The Painted Bird (L'Oiseau bariolé dans sa traduction française) est le genre de titre que l'on serait presque gêné d'avoir adoré. Il fait partie de ces chefs-d'oeuvre qui vous fait ressortir de là estourbi, totalement dégoûté du genre humain, avec une crudité telle qu'il est préférable de visionner ça à l'abri des regards indiscrets. Aucun étonnement qu'il en bouscula plus d'un lors de sa diffusion à la Mostra de Venise. Les témoignages racontent qu'un tiers des spectateurs quittèrent la salle lors de la projection tant le film était imbuvable autant visuellement que psychologiquement. Et je me dis que c'est là où je suis fier de ma politique qui est de ne rien savoir d'un film avant de le visionner pour éviter de gâcher la surprise. Le synopsis m'aiguilla un peu sur le contenu mais rien ne laissait présager une telle sauvagerie à l'écran.


Václav Marhoul a décidé de s'attaquer au roman éponyme et réputé inadaptable de Jerzy Kosinski se passant durant la seconde Guerre Mondiale. Un enfant juif confié par ses parents au bon soin de sa tante sera confronté à des scènes d'une rare violence après la mort de celle-ci l'obligeant alors à voguer vers d'autres horizons dans une Pologne en décomposition. La guerre n'est toutefois qu'une simple toile de fond. "La guerre c'est l'enfer" comme on le dit si bien mais ce qui se cache derrière les lignes, loin des champs de bataille n'en est pas éloigné de cette zone infernale que veulent fuir à tout prix les croyants. Cet enfant sans nom ne parle pas, presque à aucun moment. J'y ai presque ressenti un petit côté Andreï Roublev lors du chapitre de la cloche quand le moine décide de couper la communication orale avec le peuple. Ici, le garçon ne s'exprimera jamais de vive voix aux adultes, ni même aux adolescents. On peut en déceler son origine lors de la séparation parentale mais les horreurs de la guerre ont certainement dû être le point d'orgue à partir desquelles il a refusé de lâcher toute parole envers autrui.


Une hypothèse qui tend à se vérifier car les seuls moments où il parlera sera à un cheval et à Dieu en personne, soit rien qui ne soit humain. En l'humanité, le garçon voit son inhumanité la plus crasse, le désillusion d'une espèce à laquelle il appartient et qu'il répudie. En adoptant une posture muette, il tient à se désolidariser de ce qu'il voit comme une engeance maudite. Spectateur à la fois passif et victime de la misère humaine, il traverse des étendues où il sera témoin d'atrocités toutes aussi variées, toutes aussi dérangeantes les unes que les autres, atteignant parfois des rares sommets d'immoralité que peu de films d'horreurs auraient osé mettre en scène. Et ce chaos le rongera, démontrera que la guerre peut transformer même l'être le plus pur en monstre. Qu'on se le dise, The Painted Bird est un long-métrage qui a des couilles en titane, refusant toute bienséance, tout espoir. Il n'y a pas la moindre once de lumière dans ce long périple divisé en plusieurs chapitres ressemblant presque aux différentes antichambres de l'Enfer. En cerise sur le gâteau, pour mon plus grand bonheur, la dernière partie rappelle le sublime "Bouge pas, meurs, ressuscite".


Le rythme est ainsi inhabituel, digne d'un électroencéphalogramme, où les accalmies laissent place à des soubresauts d'une violence hors norme nous clouant à notre siège. Le triste tableau des exactions perpétrées en fera froid dans le dos à plus d'un : tortures tant physiques que psychologiques sur adultes ou sur enfants, exécutions, massacres de civils, viols, pédophilie, zoophilie, décapitations, énucléations et j'en passe et des meilleures. Nul besoin de dire que c'est un miracle qu'un film pareil ait su sortir et surtout être diffusé en salles. Après, ce ne sont pas les USA ou la France. Le son de cloche aurait été très certainement différent, surtout en France.


Ce qui frappera aussi et excitera davantage les connaisseurs est que The Painted Bird prête allégeance à la Nouvelle Vague tchécoslovaque, mal connue et pourtant recelant de pellicules toutes aussi superbes les unes que les autres. Tout d'abord, son travail d'esthétique propre à faire basculer de leur siège les plus réfractaires au noir et blanc. De mémoire, je ne me souviens pas qu'un film ait été aussi beau visuellement depuis le début des années 2000, si l'on excepte Les Harmonies Werckmeister qui, malheureusement pour Tarr que j'adore, se fait détrôner. Qui plus est, cette volonté de s'affranchir des codes moraux, dé défier la morale établie était une composante connue de cette Nouvelle Vague, preuve en est avec le contenu proposé.


Une question peut toutefois se poser : Est-ce que The Painted Bird est accessible au grand public et, en particulier, aux aficionados de gore et d'ultraviolence ? La réponse est non. D'une part, parce que ça serait faire l'impasse sur la très grande intelligence du film qui n'a en aucun cas à rougir face à Requiem pour un Massacre et en vient même largement ébranler son hégémonie. Il ne faut pas attendre de The Painted Bird un divertissement subversif et sanglant. Le film est ainsi très avare en paroles pour une durée de 2h50, épousant à plusieurs reprises la carte du contemplatif. De plus, l'OST est elle aussi quasi absente. On tient donc une oeuvre en dehors des standards. Un truc d'auteur viscéral, qui n'a peur de rien et ne laisse personne indifférent. On tient immanquablement un futur film culte à réserver à un public particulièrement averti.

MisterLynch
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Il faut reconnaître que ces films mettent mal à l'aise

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le 21 juil. 2021

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MisterLynch

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