Ma critique du film scandinave et Palme d'Or au dernier Festival de Cannes, THE SQUARE


Carré blanc sur fond vide


Les films scandinaves sont toujours un mini-événement. Il y a de l'excellent ( Morse, La Taupe ) du moyen (Millenium, Pusher, Drive) mais rarement du très mauvais. Il y a Lars Von Trier, et désormais Ruben Östlund. The Square est une réelle expérience cinématographique. Ce n'est pas un film sur le ridicule de l'art contemporain, ce qui enfoncerait une porte ouverte trop facilement : Pas de cible plus évidente, plus facile que l’art contemporain – des impostures pour milliardaires de Jeff Koons aux grandes expositions collectives de la Galleria Continua.


Le réalisateur aborde des sujets actuels et peu évoqués tels que la marchandisation de l’art, l'évacuation de l’émotion au profit du « management », la recherche constante du profit en oubliant d’accorder de l’attention à ce que l’on voit autour de soi, avec les différents niveaux d’implication que ces attitudes supposent. Niassent alors : Le mépris, le vide et le chaos; mélange de vision protestante et progressiste au nom de la tolérance. une critique de l’art contemporain en tant que telle, mais plutôt une critique du monde contemporain dans son ensemble.
En effet, la distinction entre l’art et « les mondes de l’art » mérite plus que jamais d’être mise en évidence.


La tolérance existe t-elle ?


Non, c'est absurde, on le sait, l'absurdité plutôt dans le sens de quelque-chose de contraire au sens commun, qui déstabilise, interroge tout en amenant une mise en scène comique et un sentiment de malaise


( interminable et dérangeante scène de sexe)


"The Square" est aussi le projet d'art contemporain en lui même, présenté en abysme dans le film, d'un espace carré et dans lequel pourrait tenter de s'élaborer le rêve d'une société idéale, gouvernée par les seules valeurs de l'humanisme...
Ruben Östlund, qui, après avoir fustigé l'individualisme et la fermeture des populations urbaines, courant vers leur but sans se soucier des nombreux mendiants semés, comme des remords, tout le long du film, tente la satire sociale. Un peu loupé de ce côté la, le film devient alors un topo étourdissant au sein duquel le réalisateur confronte la notion de « bienséance » à ses limites et questionne habilement l’hypothèse d’exposibilité.


Sans couleurs ni Conservateur


Il s’agit bien davantage de démontrer l’incohérence des personnages qui gravitent autour de l’art et qui n’accordent aucune importance à la valeur artistique des objets, que de moquer l’art contemporain (que ce soit en tant qu’objet ou en tant que démarche). On peut même déceler une volonté de montrer leur méconnaissance de l’histoire de l’art, de son évolution. Ainsi, il sera encore et encore question de la place de l’art et de ceux qui gravitent autour et dans le musée, de la légitimation de celui-ci par celui-là, de la création d’œuvres à partir d’éléments « non-nobles » De l’Art Povera au Système Basquiat (l’artiste ne voulait pas vendre ses oeuvres, désormais rien n’est plus cher qu’un Basquiat)
De plus, si les rôles que l’on a attribué à l’art et à sa volonté de fédérer, de rassembler, de provoquer, de condamner, de transgresser, de dénoncer, de libérer… en vue d’un monde que l’on espère meilleur, c’est ici tout l’inverse qui est donné à voir. Le musée est créé uniquement pour être vu par un certain public, imbu, sûr de lui, et non pour ouvrir le monde à la culture.


Alpha & Omerta


L’approche, gorgée d’humour et quelquefois grandiloquente à l’image du protagoniste mégalomane, est magistrale. Le film démontre ainsi la non-évolution absurde du monde artistique, qui se parodie lui-même, incapable de regarder plus loin que ce que lui est présenté, incapable de repenser et de dépasser ses propres codes, n’accordant lui-même pas de crédit à ce qu’il présente, faisant ainsi preuve d’un irrespect total envers ses artistes et ses publics. Christian (protagoniste principal) n'a rien d'un cynique, c'est un homme de bonne volonté, enfermé dans une bulle d'inconscience. Quand elle éclate, la punition est libératrice.


