Je suis Jack, et je tue des gens pour réaliser une œuvre d'art digne de devenir iconique.
Je suis Lars, et je fais des films parce que je crois encore à l'Art. Et aux icones, même si je m'embrouille parfois à comprendre Hitler en tant que créateur génial de futures ruines iconiques.
Je suis Jack, et je suis un ingénieur astucieux qui rêve d'être architecte : cette maison que je veux construire absorbe tout le temps qui me reste entre mes meurtres, mais mon impuissance à même concevoir autre chose qu'une structure vouée à être détruite encore et encore ne sera résolue que lorsque j'aurai compris que mes deux "vocations", d'architecte et de serial killer, ne font qu'une.
Je suis Lars, et je suis un cinéaste inventif qui rêve d'être philosophe : cette oeuvre que je veux construire et qui exprimerait - qui expliquerait - toute la haine que m'inspire la médiocrité humaine n'est jamais eu final qu'un enchaînement de films inaboutis qui exaspèrent mes ennemis - qui ne voient pas la forêt derrière l'arbre de la provocation - et ne séduisent que mes fans qui sont de toute manière convaincus à l'avance.
Je suis Jack, et même si je tue sans discrimination hommes et femmes, adultes, enfants et vieillards, je prends un plaisir tout particulier à torturer, physiquement ET moralement, les femmes stupides qui ont le malheur de croiser ma route et de croire qu'elles peuvent jouer avec moi.
Je suis Lars, et même si je hais sans discrimination hommes et femmes, adultes, enfants et vieillards, je prends un plaisir tout particulier dans mes films, et même pour faire mes films, à torturer mes actrices, femmes intelligentes qui ont la naïveté de penser qu'en tournant avec moi, elles pourront accéder au plus haut degré de l'Art sans y laisser une part de leur âme.
Je suis Jack, et je suis passionné par la technique qui me permettra de réaliser des crimes que personne n'a réussi avant moi : tuer un maximum de gens avec une seule balle, par exemple… tout ça pour échouer au dernier moment !
Je suis Lars, et j'ai déjà expérimenté dans mes films toutes les techniques cinématographiques, narratives et visuelles imaginables : multiplier les caméras pour réaliser la comédie musicale réaliste parfaite, inventer un dogme qui régirait la manière de raconter une histoire, intégrer la musique et la peinture classiques dans mes films comme personne ne l'a jamais fait avant moi, mais aussi construire mes films comme des livres, avec chapitres et réflexions de l'auteur alternant avec la fiction... tout ça sans réussir jamais à exprimer complètement ce que je veux !
Je suis Jack, et j'ai toujours eu très envie qu'on me prenne, qu'on m'arrête. J'ai pourtant beau laisser derrière moi traces sanglantes et indices multiples, on ne me prend pas pour autre chose qu'un vulgaire pilleur de banques.
Je suis Lars, et j'ai toujours eu très envie qu'on m'arrête, qu'on m'empêche de faire des films. J'ai pourtant beau multiplier les provocations potaches et les insultes les plus gratuites, on ne me prend pas pour autre chose qu'un vulgaire auteur bon pour les festivals.
Je suis Jack, et personne n'a l'air de comprendre que derrière les oeuvres de "Mr. Sophistication", il y a de l'humour, et que j'arrive à combiner l'instinct d'improvisation avec la planification la plus minutieuse de manière ludique.
Je suis Lars, et personne n'a l'air de comprendre que derrière les déclarations péremptoires de mes films, il y a pas mal d'ironie, et que j'ai le droit de dire une chose et son contraire, sans que l'on exige de moi que tout cela ait le moindre sens.
Je suis Jack, et il ne me reste plus qu'à lâcher prise et tomber éternellement vers la lumière. Noire, la lumière.
Je suis Lars, et il ne me reste plus qu'à lâcher prise et tomber éternellement vers la lumière. Noire, la lumière.


"Hit the road, Lars !"


[Critique écrite en 2018]

EricDebarnot
8
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le 20 oct. 2018

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Eric BBYoda

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