Un policier, Asger Holm (Jakob Cedergren, à la fois sobre et intense, brillant, en un mot, avec, dans certains plans, le profil pur et grave d’Albert Camus...), répond au téléphone, affecté au standard d’appel du numéro d’urgence danois, le 112. Les bribes de conversations échangées avec des collègues des postes voisins et des interlocuteurs hiérarchiques ou d’autres collègues au téléphone permettent de recomposer progressivement le puzzle de son itinéraire : Asger se trouve provisoirement cantonné à ce poste par mesure disciplinaire, et en attente d’un jugement qui doit se tenir le lendemain. Les appels se succèdent, accueillis avec flegme, voire ironie, jusqu’à ce que l’un d’eux mobilise particulièrement le policier : une femme, apparemment enlevée par son ex-compagnon, père de ses deux enfants.


Au puzzle composant la figure du héros répondra dès lors cet autre puzzle, assemblant des pièces purement auditives, et reconstituant peu à peu la trajectoire d’une famille elle-même passablement éclatée. L’image, subtilement cadrée par Jasper Spanning et montée par Carla Luffe, ne quittera pas le standard téléphonique ; seul s’effectuera un changement de pièce, isolant un peu plus le héros à mesure qu’il prend à cœur cette affaire familiale. Tout le « film » la concernant se déroulera de manière non visible, mentale donc, unique pour chaque spectateur, et il sera porté seulement par les mots échangés et les bruits captés par le téléphone. Mention spéciale à l’incroyable travail sur le son effectué par Oskar Skryver, qui crée un suspense tendu à l’extrême par le seul truchement de l’oreille et de ce que cet organe parvient à saisir, apportant au cerveau de quoi déduire...


Autant dire que cette première réalisation de Gustav Möller, également co-scénariste, secondé par Emil Nygaard Albertsen, suppose un spectateur-auditeur véritablement actif, recevant et recoupant les informations dans les pas du héros. Mais l’intrigue policière et ce jeu de puzzles parallèles amenés à s’imbriquer sur plusieurs points sont loin d’être les seuls moteurs de cette belle mécanique, qui bouscule également le spectateur dans sa promptitude à tomber dans des schémas établis et à préjuger de situations. Au service de cette révision des réflexes interprétatifs, un subtil jeu de culpabilités tournantes ou partagées, qui invite à fouiller au-delà des apparences, tous les sens en éveil, et à réenvisager la frontière parfois si mince qui sépare la raison de la folie...


Un premier film magistral, donc, qui emporte le spectateur tout en ravivant singulièrement son positionnement perceptif au sein de l’expérience cinématographique.

AnneSchneider
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le 12 août 2019

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Anne Schneider

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