Voyage à travers les neufs cercles de l’Enfer

Errant dans des couloirs immaculés de blanc, Christian, un homme à l’apparence ordinaire, propriétaire d’un musée, va voir sa vie basculer petit à petit dans une descente infernale dont la destination finale n’est autre que le Pandémonium. Après le succès de son film Turist, Ruben Östlund sort de nouveau son regard observateur et sa plume épigrammatique afin de nous proposer cette fois-ci une comédie dramatique complètement lunaire. Celle-ci offre une perspective nouvelle sur la question de notre relation à l’art contemporain ainsi qu’une étude de son public, bien souvent dépeint comme un cercle fermé composé d’une bande d’élitiste déphasé.

Östlund instaure indubitablement sa patte dans ce « carré », tournant en dérision le « monde de l’art » avec un coup de pinceau rêche et rugueux. Nous présentant une toile abstraite pigmenté par une pointe de déraisonnable et d’un soupçon de démence ; une formule qui décrit si bien l’humain intellectualiste sous l’emprise de cette aliénation ambigüe causée par des idéologies des plus absurdes.

L’art contemporain est un sujet clivant, aussi complexe que polémique, capable de faire couler énormément d’encre ou de produire les débats les plus enflammés. La question « est-ce de l’art ? » peut évidemment se poser face à des œuvres de Marcel Duchamp, Jeff Koons ou encore Joseph Kosuth. Matérialisation d’un génie incompris ou aberration métaphysique à l’impact économique exacerbant, chacun possède son opinion sur ce vaste sujet.

Bourré d’idées pertinentes, le film met en scène l’industrie de l’art dans toute sa décadence ainsi que sa dégénérescence mais ne réussit jamais à trouver la méthode adéquate pour critiquer ce milieu. Au lieu de ça, le film patauge dans sa propre arrogance, traversé par une réalisation perdue dans les limbes de la débandade intellectuelle. Le long métrage aborde un ton des plus pompeux en opposition totale avec la satire initialement proposée, au contraire, le film suédois finit par ressembler lui-même aux œuvres précédemment cités : un objet des plus banales tentant d’être bien plus cérébrale qu’il ne l’est réellement. La subtilité qui berçait Turist est noyée ici sous une grandiloquence inappropriée.

En dépit des capacités d’analyses sociologiques du réalisateur suédois, qu’il brandit avec brio dans Turist – encore une fois, mais aussi avec son dernier né : Triangle of Sadness, The Square fait tache au sein de sa fratrie, affichant une prétention acerbe, allant bien au-délà de la limite du tolérable. Östlund est indéniablement capable de concevoir un excellent texte, mais ici, un flagrant manque de retenu et de discernement rendent cette œuvre aussi douteuse que les créations de Wim Delvoye. The Square ne parvient jamais à être dramatique, subversif ou intriguant, derrière cette émulsion conceptuelle condescendante se cache un néant abyssal reflétant le manque d’enjeu au sein de cet espace rectangulaire. Le détenteur de la palme d’or en 2017 est une déception aussi grande que Les Nymphéas de Monet, tentant tant bien que mal de choquer ou d’évoquer une réflexion, cependant servi avec une maturité adolescente.

Ce long métrage est malheureusement pris dans un cercle vicieux, essayant tant bien que mal de parvenir à atteindre ses ambitions philosophiques mais en vain, résultant à un crash indescriptible. Il est tout de même intéressant de constater que le détenteur de la palme d’or en 2017 parvient à diviser tout autant que le sujet qu’il traite, un film particulièrement curieux laissant un arrière-goût rance au travers de la gorge après son visionnage.


Vir_Tual_Mind
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le 18 mars 2024

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