'est passé avant, ce qui arrivera après le bus, seul compte ce qui s'y déroule sous notre regard – aussi léger que celui de Gondry -, le temps du trajet.
Ainsi, c'est grâce au bus que l'inattendu va pouvoir surgir. Tandis qu'il est au début du film une simple boîte contenant une machine avec ses rouages, ses blagues de bas étages, ses clichés, ses fausses pulsions, il va en prendre possession petit à petit. La machine ainsi assimilée, sa mécanique va peu à peu se dérégler au fil des descentes, les effets de groupe s'atténuer, les situations et les conversations se reconfigurer : les jeux de pouvoir sont reprogrammés, le crique tribal terminé.

Michel Gondry se permet alors de laisser s'exprimer son goût du bricolage, des agencements, et fait à plusieurs reprises coexister dans un espace irréel des récits simultanément racontés par les jeunes ; ces jeux sur la forme sont la preuve que le bus est devenu une nouvelle dimension, un espace singulier qui exalte ses membres.
En effet, l'absurde se conserve, ne peut se résoudre et heureusement, car il génère alors une puissance qui se réalise dans la révolte. Cela se traduit concrètement par l'empathie qu'on accorde aux personnages : ils cessent d'être insupportables que lorsqu'ils montrent un signe de révolte. On les sent alors se dépasser, car la révolte offre un champ de possibilités ; en acceptant l'absurde de leur condition ils se libèrent des contraintes du futur. Ils peuvent alors exister par eux-mêmes, le temps d'un instant non plus comme partie impersonnelle d'un groupe, mais comme membre individuel d'un groupe : «La solidarité des hommes se fonde sur le mouvement de révolte et celui-ci, à son tour, ne trouve de justification que dans cette complicité» (Camus, L'homme révolté).
Ainsi le groupe, la communauté, a une grande emprise sur ses membres, les conflits y sont inhérents, mais il ne s'agit pas là d'une limite. L'enjeu est de ne pas simplement constater que les actions et réactions évoluent selon la taille du groupe, mais de voir le mécanisme de responsabilité qui en est le moteur, et de l'assimiler pour s'en libérer. Le groupe devient alors une cellule solidaire, par laquelle on peut exister sans renier son environnement.

The We And The I est un film, mais aussi un geste, fluide et pétillant comme le bus-enceinte du générique, qui va puiser – jusqu'aux personnages-acteurs – dans le réel, afin de faire échos à nos propres expériences et nous confronter, nous aussi, à la question du film.
Cthulhu
7
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le 26 oct. 2012

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Cthulhu

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