Adapté d'un roman à succès de Sarah Waters salué par le grand maitre de la littérature horrifique, à savoir Stephen King en personne, "The Little Stranger" détourne tous les canons du genre pour se concentrer sur ses personnages excellemment interprétés et son cadre d'après guerre aux allures victoriennes. Le réalisateur de "Room", Lenny Abrahamson, est attendu au tournant avec cette histoire "a priori" d'épouvante, mais il n'en est rien (ou si peu...).
Un jeune médecin exerçant dans la campagne londonienne est appelé au chevet d'une patiente dans un manoir où sa mère fût employée jadis. La famille va très vite s'attacher aux valeurs rationnelles de ce médecin tout comme ce dernier avec les murs anciens qui l'ont autrefois accueilli. Mais des phénomènes de plus en plus inexplicables se produisent, confrontant le jeune médecin à ses convictions scientifiques...
Très loin des histoires de maison hantée classiques, "The Little Stranger" déroute par son non-conformisme et par la complexité émotionnelle de ses personnages. On ne sait pas trop ce que l'histoire veut raconter ni même dans quel genre le scénario se répertorie. Destin d'une famille d'aristocrates en plein déclin financier et histoires à la sauce anglaise façon Jane Austen ou Emily Brontë ? Ou bien secret de famille et fantômes en cavale façon "Les Autres" d'Alejandro Amenabar ? Une chose se confirme : "The Little Stranger" est un film d'atmosphère se déroulant au coeur d'un énorme manoir en désuétude au passé chargé. Certes, le scénario s'étend dans des longueurs considérables où les dialogues s'éternisent et ces moments vont sûrement en décourager plus d'un qui s'attendait à frissonner et à sursauter. En effet, on ne sert ici que de l'ingrédient de la demeure lugubre, possiblement hantée, pour réaliser un drame social et intimiste où les convictions individuelles de chacun s'envolent en fumée. Ainsi, la volonté de ce jeune médecin d'appartenir à cette classe supérieure, posée, construite depuis deux siècles sera l'enjeu principal de ce film. Et il a fallu que je me renseigne suite au visionnage pour comprendre l'essence même du long-métrage qui se révèle bien plus passionnant qu'il n'y parait en surface. C'est une sorte d'iceberg où les actions et situations entre les personnages provoquent un effet boule de neige sur les événements dits surnaturels. La complexité du fil rouge, une fois comprise, déploie toute l'authenticité et la profondeur du scénario, brillamment servi par une mise en scène au cordeau. Le cadre froid de cette énorme maison de campagne recèle de secrets et d'indices qu'on se plait à découvrir et à décortiquer. Alors si vous vous attendez à une histoire de fantôme, sachez que c'est bien plus singulier et recherché que ça ! C'est un peu un "Inception" version huis-clos en période d'après-guerre...
Cette ambiance atypique ne serait rien sans ce casting quatre étoiles. Domhall Gleeson, dans le rôle principal est étonnant de subtilité tout en restant fermement impassible dans ses réactions. Une sorte de classe anglaise qui laisse entrevoir de profonds secrets, des désirs d'appartenir à une classe sociale depuis sa plus tendre enfance. Ruth Wilson, dont le lien avec ce dernier est primordial, offre un vrai jeu épatant de tragédienne, alternant émotions et désir d'émancipation face à la décrépitude de ce lieu. Charlotte Rampling, elle, essaye de préserver les pots cassés de cette famille anciennement influente et luxueuse et se confronte à ses démons avec une intensité qu'on a rarement l'habitude de voir chez l'actrice. Et enfin, Will Poulter, qu'on a pu voir dans des comédies, se fond dans la peau du dernier homme de la famille, totalement défiguré par la guerre et dont la prestation de haine sidère par sa justesse. Chaque acteur ne fait qu'intensifier le sentiment de déroute et de confusion propre au film.
"My Little Stranger" dérange car il laisse le spectateur sur le qui-vive, rempli de spéculations. On ne sait quoi croire : y a t-il de réelles manifestations paranormales ou bien est-ce que tout s'explique par la science et par la raison, comme le déclame le jeune médecin qui ne croit absolument pas que cette maison est hantée ? C'est déroutant et au final plaisant car le film tient la route lorsque l'on recolle tous les morceaux entre eux. Extrêmement solide de par ses acteurs, sa photographie et sa mise en scène, "My Little Stranger" est un tour de force atypique qui séduira les plus téméraires d'entre nous.

alsacienparisien
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le 30 sept. 2018

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