On peut tout à fait adorer le genre horrifique au cinéma, s’en abreuver depuis notre plus tendre adolescence, tout en reconnaissant qu’il est de plus en plus difficile d’y trouver notre compte à force de productions laborieuses produites à la va-vite pour alimenter les bacs à DVD ou, désormais, les fonds de tiroir de plateformes VOD peu regardantes. Pour le dire simplement, on adore l’horreur, pour tout ce que cela peut nous apporter en terme de plaisir de l’angoisse ou de la viscéralité pure, mais on a tout autant conscience qu’il se fait de plus en plus rare d’y trouver la pépite capable de redéfinir le genre moderne, en y apportant personnalité, voir même sensibilité. A force de se nourrir de bandes amorphes oubliées en temps réel, le plus grand plaisir qu’il reste à l’amateur éclairé est l’espoir de tomber sur LA pépite, cette chimère tant désirée, si rare mais d’autant plus précieuse lorsqu’elle surgit de manière fracassante. Les festivals spécialisés sont le lieu idéal pour tenter de dénicher cette espèce si particulière d’œuvres que l’on chérira ensuite du plus profond de notre âme, pour les spectateurs les plus habités. Trêve de tergiversations, ce premier long métrage australien daté de 2009 fait partie de ces films que l’on cherche sans trop savoir ce que l’on attend réellement, et que l’on se prend comme un parpaing dans la face lorsqu’ils surgissent de nulle part. Ayant fait le tour des festivals spécialisés avant de malheureusement débarquer directement en vidéo par chez nous (air connu concernant les propositions trop singulières), il n’est pas peu dire qu’il s’agit sans doute de l’un des derniers gros chocs de l’horreur indépendante, tant sa profonde originalité, sa façon de jongler d’un registre à l’autre sans jamais perdre de vue l’essence même de son histoire, a tout du coup de génie dont la force est justement de donner cette sensation viscérale qu’il n’a pas été prémédité, mais pensé de manière personnelle et cohérente.


Débutant sur une scène de dialogue en voiture entre un père et son fils, il apparait immédiatement évident que l’on aura pas à faire à un film cheap et amateuriste, mais bel et bien à un vrai bel objet de cinéma, au sens du cadre certain, superbement photographié, et surtout, à la direction d’acteurs impeccable. Une discussion triviale, sur fond de balade musicale intradiégétique, donnant immédiatement le ton, à savoir un film tourné vers ses personnages, où il n’y a pas besoin d’en rajouter dans la psychologie de bazar pour donner cette sensation si rare de côtoyer tout simplement de vrais êtres humains. Premier choc à l’issue de cette séquence, avec un jeune homme hagard et fortement blessé surgissant en plein milieu de la route, provoquant le drame, à savoir l’accident qui tuera le père du garçon, ajoutant au deuil la culpabilité d’avoir été au volant. Ellipse, et nous retrouvons ce dernier en adolescent forcément tourmenté, ne se remettant pas du drame, et tentant difficilement de vivre malgré tout sa vie de jeune homme avec toutes les préoccupations allant de pair avec cette période de la vie. Le bal de promo approche, il est temps de trouver sa cavalière, cela tombe bien, il a une petite amie avec qui s’y rendre. Nous faisons également la connaissance de son meilleur ami, qui a réussi à convaincre une jeune fille gothique également tourmentée de l’accompagner. Tout ce petit monde pourrait tomber dans les clichés accolés au genre du teen movie, notamment américain, connus depuis les classiques indémodables de John Hughes, que ce dernier avait réussi à transcender et humaniser, mais qui avaient été tellement essorés depuis que l’on avait fini par croire qu’il n’était plus possible d’y apporter une petite musique singulière. Et pourtant, ce miracle opère ici immédiatement, par la grâce d’une écriture subtile ne martelant pas les choses, laissant apprécier naturellement des personnages n’ayant justement rien de figures scénaristiques dont on se moquerait, avec affection ou non, mais tout de vraies personnalités se trimballant des failles envahissantes, vivant une adolescence typique, à savoir angoissée et préoccupée par tout ce qui peut envahir notre esprit à cet âge de la vie, à savoir pour les garçons, comment bien se faire voir, et séduire les filles, sans tomber dans le moindre cliché de l’ado attardé et boutonneux.


L’élément déclencheur de ce qui suivra va survenir avec l’apparition d’une adolescente demandant au personnage principal s’il veut bien l’accompagner au bal, ce dernier refusant poliment en prétextant à juste titre qu’il est déjà accompagné. Peu de temps après, alors que ce dernier, en pleine crise due à son trauma, se retrouve en pleine nature dans une pulsion suicidaire, il se retrouve attaqué et endormi, et se réveille séquestré chez la jeune fille dont il a refusé l’invitation, qui avec son père, lui a préparé une nuit dont il se souviendra longtemps, si tant est qu’il y survive.


