Je reviens tout juste de The Souvenir, partie I.
Je ne suis pas encore allé voir The Souvenir, partie II.
Or il me paraissait juste essentiel d’écrire au sujet de ce film dès maintenant.


…Ecrire dès maintenant tout simplement parce qu’il est évident que cet aspect diptyque a joué – et va jouer – pour beaucoup sur ma manière de percevoir cette œuvre.
Je ne doute d’ailleurs pas qu’après avoir vu la partie II mon regard sur cette partie I aura changera, alors du coup j’ai besoin de figer ce moment présent pendant qu’il est encore temps…
…Mieux que ça j’en ai envie.


J’en ai envie parce que j’avoue que, même si je n’ai pas été totalement transcendé par cette première partie de ce The Souvenir, j’avoue qu’elle a suscité chez le spectateur que je suis une curiosité et une attention assez particulières ; curiosité et attention justement liées à ce projet insolite de vouloir faire le film en deux temps…
…Ou plutôt devrais-je dire en deux mouvements.


La chose est d’autant plus singulière pour moi que je suis plutôt du genre à ne pas apprécier savoir à l’avance ce que je vais voir. D’accoutumée, j’ai tendance à considérer que moins j’en saurai et mieux je me ferai surprendre par l’œuvre…
…Mais là les cartes distribuées par Joanna Hogg ont pour le coup grandement modifiées grandement les règles de la partie.


Par chance j’ai pris connaissance de ce projet au sein d’une salle de cinéma, alors que j’attendais le film que je m’apprêtais à voir.
En cela, la bande-annonce a ce grand mérite de savoir poser le principe sans trop en dire.
A quoi va-t-on assister ? A un film en deux parties donc. La première partie sera consacrée à la situation du vécu d'une jeune réalisatrice en pleine découverte de la vie et de son art, et la seconde sera le moment du passage du passage à l'acte : ce long-métrage inspiré de ses débuts de vie.
Comment l’expérience de vie influence l’expérience de créer ?
Comment la fiction rejoint et reconstruit la réalité ?
Deux films qu’on pourrait voir indépendamment l’un de l’autre à en croire la bande-annonce, mais deux films s’alimentant mutuellement si on les voit tous les deux ; du moins c’est ce qu’on nous en dit.
Le principe est audacieux, et c’est notamment parce que ce principe m’a été énoncé que mon expérience de ce The Souvenir, part I a été particulièrement savoureuse.


Car peut-on voir ce The Souvenir, part I sans savoir qu’il y a une deuxième partie ? …Sans savoir quel est l’enjeu de narration qui se cache derrière ?
Personnellement je pense que oui, mais à mon avis on ne doit clairement pas voir le même film selon que ce soit le cas ou pas.
Parce que pour ma part j’ai justement apprécié comment ce film parvient – derrière une forme et une structure tout ce qui semble de plus banales – à glisser malgré tout un jeu de sous-entendus et de questionnement plus ou moins explicites à l’égard de ceux qui savent de quoi il retourne dans le fond.
L’exemple le plus concret à mes yeux est certainement cette scène qui survient dès les dix premières minutes.
On est dans le logement de l’héroïne, Julie. On sait qu’elle vient d’emménager avec ce jules dont elle est éperdument amoureuse – Anthony – et qu’un projet de film occupe l’esprit de la belle.
Elle prend le courrier au pas de sa porte pendant que le charmant Adonis lui propose avec douceur et tendresse de lui faire un thé.
Julie est heureuse et pensive à la fois. Elle s’attarde sur un prospectus sur lequel est représenté un portrait ancien. Elle devient de plus en plus songeuse…
Soudain fondu au blanc et, brusquementn Julie et Anthony se retrouvent tous les deux en plein palais, au milieu des dorures, à parler du futur film de Julie ; à parler du rapport entre fiction et réalité.
A ce moment-là, tout dans cette mise-en-scène traduit une transition brutale vers un monde de l’imaginaire ; vers un monde fictif : la rupture de lieu ; la rupture de mise-en-scène où la caméra au poing laisse la place à un cadre brusquement métrique ; l’opposition entre la posture rigide et les vêtements de Julie qui semblent démontrer qu’elle est là sans l’être – pas à sa place – tandis qu’Anthony est accoutré comme un personnage qui serait partie prenante de ce lieu imaginaire – comme s’il en était une projection – et surtout il y a donc cette conversation qui aborde carrément ce qui est amené à être la partie II de ce The Souvenir*
Et pourtant…


