Un biopic non avalisé par les personnes dont il traite, c’est mauvais signe. L’histoire sera forcément biaisée, orientée. Le propos de The Gamechangers, qui s’attaque aux déboires judiciaires du studio à l’origine des Grand Theft Auto s’avère donc doublement casse-gueule. La proposition de Owen Harris s’en tire néanmoins avec les honneurs.
Diffusé en septembre dernier sur la chaîne britannique BBC, le téléfilm The Gamechangers retrace le parcours tumultueux des studios Rockstar Games, à l’origine des jeux vidéo Grand Theft Auto. Daniel Radcliffe (Harry Potter, Horns) incarne Sam Houser, le créateur génial de la série vidéoludique la plus controversée de tous les temps. Cette production télévisuelle de qualité souffre malgré sa technique impeccable d’un scénario pratiquement calqué sur la notice Wikipédia de Rockstar. Limite imposée par le manque de coopération des individus dont il est question.
En nous immergeant dans le quotidien des équipes de Rockstar et de Jack Thompson, avocat conservateur oeuvrant pour l’interdiction de la violence dans les jeux vidéo, The Gamechangers nous conte une belle histoire. Celle de créateurs visionnaires, un brin inconséquents, et d’un homme de Justice qui se croit investi d’une mission divine. Oui, c’est de la télévision.
ROMANCE
2002, Grand Theft Auto : Vice City arrive et bouleverse une nouvelle fois l’industrie vidéoludique. Les ventes explosent, les critiques sont dithyrambiques et la bien-pensance américaine tire la sonnette d’alarme. Un refrain que l’on connait par cœur et qui est repris à chaque nouvelle itération du « jeu le plus dangereux de tous les temps ». Les attaques, Rockstar peut bien faire avec. En revanche, Sam Houser et son équipe a bien du mal a concevoir que l’on puisse les traîner en justice pour le ton mature et cru qu’il a choisi pour son jeu. L’affaire Devin Moore fait office d’élément déclencheur de toute la série de procès qui collent désormais à la peau de Rockstar.
Arrêté pour un vol de voiture un soir de juin 2003, Devin Darnell Moore dérobe le flingue de son interrogateur et assassine froidement trois policiers. Le jeune homme a 17 ans, il passe ses journées devant GTA. Il n’en faut pas plus à Jack Thompson pour jeter l’opprobre sur Rockstar. L’avocat va déployer un zèle inconcevable pour éradiquer la violence dans les jeux vidéo.
On regrettera une peinture un peu froide et surréaliste du quotidien de l’avocat. Il suffit de mettre en parallèle l’apparente normalité de Sam Houser avec l’extravagance du personnage de Bill Paxton, qui incarne Thompson. Ce dernier récite le bénédicité avant ses repas, se rend régulièrement à l’église, parle à Dieu pendant ses parties de golf et avoue à sa femme qu’il se croit investi de cette mission par le Saint des Saints. Ah, et il se prend pour Batman aussi. Une orientation extrêmement facile qui fait d’emblée passer l’avocat pour un type conservateur à l’excès, passéiste et horriblement antipathique.
CERTAINS L’AIMENT CHAUD
Le film de Owen Harris ne pouvait se passer d’aborder le scandale du « mod Hot Coffee ». Souvenez-vous, GTA : San Andreas. Quelques mois après sa sortie, un joueur découvre une scène de sexe cachée dans le code du jeu et parvient même à la rendre accessible par quelques manipulations. Le préjudice est immense. Alors classifié -18 aux Etats-Unis (les jeux comportant des scènes de sexe doivent porter la mention M for mature), le jeu doit être retiré de la vente en attendant que Rockstar ressorte une version épurée de son code fallacieux. Un épisode qui met particulièrement en lumière toute l’hypocrisie américaine, sobrement résumée par Sam Houser dans le film : »je peux descendre dans la rue et m’acheter un Uzi mais je ne peux inclure une scène de sexe dans mon jeu vidéo ? ».
Le traitement de cette partie délicate se fait encore une fois d’une façon très orientée. On ressort du visionnage convaincu que Sam Houser ignorait tout de la raison pour laquelle cette fameuse scène est restée dans le produit fini. Mais à ce stade du métrage, on a déjà fait le deuil de toute représentation réaliste des événements. On savoure simplement l’opposition entre deux personnages convaincus que ce qu’ils font est juste. L’un, pour modifier l’industrie, l’autre, pour la détruire.
Reste que sur cette partie, The Gamechangers reste encore une fois très superficiel. Radcliffe répète à l’envi que ses nouvelles idées vont révolutionner la conception du jeu d’action, tout comme son idole Don Simpson a révolutionné la comédie d’action au cinéma. Des ambitions résumées rapidement, la faute à un format peu permissif dirons-nous. Heureusement, la performance des acteurs est globalement à saluer. Daniel Radcliffe est définitivement débarrassé de son image d’apprenti sorcier et Bill Paxton transpire tout entier de son personnage. L’homme derrière la caméra n’est pas en reste. Owen Harris ayant réalisé un épisode (le meilleur) pour Black Mirror, on ne pouvait s’attendre qu’à une réalisation de bonne facture. Un constat en demi-teinte qui intéressera néanmoins tous les fans de Rockstar et les curieux.
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