Là où la jaquette vidéo martèle peu subtilement la tagline « Elle n’aime pas qu’on lui dise non … », il ne faut pas s’attendre à un produit calibré pour donner la dose de sensations fortes bon marché, à renfort de caricatures et d’effets outrés, le réalisateur poursuivant sur sa lancée en nous offrant bel et bien une œuvre totalement imprévisible d’un bout à l’autre. Alors que l’on se croit installé pour ce qui s’annonce comme le torture porn de base comme il s’en faisait à l’époque, on se retrouve trimballé dans une narration chorale parfaitement maîtrisée, passant du calvaire du jeune homme subissant les pires outrages, aux mésaventures mi-cocasses mi-tragiques de son ami avec sa cavalière (tragicomique donc), aux angoisses de la mère du garçon et de sa cavalière, forcément inquiètes de la disparition de ce dernier, qui est un habitué des échappées suicidaires depuis le drame initial. Cette attention à tous les caractères peuplant son film, est la preuve principale de la singularité du film, ne cherchant pas à accumuler les scènes choc, mais à intégrer ces dernières dans une narration qui fasse sens, où toutes les mini histoires la constituant se nourrissent mutuellement, non pas par effet d’accumulation de mini péripéties, pour se donner une importance, mais bel et bien pour densifier un récit à taille humaine, où chacun a ses failles, et où même le duo de psychopathes, aussi outrés soient ces derniers, semble avoir reçu une attention à égalité avec les autres. Un sens de l’empathie pour la douleur de ses protagonistes qui peut sembler la base pour un scénariste, mais que l’on reçoit comme une véritable bénédiction, tant les films de la même époque se contentaient de pantins interchangeables uniquement là pour se faire torturer (rappelons que la même année sortait le sixième épisode de Saw). Avoir droit à de vrais personnages apparait sans doute comme le minimum syndical, mais cela n’est clairement pas le cas de la production de genre contemporaine globale.


Les souffrances de chacun, à différents niveaux certes, se rejoignent donc de manière aussi symbolique que tristement absurde, particulièrement dans cette alternance entre les scènes du bal, cocasses et troublantes dans la façon qu’a le cinéaste de détourner des passages clé du genre teen pour y insérer des détails véritablement inhabituels, notamment sur la scène de slow où un geste de la cavalière pourrait passer sur le papier pour scabreux mais passe à l’écran avec un effet à la fois humoristique (on y rit franchement) et émouvant, ce geste étant porteur en réalité d’un désespoir à peine masqué, et conclu par une réplique rageuse de la protagoniste disant tout de cette souffrance intérieure que personne n’est à même de comprendre, ou de pouvoir apaiser, pas même le père de cette dernière qui la surprendra à l’issue de la soirée pleurant dans son lit, ne sachant comme réagir, la raison de ce mal être étant réellement impossible à régler en un coup de baguette magique.
Parallèlement à ces moments, donc, nous suivons les supplices subis par le malheureux héros de cette histoire, trouvant là aussi une logique symbolique allant au-delà de la simple accumulation de sévices, ces derniers étant d’ailleurs traités avec un sens du montage redoutable, jouant beaucoup sur la notion de suggestion, soit en restant en plan fixe au loin, laissant apparaitre le geste sans rien nous montrer, soit en se posant en très gros plan sur le visage de ce dernier, sans nous montrer réellement l’acte de torture. Cela n’empêche pas certains plans très violents, mais le cinéaste sait à quel moment montrer, ou à quel moment cela s’avèrera contre-productif, le but étant de pousser le personnage à bout pour tester son instinct de survie, non pas dans un élan de moralisme ronflant et nauséabond, mais véritablement pour boucler la boucle et peut-être, à l’issue de ce cauchemar, revivre enfin, en acceptant ses traumas.


Baignant dans une ambiance de conte de fées vitriolé avec sa photo surréaliste de toute beauté, entre une esthétique Barbie cauchemardesque pour les scènes horrifiques, et la rêverie adolescente pour les scènes de bal, le travail esthétique est là encore pensé dans les moindres détails, pour faire sens avec ce qui se déroule à l’image, et non pas dans une simple optique de poudre aux yeux. Il s’agit donc d’un premier film, et la personnalité de l’auteur à l’œuvre ici est évidente, entre la mise en scène tirant parfaitement profit d’un budget forcément limité, avec un sens du cadre et du montage qui montre bien à quel point la mise en scène est affaire de point de vue et non pas de moyens à disposition, et la directions d’acteurs au diapason, chacun étant au service des autres et du récit, les différentes typologies de jeu se nourrissant là aussi l’une et l’autre pour donner un tout respirant l’évidence, concis et maitrisé d’un bout à l’autre. On a réellement cette sensation qu’en 79 minutes top chrono, tout était à sa place, tout a été dit avec clarté, sans qu’il ne manque quoi que ce soit, ni qu’il n’y ait la moindre scène en trop. Un travail de maitre en forme de miracle d’équilibriste, rendant d’autant plus incompréhensible que passé ce coup de génie n’ayant rien du travail de petit malin, Sean Byrne n’ait réalisé qu’un seul autre film, étant depuis tombé dans les limbes du cinéma. Reviendra-t-il un jour, on ne sait pas, mais il pourra au moins se targuer d’avoir été l’auteur de l’un des rares vrais grands films du genre contemporain (un grand film tout court en réalité), d’une sensibilité rare, si bien qu’après être passé par à peu près tous les états possibles (rire, mélancolie, choc devant une poignée de séquences à fort potentiel traumatique) il sera même possible de se surprendre à verser une petite larme pour les plus fragiles d’entre nous (cela n’a pas été mon cas, mais c’est une possibilité). L’ultime preuve du caractère unique de cette curiosité qui a toutes les qualités et aucun défaut de ce que cette appellation peut laisser attendre.

micktaylor78

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