La distinction entre la милиция & la полиция n’est pl— Hein ? Ah, pardon. La distinction entre la milice & la police n’est plus pertinente en Russie depuis 2011, quand le deuxième terme a officiellement remplacé le premier (théoriquement obsolète depuis la chute de l’URSS) mais l’usage le conservait en 2013 en plus des uniformes affichant toujours ”milice” comme un affront & une contradiction envers le commissariat qui annonce ”police”.


Placer la distinction morale précisément sur ce point qui sert de creuset scénaristique, c’est bien dans le goût général de Le Major, dont l’histoire va jouer à la navette entre les extrêmes avec ce semblant de jubilation sardonique type Baba Yaga.


Iouri Bykov est réalisateur-scénariste-acteur-compositeur-monteur : pour lui, un film doit être un tout & c’est comme à contrecœur qu’il laisse le reste du casting prendre une place. Son personnage l’écrase d’ailleurs, tout comme son ancrage puissant dans le terreau du bien & du mal. C’est en effet l’objectif de Bykov de recommencer depuis les bases ; la vocation de son œuvre n’est de toute façon pas assez substantielle pour prétendre aller plus loin que l’enracinement puriste dans un crime qui sera le crédo brut.


La milice-police devient une sorte de mafia quand il s’agit de camoufler le crime du Major, un système qui, en fait de protéger & servir le citoyen (motto capitaliste, m’voyez), se sert & se protège lui-même comme si c’était lui qui était menacé. Premier retournement donc : la police est criminelle. Mais elle est aussi isolée, & il est facile de dissimuler les preuves quand personne n’est motivé pour aller les chercher.


Chez Bykov, la justice est bafouée mais on sent son besoin viscéral frapper à la porte de sa conscience, alors les personnages l’intellectualisent pendant que le réalisateur atteint tranquillement le pinâcle du film psychologique : est-on capable de garder son masque quand il ne faut pas perdre… la face ? Est-on à la hauteur d’un quitte ou double pervers où l’omission devient mensonge, le mensonge manipulation, la manipulation chantage, puis meurtre & folie ? Le Russe est-il insensible ou bien le produit d’un tempérament froid qui prend des décisions à chaud ?


Franc dans la parole et discret à l’image, le film cultive des doutes superbement placés. On en vient alors à questionner si cette torsion morale n’est pas savourée par les protagonistes. Ce qui est génial, c’est qu’on ne sait plus si on est censé l’apprécier nous-mêmes.


Le Major, en tant que personne, va alors être poussé dans la machine infernale d’une injustice indéfectible qui s’ébranle, & le personnage moral, pur comme un embryon de justesse, va jaillir de lui avec autant d’humilité qu’il aura de promptitude à reprendre son arme en situation de crise – le milicien (ou policien, j’ai perdu le fil) reprend le dessus & active un nouveau renversement.


L’égoïsme justicier du Major va-t-il mettre fin à la dictature d’un oblast avec force raffut ? En tout cas, il essaiera toujours dans l’ambiance d’une déliquescence magnifique de tout bon sens qui met en exergue le genre de réussites complètes qu’on atteint parfois en refusant de déléguer les tâches de cinéaste.


Quantième Art

EowynCwper
7
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le 3 févr. 2020

Critique lue 126 fois

Eowyn Cwper

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