…Et pourtant rien n’est faux. Enfin, tout cela est plus confus à dire vrai.
Cette scène dans le palais, est bien réelle dans la diégèse du film, oui.
Anthony est un bien un dandy qui aime vivre selon un très grand train de vie.
Il va au Harrods, se fait des costumes sur-mesure, tient la pose., pèse l’effet de chaque mot et de chaque phrase. Il charme…
Anthony est vraiment ainsi. Ou plutôt non, Anthony est faussement comme ça.
Anthony masque. Sa vie est un leurre.
Il le dit lui-même sitôt est-il question d’aborder le projet cinématographique de Julie : « les gens ne veulent pas voir la réalité telle qu’est elle mais telle qu’ils la vivent. »
Révéler cela en dit plus sur ce qu’est Anthony plutôt que sur le film. Voire même, révéler cela en dit bien plus sur ce qu’est le rapport d’Anthony à la vie plutôt qu’à son rapport au cinéma.
La vie d’Anthony est du cinéma.


A elle seule cette scène ouvre une porte qui m’a plu tout de suite.
A quoi bon ne pas vouloir mettre du vécu dans la fiction puisqu’ils sont beaucoup à vouloir entretenir de la fiction dans leur réel ?
…Intéressant.


Or tout le film est ainsi. Tout le film brouille les pistes.
Cette seule forme à elle-seule est perturbante. Quand bien même n’y-a-t-il rien de nouveau au fait de vouloir donner une impression de réel en filmant les choses caméra au poing avec une image assez crade que la confusion s’est mise à régner dans mon esprit…
…Une confusion installée donc par la seule prémisse instaurée par la bande-annonce.


…Et c’est là que je m’interroge forcément de comment j’aurais reçu ce film si je n’avais pas su. Car il est évident que si j’ai été davantage sensible à tous ces points c’est surtout parce que je sais qu’il va y avoir une partie II.
Je sais que cette partie I est censée être celle qui me délivre le réel avant que la partie II me révèle la fiction
…Seulement il se trouve que cette partie censée être réelle est aussi une fiction.
Elle est aussi un film avec des acteurs.
Or à jouer régulièrement avec la forme ; à créer parfois des ruptures tellement fortes dans le quotidien de Julie ; et surtout à faire parler régulièrement ses personnages du processus créatif dont la partie II sera la résultante, ce The Souvenir passe son temps à nous mettre dans une situation d’entre-deux…
…Mais personnellement cet entre-deux, je l’ai trouvé particulièrement habile dans sa manière d’être mis en place.


Il est habile cet entre-deux de Joanna Hogg parce qu’au fond il ne tient que sur peu de choses.
On ne saurait pas qu’il existe une partie II que ce film se verrait comme une fiction tout ce qu’il y a de plus normale ; pour ne pas dire tout ce qu’il y a de plus banale.
C’est d’ailleurs à la fois sa force et sa faiblesse.
« Force » parce qu’à jouer très légèrement et ponctuellement avec nous, le film n’a pas trop malmené ma suspension consentie d’incrédulité. Le pouvoir de la fiction est parvenu à chaque fois à reprendre le dessus si bien que j’ai cru aux personnages comme aux situations ; je n’étais pas en train d’observer une performance avec distance et abstraction, et cela fut fort appréciable.
« Faiblesse » néanmoins parce qu’à jouer la carte d’un certain réalisme, cette partie I n’échappe pas aux affres d’une certaine redondance.
J’ai beau comprendre le personnage de Julie et ce qui la conduit à rester proche d’Anthony malgré les multiples saloperies qu’il lui fait endurer, il n’empêche que ce qu’elle a vécu est typique d’une gamine qui se laisse bouffer et duper par une relation toxique et qu’en soi, c’est assez classique donc assez banal…
…Aussi je ne cacherais pas qu’à certains moments, mon intérêt pour ce que j’étais en train de voir fut plus que limité et que dès lors mon attention lors de ce film fut pas mal fluctuante.


