Banni de la Croisette depuis 2011, Lars von Trier est revenu (in extremis) à Cannes hors compétition avec The House that Jack Built, qui propose en cinq actes et un prologue de pénétrer l’esprit d’un serial killer. Cinq actes pour cinq des meurtres clés de la "carrière" de Jack, parfaitement incarné par un Matt Dillon qui aurait largement pu prétendre au prix d’interprétation masculine. Très attendu, le film promettait de faire l’événement en mettant les festivaliers à l’épreuve d’un contenu hyper-violent. Pari tenu ? A moitié, provocation et macabre étant la marque de fabrique des films du Danois le choc s’avère amoindri.


Dans la psyché d’un tueur


Plongée au fin fond de l’esprit de M. Sophistication, qui assimile sa soixantaine de meurtres à des œuvres d’art, The House that Jack Built débute sur fond noir. Deux hommes parlent. Le premier, le mystérieux Verge dont le visage ne sera dévoilé que dans l’épilogue, permet au second, Jack, de raconter son histoire.
Premier incident. Doux euphémisme pour qualifier l’assassinat au cric ouvrant le film. Chapitré à la Nymphomaniac, The House that Jack Built donne à voir, outre ce premier meurtre, quatre autres mises à mort allant du pique-nique transformé en champ de tir avec enfants pour cibles au découpage d’un sein à vif en passant par le désir de tuer d’une seule balle plusieurs hommes alignés dans une chambre froide. Violence, mutilation, dégoût profond d’une humanité qu’il considère comme vérolée, la recette von Trier n’a pas changé. L’humour (noir) est certes présent – il faut voir Jack revenir un nombre incalculable de fois sur les lieux d’un meurtre par peur de la goutte de sang dissimulée sous le pied d’une lampe ou derrière un tableau –, mais tend à disparaître au profit de réflexions pseudo-philosophiques sur le bien, le mal, l’art ou l’existence. Car c’est bien là que veut en venir le Danois provocateur : le mal n’est-il pas nécessaire ? Qu’en est-il de la violence dans l’art ? Jusqu’où peut-on montrer ce mal tapi en toute chose ? Autant d’interrogations qui le touchent personnellement…


Autoportrait


Connu pour ses films violents parfois à la limite de l’insoutenable, Lars von Trier se met cette fois littéralement en scène. Il enjoint les spectateurs – et l’institution qu’est le Festival de Cannes – à se poser la question du montrable et de l’immontrable. Il n’est, certes, pas le premier à aborder ce sujet, mais il fait indubitablement partie de ceux qui le font en provoquant tant il se plait à mettre son expérience en exergue à l’aide d’extraits de ses films… mais aussi d’images d’archives présentant les plus grands dictateurs, qualifiés d’artistes par Jack. Rappelons au passage que von Trier a été exclu de la Croisette pour avoir affirmé comprendre Hitler en conférence de presse…
Dans sa toute dernière partie, The House that Jack Built opère un changement de style radical, passant d’un réalisme gris à une esthétique rappelant Melancholia et ses multiples références picturales. Cet épilogue présente Jack face à Verge (toujours très bon Bruno Ganz). Le tueur et son "confesseur" ont fui notre monde, descendant vers les portes de l’enfer dans une évocation de Dante… jusqu’à la chute finale.
C’est donc de cela qu’il s’agit : un pseudo acte de contrition chargé d’ironie, une sorte de testament sarcastique dans lequel von Trier s’explique malicieusement… sans même envisager changer. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ?


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le 21 mai 2018

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