C'est un jeu de mot 🎶 🎶

Après ce petit aperçu de ce que l'humanité fait de pire, concentrons nous sur ce qu'elle fait de mieux car The Saddest Music in the World est un film merveilleux.

On pourrait résumer en ces quelques mots le scénario de cette pépite de Guy Maddin : en plein climat de dépression financière et au crépuscule de la prohibition, une notable de Winnipeg (ville canadienne bien connue des amateurs du cinéaste) décide d'organiser le concours de la musique la plus triste du monde.

Toutefois, peu importent les différentes étapes du scénario sur lesquelles il n'est pas nécessaire de s'appesantir, celui-ci étant avant tout un savoureux prétexte permettant à Maddin d'exacerber sa créativité tout en y incluant des personnages archétypaux, imbriquant dans une compétition hallucinée des conflits dignes des plus grandes tragédies.

The Saddest Music in the World nous présente en effet un conflit familial connexe à ce concours, un double triangle amoureux menant à la fois à une lutte parricide et fratricide, le tout dans une ambiance épileptique d'images et de sons. C'est bien cette inventivité sensorielle qui fait la force du film : à des thématiques que l'on pourrait prétendre éculées, Maddin et son équipe insufflent un vent de nouveauté par le fourmillement d'idées esthétiques. Sculptant le réel comme personne et exacerbant les caractéristiques du cinema d'autrefois dans une forme d'hommage parodique tout a fait délicieux, Maddin crée une oeuvre dont l'insolence est un régal (exemple entre mille : la participation d'un candidat ayant pour pays l'Afrique : chose hélas tout à fait courante dans la plupart des films de tournois - Le Grand Tournoi avec JCVD notamment - et j'imagine encore plus dans les films de l'époque citée, nous permettant d'appréhender rapidement le contexte autocentré des héros du récit et les moeurs de l'époque décrite).

Archétype du film parodique et intelligent, The Saddest Music in the World s'avère irrévérencieux au possible dans son propos : une critique de l'instrumentalisation culturelle a des fins commerciales se construisant à trois niveaux différents :

Le premier niveau est assez classique, la compétition ne servant qu'à vendre un large stock de bière avant la fin de prohibition, l'aspect musical du concours n'est que secondaire pour les organisateurs. Mis en avant par une superbe scène de publicité pour de la bière à l'allure propagandiste entre deux battles, cet aspect de la compétition est accentué par la présence de nombreux éléments relevant du pur divertissement, ainsi nous pouvons assister lors d'un évènement où des candidats viennent chanter leur tristesse à des interventions de commentateurs couvrant presque la musique (humour corrosif oui oui).

Le personnage de Chester Kent ouvre un second niveau de lecture plus original et tout aussi acerbe : représentant les Etats-unis, il n'aura de cesse de siphonner le talents des autres candidats et donc de ne rien créer qui lui soit propre. Permettant de parodier Broadway (et Hollywood dans la logique) dans des mises en scènes dont la créativité burlesque va crescendo, ce personnage a aussi une utilité critique. Archétype du producteur véreux, il ne reculera devant rien pour s'octroyer la victoire, cette attitude trouvant son point d'orgue dans le combat final :

Une performance sexualisée d'un massacre des esquimaux, joués par des espagnols : appropriation du malheur des autres, sexualisation d'évènements tragiques, hommage de façade n'apportant rien aux populations concernées et non respect de la culture en question : cette scène est assez représentative de ce que le cinéma mainstream américain a pu faire subir à ses minorités depuis des décennies.

Dans cette façade publicitaire compétitive, se profile un troisième axe critique de la société du spectacle : en effet les candidats ne reculent devant rien pour accentuer la tristesse de leur performance, jouant du piano à genoux ou se scarifiant en pleine performance (le tout allant crescendo), il font de leur détresse un show. Récit de l'instrumentalisation de la misère, The Saddest Music in the World trouve ne cache pas son propos : le "héros" le disant lui même : il ne connait pas la tristesse mais peu importe puisqu'il sait la mettre en scène, contrairement à son père auquel la prestation authentique et sans fioriture n'apportera qu'un échec pathétique : la misère banale ne suffit plus, pour flatter la sensiblerie du spectateur, elle se doit d'être mise en scène.

Tous ces propos bien sentis et admirablement mis en scène construisent un discours global attaquant le rapport moderne consumériste à la culture que nous offre l'actuelle (mais pourtant pas forcément récente) culture du spectacle mercantile dans laquelle l'humanité semble s'être embourbée. En cassant les codes établis tout en les reniant de manière virulente dans un ensemble créatif et cohérent, The Saddest Music in the World crée quelque chose de rare et est une véritable bouffée d'air frais au sein du cinéma contemporain.

En plus de nous présenter un concours de chant finissant dans les pleurs et le sang et un kaléidoscope d'images sublimes, Guy Maddin donne une vision sans concession de ce que doit être une oeuvre d'art à laquelle j'adhère complètement, c'est un super film

arthurdegz
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le 5 juin 2023

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