Malgré tout, l’un dans l’autre – et c’est un fait – j’ai clairement adhéré à la formule proposée…
…Et j’y ai adhéré parce que jusqu’au bout, Joanna Hogg a su tenir avec vraiment beaucoup de subtilité son fil rouge.
Le réel et la fiction.
Le retranscrit et le retransformé.
La forme naturaliste plate et l’artifice narratif qui dit des choses au-delà des mots.


…Pour ma part j’ai notamment particulièrement été sous le charme de la scène finale.
L’actrice lit un texte qu’aurait pu prononcer Anthony par rapport à ses propres funérailles. Le chariot de travelling avance lentement en sa direction. La voix chevrote, les regards sont graves.
Est-ce l’actrice qui joue à la perfection son rôle ou bien est-ce la personne qui se laisse soudainement submergée par le fait qu’elle sache que ce qu’elle lit est inspiré d’une vraie perte ; celle de sa réalisatrice ?
De même, est-ce que le visage fermé de Julie est celui d’une autrice attentive à ce qui se passe sur son plateau ou bien est-ce celui d’une femme en deuil que cette scène bouleverse de l’intérieur ?
Et puis enfin, est-ce que le petit coup d’œil que Phil lance en direction de sa metteuse-en-scène est celui d’un technicien soucieux de voir s’il fait ce qu’il faut, ou bien est-ce celui de l’ami qui se soucie des émotions de cette femme vis-à-vis de qui il a de la tendresse voire peut-être un peu d’amour ?
Toute cette scène n’est qu’une gigantesque confusion entre premier et second degré permanent, et cela jusqu’à ce que la grande porte noire du studio ouvre sur un horizon nouveau ; ce même horizon que l’on voyait parfois quand Julie méditait parfois à ce que devait être son film…


Face à ce genre de subtilités, difficile pour moi de rester insensible…


Alors voilà.
A présent les choses sont écrites.
Les sensations à chaud sont posées.
Il me tarde désormais d’être à ce soir afin de découvrir ce que la partie II me réserve…
Etonnamment je me sens excité mais aussi un brin fébrile…
Mais c’est au fond tout ce que j’aime avec le cinéma. Tout ce que j’attends.
C’est ça moi que je veux quand je vais dans les salles obscures.
Je veux que la fiction vienne perturber le réel.
Je veux que le réel investisse la fiction.


De tout cela on sera d’ailleurs amené à en reparler très vite…
…Il me tarde mes amis.


…Il me tarde.

Créée

le 8 févr. 2022

Critique lue 500 fois

4 j'aime

4 commentaires

Critique lue 500 fois

4
4

D'autres avis sur The Souvenir - Part I

The Souvenir - Part I
Cinephile-doux
5

Une liaison toxique

The Souvenir est manifestement un film en partie autobiographique d'une réalisatrice encore peu connue en France, Joanna Hogg. Le film, situé dans les années 80, évoque ses années d'études...

le 1 juil. 2019

13 j'aime

3

The Souvenir - Part I
AntoineRunrun
2

Critique de The Souvenir - Part I par AntoineRunrun

Une caricature parfaite de film 'élitiste' prétentieux. "The Souvenir", c'est un enchainement informe de scenes sans logique - impossible de comprendre pourquoi une scene se finit, encore moins a...

le 18 oct. 2021

10 j'aime

1

The Souvenir - Part I
Fleming
8

Inexplicabilité du sentiment amoureux

Bien que les deux parties de l'opus soient proposées comme deux films distincts (nécessitant deux séances, donc la prise de deux billets) et que chacun puisse se voir à la rigueur indépendamment de...

le 14 févr. 2022

4 j'aime

2

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

236 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

206 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

158 j'aime

122