Ce film accablant pour une société frivole et irresponsable ne perd finalement pas confiance dans l'humanité véritable. Ce n'est pas la dérision qui emporte The square, il donne envie d'en discuter longtemps, d'essayer de comprendre, il vient vous chercher sur votre fauteuil pour vous installez au milieu de cette société bien mal à l’aise. Comme ce moment où Christian propose de « réparer » une œuvre lui-même. L’horreur pour un artiste.


Un monde meilleur, mais pas trop


Et c’est probablement cette « séparation » entre deux « mondes », qui cohabitent sans se croiser, en s’ignorant, qui est le véritable sujet du film. Car si le film démontre, comme dit plus haut, l’hypocrisie du monde artistique, il démontre également celle du monde en général ainsi que son individualisme. On parle souvent de l’ego surdimensionnés des artistes, mais il en va de même pour la société bourgeoise présentée dans ce film, incapable de s’apercevoir de la présence de son prochain, quel qu’il soit.
Incapable de l’aider, ou de l’écouter, incapable de penser à autre chose que soi.
« The Square », l’œuvre plastique, c’est un simple carré, au sein duquel les gens ont pour mission de s’entraider… de faire preuve d’humanité, finalement. Aussi complexe soit le scénario (expliquez le film à quelqu’un, vous comprendrez vite qu’il ne comprend pas) , il paraît d’une pleine simplicité tant la mise en scène fait sens.


Tragédie Grecque et Happy Ends


Nous faisons nous-mêmes partie de la comédie, spectateurs appartenant à cette époque, ce monde, cette société et poussés à chercher un sens hautement éclairé à tout cela, après la projection. La présence même de certains dispositifs créés dans l’espace muséal démontre l’absence de ces relations humaines, de ces actions, aussi simples soient-elles, dans le monde réel. Le faste du repas contraste avec la misère de la ville, qui semble pourtant invisible et silencieuse aux yeux et oreilles des convives.
Au coeur de cette approche magistrale, mélange de portrait glacial et cynique la musique est mère de contraste et ancre une distance amusante voire déroutante.
Ces thématiques et problématiques sont condensées directement ou allégoriquement dans la fameuse scène de l’homme-gorille, dont la performance participative amuse et intrigue, gêne progressivement, finit par effrayer, et dont les personnages veulent se débarrasser au plus vite. Cette scène concrétise le paradoxe selon lequel : « L’art, les performances et par extrapolation ce que l’on ne comprend pas, ce qui ne nous est pas proche, on l’aime bien, mais pas trop longtemps et un peu plus loin s’il-vous-plait. Le dépassement, c’est bien, mais faut pas exagérer quand même. »


et que « ouf, c’est pas tombé sur moi. Je pourrais aider, mais autant détourner le regard, c’est plus facile. ». Autrement dit, quand les choses deviennent réelles, on préférerait s’enfuir plutôt que d’y être confrontés.


Le jour d’après demain


The Square donne un aperçu critique et d’une société qui ne veut pas choisir, qui ne veut pas se (re)connaître, qui ne veut pas affirmer ses décisions ou ses pensées, qui ne veut pas se dépasser, qui reste sur ses acquis.
Le film ne s’octroie toutefois pas le droit d’opérer un réel jugement accusateur, qui aurait été quelque peu illogique (et un peu manichéen ?) : après tout, Ruben Östlund est un artiste-créateur du milieu du cinéma et nous ne sommes que de spectateurs, pas forcément « bourgeois » mais probablement privilégiés.
Östlund dit lui-même : « Le monde de l’art se pose-t-il encore des questions ? Ne se comporte-t-il plus que de manière routinière ? ». Car la Palme d'Or ne plait pas à tout le monde et en déroute plus d'un, c'est en général la réaction de la violence froide dans un milieu feutré qui se veut tempéré.

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le 21 mai 2020

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